Six (contre-)vérités sur le petit-déjeuner, moins utile qu’on le pense
Dans nos sociétés de plus en plus sédentaires, le premier repas de la journée n’est peut-être pas aussi essentiel qu’il n’y paraît. Gilles Fumey, professeur de géographie culturelle à la Sorbonne, désacralise le mythe pour mieux rassurer ceux qui n’ont jamais faim le matin. Alors, vrai ou faux?
Le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée
FAUX. « Pour que l’on puisse véritablement parler de repas, il doit y avoir une dimension sociale. Et le matin, justement, nous ressentons un besoin d’interaction. Pour prendre des nouvelles de la nuit écoulée, planifier la journée. Le repas, quand il est possible, permet cela. Mais dans les faits, les conditions sont rarement rencontrées! Le week-end ou pendant les vacances, lorsque l’on se réveille en douceur, qu’on est calme et détendu, on peut apprécier le petit-déjeuner… que l’on prend aussi plus tard généralement. Qui plus est, en semaine, le manque de temps nous pousse à consommer dans l’urgence des produits industrialisés, tout sauf sains. Si rompre le jeûne dans la matinée est naturel, si l’on peut ressentir le besoin de manger quelque chose avant de fournir un effort par exemple, le corps n’a pas besoin de grand-chose. L’injonction qui consiste à faire du petit-déjeuner le repas le plus copieux de la journée pour prévenir l’obésité s’est avérée fausse en pratique! »
Le breakfast à l’anglo-saxonne est un sous-produit de la colonisation et de l’industrialisation
VRAI. « Prenez le chocolat, le thé, le café, même dans une certaine mesure les jus de fruits exotiques, tous ces produits proviennent en effet des anciennes colonies. Lorsqu’ils sont apparus en Occident, ils ont d’abord été vendus en pharmacie. Réservés à une élite, ils étaient sensés soigner, faire du bien. Au XIXe siècle, des marchands prénommés Nestlé ou Twinings ont apposé leur nom sur ces denrées, c’est ainsi que se sont développés les empires agroalimentaires qui n’ont eu de cesse de proposer, depuis, des aliments prêts à l’emploi, obtenus grâce à des matières premières récoltées par de la main-d’oeuvre bon marché. Cela répondait aussi à une certaine vision du corps, décrit comme une machine qu’il faut alimenter en énergie, en particulier après le jeûne de la nuit. Les industriels ont bien compris le parti qu’ils pouvaient en tirer. »
Sans petit-déjeuner, on risque l’hypoglycémie et la perte de concentration
FAUX. « Au contraire même! Puisque ce sont souvent ceux et celles qui ont pris un petit-déjeuner sucré qui connaîtront ce pic dans la matinée. Il est normal de ne pas avoir faim le matin et l’on ne devrait pas se forcer à manger avant d’en ressentir le besoin ou l’envie. Tout va dépendre de ce que l’on a mangé la veille… et quand. Ce qui va aussi à l’encontre d’une autre idée reçue qui voudrait que l’on doit nécessairement manger léger et tôt le soir pour être en bonne santé… et avoir faim le matin! La perte de concentration que l’on observe est plutôt à mettre sur le dos du manque de sommeil, surtout chez les jeunes, que du fait d’avoir mangé ou non copieusement au lever. Au réveil, notre corps s’approvisionne bien tout seul, grâce au cortisol, une hormone mobilisant les réserves de l’organisme dans les stocks d’énergie emmagasinés la veille. Son pic d’activité se situe entre 6 et 8 heures du matin; grâce à lui, notre sang est approvisionné en sucre. Nous pouvons donc décaler la prise d’aliments. »
Les buffets petit-déjeuner des hôtels sont des hérésies
VRAI. « Ce n’est pas tellement l’idée de mêler sucré et salé sur le modèle du brunch qui pose problème – le week-end ou lorsqu’on a le temps, c’est même plutôt un bon compromis – mais la nature même de ce que l’on vous sert. Il est très rare que les produits soient frais. Même les oeufs brouillés sont issus de poudre lyophilisée! Le jus d’orange compris dans le menu est le pire ennemi de votre estomac et de vos intestins. Et pour absorber l’énergie d’un croissant, il vous faudra faire 40 minutes de jogging. Et je ne vous parle même pas des additifs dans la charcuterie et de la piètre qualité des fromages sans goût. Le repas de rupture du jeûne dans cette version XXL est celui qui contient le plus d’aliments hautement transformés, tout est là sans avoir à lever le coude. »
La pandémie a rebattu les cartes
VRAI ET FAUX. « La nature même du travail, pour la plupart des gens, ne nécessite plus de fournir au corps la même énergie qu’aux débuts de l’ère industrielle ou dans les travaux des champs. Ce n’est pas pour rien que l’on voit se développer la pratique du jeûne intermittent. Le télétravail a aussi permis à ceux qui le désiraient de se contenter d’une boisson chaude pour commencer leur journée de travail. Et de postposer la rupture de jeûne, de profiter d’une petite pause en matinée pour manger quelque chose de léger. Cela contribue à distiller l’idée que chacun devrait pouvoir s’alimenter à son propre rythme. Du moins si l’on a la chance de travailler chez soi. »
Dire que l’on ne mange pas le matin reste tabou
VRAI ET FAUX. « C’est encore stigmatisant car le discours dominant, alimenté par des campagnes de publicité pour des céréales et produits laitiers très sucrés visant avant tout les enfants, encourage les parents à reproduire ces schémas qui permettent aux industriels de l’agroalimentaire de se frotter les mains. Lors des conférences que je donne, je me rends compte pourtant qu’un tiers des interrogés admettent ne pas manger le matin et s’en porter très bien. Un autre tiers se pose des questions. On peut donc les rassurer: ils ne mettront pas leur santé en danger. Et si leur enfant ne mange pas le matin, une collation saine prise en milieu de matinée pourra parfaitement faire l’affaire. »
Feu sur le breakfast!, par Gilles Fumey, éditions Terre Urbaine.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici