Sang-Hoon Degeimbre (L’Air du temps): « Il va falloir déconfiner les esprits »

Sang Hoon Degeimbre
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Depuis le 13 mars à minuit, les restaurants ont fermé leurs portes et tiré leurs rideaux, avec l’interdiction stricte de recevoir leur clientèle. Touchés de plein fouet par les mesures visant à juguler l’épidémie de coronavirus, ces lieux de vie semblent au point mort. Comme malgré cette crise, on ne va pas cesser de les aimer – pour tout le plaisir qu’ils nous procurent depuis des années – on a voulu donner de la voix aux chef(fe)s, à travers notre série: Confinement, les chefs se confient. Voici le trosième épisode, avec Sang-Hoon Degeimbre, chef étoilé de l’Air du Temps.

« Entre l’annonce des mesures prises par le gouvernement et la fermeture effective du restaurant, il y a eu 36 heures. Durant cette période, la priorité absolue a été de répondre aux questions et aux inquiétudes de mes équipes. Il était impératif de connaître les droits de 40 personnes réparties sur 6 restaurants. Je ne voulais absolument pas qu’ils se retrouvent sans rien. Heureusement, on nous a proposé des solutions qui ont permis de parer au plus pressé », explique Sang-Hoon Degeimbre (50 ans).

Et après ? Le chef doublement étoilé précise : « Je me suis interdit les livraisons ou le service traiteur, c’est une autre profession. La gastronomie telle que je la pratique, c’est avant tout le contact humain, un métier de service et de proximité. C’est aussi une émotion, celle de quelqu’un en cuisine qui passe dans un plat envoyé à un moment précis. De tout cela, il ne m’était pas possible de faire l’économie, sinon au prix d’une trahison inacceptable. »

Comment le chef doublement étoilé s’est-il alors installé dans le confinement ? Le fer de lance de la gastronomie wallonne a pris ses quartiers dans son restaurant de Liernu qui offre plusieurs formules d’hébergement. « J’occupe une chambre sur place, raconte-t-il. Du coup, je consacre mon temps au jardin avec celui qui en est le responsable, mon acolyte Benoît Blairvacq. Nous nous occupons des 5 hectares de culture. Nous sommes aidés par quelques personnes, ce qui ne pose pas de problème vu la superficie. Nous avons de la chance dans la mesure où c’est un moment où l’activité est ralentie. L’hiver prend fin, nous récoltons les derniers poireaux et les faisons fermenter… en revanche, nous ne sommes pas encore sur une production printanière abondante. Je ne m’ennuie pas, je travaille sur des projets de livres, je fais des expériences culinaires, notamment sur les croissants que je distribue aux voisins, et je reste ouvert aux sollicitations extérieures, comme cuisiner pour l’hôpital Erasme. Cela dit, c’est une situation très étrange. Si je n’écoutais pas la radio, ce serait un peu comme s’il ne se passait rien. On s’installe dans une sorte de vide, de repli sur soi. »

« On dit qu’il faut 21 jours pour prendre un pli. Ce pli sera peut-être celui de rester chez soi, de ne plus aller au restaurant »

C’est justement ce repli qui ne manque pas d’inquiéter le cuisinier aux origines coréennes. Il analyse : « La fermeture des restaurants m’inquiète moins que leur réouverture. Pour le moment, tout est suspendu… mais comment va se passer la reprise? Je suis en contact avec Paul Pairet, le chef français installé à Shanghai. Il m’a expliqué que le retour des clients était problématique. La fréquentation a été au départ de 10%. Elle monte progressivement depuis. De plus, les règles du jeu changent. Les clients et les serveurs portent des masques. Si en Chine c’est plus facile car c’est une habitude, ce n’est pas le cas chez nous où cet équipement est perçu comme anxiogène, antagoniste du plaisir. Ma crainte est que les gens s’installent dans de nouvelles routines. On dit qu’il faut 21 jours pour prendre un pli. Ce pli sera peut-être celui de rester chez soi, de ne plus aller au restaurant. De continuer à prendre l e-pero par smartphone interposé. »

Il reste que fondamentalement « San », comme il est surnommé par la profession entière, reste optimiste. « Mon modèle est celui de la nature et je sais qu’elle ne s’arrête jamais. Quoi qu’il arrive, nous allons continuer. Ce qu’il faut, c’est en profiter pour réfléchir sur la gastronomie de demain. Nous allons effacer cet épisode en en retenant les leçons positives. Je pense qu’il va falloir freiner nos désirs de toujours plus, de voyages incessants, en les réorientant vers le local. Il va s’agir de dynamiser l’économie qui est autour de nous. Le rôle des chefs sera de répondre à cela en intégrant une idée d’évasion dans l’assiette afin de vivre le circuit court sans nous couper du monde. C’est une tâche redoutable qui nous attend : réussir à déconfiner les esprits« , conclut Sang-Hoon Degeimbre.

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