Dans les pas des survivalistes
Qu’adviendra-t-il si l’impensable se produit ? Le business de la fin du monde alimente, comble et anticipe les besoins des survivalistes, éveillant l’attrait du grand public, désireux de mieux s’équiper » au cas où « . Ou simplement de savoir que faire quand il y a de l’anxiété dans l’air.
Le citoyen est devenu un acteur à part entière, il veut agir et prendre son sort en main.
Quelle époque formidable pour nourrir paranos et névroses. Bien sûr, l’humanité fantasme sur sa perte depuis la nuit des temps, mais l’actualité de ces dernières années nous laisse l’embarras du choix – ne manquait plus que le classique des classiques, l’Holocauste nucléaire, rappelé à notre bon souvenir par la passe d’armes entre Donald Trump et Kim Jong-un. Mais doit-on finalement craindre davantage l’instabilité géopolitique ou nos bonnes vieilles centrales, à la merci des terroristes, des secousses sismiques… et de l’usure ? D’aucuns s’interrogent et ils ont peut-être raison. Car, si les conséquences de l’urgence climatique nous ramènent aux déluges, éruptions et sécheresses de l’Antiquité, notre ardoise à nous s’alourdit avec, au-delà de la pollution et des armes de destructions massives, d’autres tristes atours de la modernité, qu’il s’agisse des risques de krachs financiers, d’attaques informatiques ou de robots tueurs – oui, ça existe, la police de Dallas a abattu un homme via un engin télécommandé le mois dernier. Autant dire que le couplet éculé sur le » JT qui ne montre que des horreurs » est réapparu dans les charts et qu’il devient difficile de trouver un bulletin d’info qui ne fasse allusion à aucun péril majeur pour l’espèce. Et même quand il n’est question que de Fipronil, ressurgissent parfois les fantômes de désagréable mémoire, vache folle, H5N1, dioxine et, tant qu’on y est, Ebola. Car certains s’habituent sans mal au climat anxiogène, d’autres pas.
Série Z
En attendant de savoir si un psychopathe à coiffure improbable va nous rejouer la Java des bombes atomiques, Hollywood s’amuse à faire flipper dans les chaumières. Il n’y a plus un scénario-catastrophe qui n’ait été tourné. Sur grand écran, nous avons déjà subi tous les tours de cochon que les dieux ou l’univers auraient pu nous jouer. Il faut croire que l’idée inspire, et continue de faire recette, en témoignent les sagas remises au goût du jour, comme Mad Max ou La planète des singes. Du plus intéressant – le post-apocalyptique solitaire, oppressant et désespéré, comme La Route ou Les Fils de l’Homme, voire Je suis une légende – au plus convenu – tels les disaster movies signés Roland Emmerich (Independence Day, Godzilla, Le jour d’après, 2012) – les sous-genres du film de fin du monde sont largement dominés par la figure du zombie.
Si l’on ne citera pas les innombrables long-métrages et délires grouillant de prédateurs décharnés (une mention tout de même à l’impayable Orgueil et préjugés et zombies, Jane Austen en rit encore dans sa tombe), force est de constater que le concept a quitté sa niche pour une explosion grand public grâce à la série The Walking Dead, mettant un ex-shérif aux prises avec des » rôdeurs » en quête de chair fraîche. Adapté d’un comic book, cette énième histoire de revenants a parfaitement dosé les ingrédients pour titiller nos peurs primales et bas instincts, et élargir son audience jusqu’à battre des records. Mais malgré ce succès triomphal, et d’autres efforts notables comme World War Z, production mainstream à gros budget portée par Brad Pitt himself, le genre demeure souvent estampillé série Z. Qu’importe, il reste une intarissable source de fascination, tant qu’il nous scotche avec ses hypothèses de chaos mondialisé et pose une question dérangeante, sachant qu’en situation de crise aiguë, l’être humain n’a pas toujours brillé par son altruisme : qui fera quoi au moment du grand chacun pour soi ?
la culture du risque
L’air de rien, un désagréable sentiment d’insécurité démange une partie de notre placide et fataliste population, et ce n’est pas forcément une mauvaise chose, selon Benoit Ramacker, porte-parole du Centre de crise national. » On travaille sur la culture du risque depuis cinq ou six ans, et l’on s’est rendu compte qu’il n’y en avait quasiment pas en Belgique. La majorité des gens se dit: « Peut-être qu’un jour il se passera quelque chose, on verra bien. » C’est l’héritage d’une vision très paternaliste de la gestion de crise, de la fin du xxe siècle : les autorités s’en occupent, dormez braves gens, en attendant qu’on vous dise quoi faire. De cette communication top-down, on a évolué, à chaque catastrophe naturelle ou industrielle, et dans cette société de l’information, où tout circule vite et sans contrôle des autorités. Le citoyen est devenu un acteur à part entière, il veut agir et prendre son sort en main. Et en ce sens, développer la culture du risque nous aidera en situation. Si les gens sont conscients des menaces qui les entourent, savent ce qu’impliquent une inondation, une panne de courant ou un accident chimique, s’ils sont informés de ce qu’ils peuvent entreprendre pour se préparer, ça soulagera les policiers ou les pompiers, qui pourront mieux faire leur boulot, et éviter le sur-accident à cause de comportements malvenus. Toutes les infos sont sur notre portail Web de référence, qui identifie quinze types de dangers majeurs : info-risques.be. »
N’empêche. Les plus stressés d’entre nous n’ont pas oublié qu’il y a un an, le ministère de l’Intérieur allemand présentait un projet de défense civile, priant ses compatriotes de constituer des stocks d’eau et de nourriture pour cinq jours, une première depuis la Guerre Froide. Et que l’Allemagne, toujours, fournit des pastilles d’iode aux habitants dans un rayon de cent kilomètres autour d’une centrale nucléaire, contre vingt kilomètres chez nous – les pharmaciens submergés de demandes s’en souviennent aussi. » Sur le site Info-risques, on donne un modèle de kit d’urgence, explique Benoit Ramacker. Mais on ne va jamais obliger à stocker un tas de choses. De toute façon, même dans le cadre du plan d’urgence nucléaire, si l’on demande aux gens de se mettre à l’abri, ce sera en principe pour 24 heures, peut-être 48. Au-delà, on privilégie l’évacuation. Donc tenir un jour chez soi est un minimum. Ça paraît facile, mais il y a quelques années, lors de la pénurie d’électricité, on a coupé le courant à certains endroits pendant deux ou trois heures, et quel chaos ça a causé ! »
Le B.A.-ba pour se sauver
Au-delà de cette sensibilisation participative à l’échelon national (lire par ailleurs), le survivalisme est devenu une culture planétaire, dont les pratiquants sont appelés survivalistes ou preppers – car seule une préparation drastique peut augmenter les chances de ne pas trépasser. A titre d’exemple, Et si l’apocalypse…, docu québécois qui, en plus d’un délire sur les hordes de migrants prêts à envahir La Belle Province, montre des individus traumatisés par le Grand Verglas de 98, durant lequel une couche de glace jusqu’à dix centimètres s’abattit sur un territoire aussi vaste que l’Irlande. Quatre millions de personnes sans électricité, certaines pendant plus de cinq semaines ; on comprend mieux pourquoi ils rêvent d’autarcie dans des containers.
La survie est une activité de groupe.
Si les conditions météo sont moins extrêmes chez nous, il est aussi possible d’investir dans un abri protégeant des désagréments nucléaires, bactériologiques, chimiques, notamment auprès de l’entreprise namuroise Life Protect Engineering. Et à ceux qui trouvent l’idée farfelue, on rétorquera que la pondérée Confédération suisse dispose d’abris antiatomiques pour héberger toute sa population. C’est inscrit dans la loi : » Chaque habitant doit disposer d’une place protégée dans un abri situé à proximité de son lieu d’habitation et atteignable dans un délai raisonnable. »
Mais quid des personnes qui n’ont pas les moyens de se payer une place dans une safe room de luxe ? Qu’elles se rassurent : un équipement basique et un minimum de pratique peuvent aider à affronter des situations critiques. Hormis l’autodéfense et la question des armes à feu, qui nécessitent permis de chasse, licence de tir sportif ou circonstances exceptionnelles – et ne sont pas nécessairement encouragées par les survivalistes, un revolver pouvant se retourner contre son propriétaire, ou crisper une rencontre fortuite – couteaux de survie, outils multifonctions, cordes, bâches et torches militaires, cartes et équipements divers fleurissent sur Amazon. Les défauts et qualités des articles sont livrés à l’appréciation d’une large communauté de spécialistes au taquet, prête à discuter de cas concrets, avec force arguments empiriques et scientifiques. Accessible ou pointu, le contenu de sites comme Survivalisme-Attitude, La Bible du Survivalisme ou Guide-de-survie.com constituent une hallucinante mine d’informations. On pourra aussi se tourner vers la littérature spécialisée, souvent signée par d’anciens militaires – pour avoir lu le Guide de survie en milieu hostile de Chris McNab, aux éditions de l’Imprévu, ces gars pensent vraiment à tout.
Jouer collectif
Cet attrait pour les techniques de base passionnent également des millions de téléspectateurs, qui vécurent ainsi depuis leur canapé les déboires des aventuriers modernes, de Koh-Lanta au Man vs Wild de Bear Grylls, superstar mondiale de la survie, du genre à inviter Julia Roberts ou Barack Obama à un week-end de camping sauvage. Cette popularité prouve que tous les survivalistes ne rêvent pas secrètement d’un effondrement général ou d’éclater des zombies au club de golf. Et en Belgique comme ailleurs, des stages ad hoc ont fait leur apparition.
L’un des premiers, Surv’Event, fut fondé en juin 2011 par un jeune militaire, qui venait de » flasher sur sa formation de survie « , et son pote ingénieur agronome. Les associés proposent désormais des initiations, team buildings et anniversaires d’enfants, et même du » fun survival « , des enterrements de vie de garçon agrémentés d’une petite chope – » Mais pas de scénario de zombies qui attaquent le camp, d’autres boîtes font ça. » Pour les particuliers, si le concept pourrait se résumer à » deux jours en autonomie, avec un sac de couchage et un litre d’eau « , les deux stages organisés s’avèrent complémentaires, : le » sédentaire « , où l’on apprend des techniques, du tir à l’arc au tannage de peau, et le » nomade « , avec un trek plutôt branché défi physique et orientation. » On veut montrer qu’en situation difficile, on peut s’en sortir, qu’il ne faut pas perdre ses moyens. On peut très bien passer deux nuits dans une forêt, il n’arrivera rien en maîtrisant certains gestes de base. Allumer un feu n’est pas insurmontable. » Leur clientèle se compose » de curieux et de gens qui ont déjà un certain bagage, qui ont lu des livres, expérimenté des choses, et qui veulent se mettre en situation. On n’imagine pas à quel point des adultes peuvent changer d’attitude quand ils doivent sauter un repas ou oublier leur smartphone. A la moindre privation, c’est la panique. » Dans les rangs des candidats prédomine l’envie de se dépasser ou de se rapprocher de la nature, bien plus que d’échapper à une Apocalypse en laquelle ils ne croient pas trop. » On n’est pas vraiment dans le trip Armageddon, mais on a tout de même eu un participant qui voulait vivre en autonomie chez lui, et qui venait pour apprendre des trucs spécifiques. Il ne savait pas faire de feu tout seul ; et il nous a enseigné plein de choses sur la culture et les potagers. »
La formation peut-elle se révéler utile en cas de coup dur ? Certainement. Risque-t-elle de pousser les adeptes à se croire plus coriaces qu’ils ne le sont ? C’est peu probable. Un survivaliste entraîné et informé ne fera pas de bêtise, par définition. Comme le disait Benoit Ramacker, il évitera de » jouer les super-héros » et s’empressera de contribuer à une solution collective. Ou encore, pour citer l’équipe de Surv’Event : » La survie, intrinsèquement, c’est une activité de groupe. Je prends toujours l’exemple d’un accident d’avion : si les passagers prennent le temps de réfléchir, d’identifier les talents de chacun, ils ont plus de chances de s’en sortir qu’en la jouant solo. » On essayera de s’en souvenir quand surviendra le crash.
BEALERT, TOP OU FLOP
Projet-pilote initié en 2014, BeAlert est un système d’alerte désormais pleinement opérationnel, qui permet aux autorités de diffuser un message à large échelle en situation d’urgence – 100 SMS et 10 000 mails par seconde, ainsi que 600 appels téléphoniques simultanés.
En août dernier, de nombreux journaux francophones notaient le peu d’enthousiasme pour le procédé, titrant qu’il attendait encore d’être adopté par 80 % des communes wallonnes.
« C’était un peu tapageur de leur part. Au Centre de crise, on préfère voir le verre à moitié plein, analyse Benoit Ramacker. Après tout, nous en sommes encore aux débuts. Mais nous sommes présents au niveau fédéral, avec le ministère de l’Intérieur, provincial, avec la signature des onze gouverneurs, et communal, avec 260 bourgmestres sur 580.
En outre, plus de 200 000 citoyens ont choisi, à titre personnel, de souscrire à ce service gratuit. Ce n’est donc pas si mal, et cela peut s’avérer précieux en cas de catastrophe, quand une poignée de minutes est cruciale. »
QUE METTRE DANS UN KIT D’URGENCE ?
Le Centre de crise recommande un équipement basique :
– une pharmacie et une trousse de secours
– de l’eau
– de quoi charger son téléphone
– une lampe de poche
– une radio à piles
– un briquet, des allumettes ou une pierre à feu
– un couteau multifonction
– une check-list couvrant effets personnels, documents d’identité, et diverses précautions particulières, et un « plan d’urgence familial », qui indique à chaque membre de la famille comment réagir dès les premiers instants critiques.
Libre à chacun de compléter son attirail en y ajoutant cartes routières, dispositif de purification d’eau, cordes, boussole, ruban adhésif, couverture de survie ou sifflet de secours. De nombreux exemples d’EDC (pour Everyday Carry, soit l’équipement porté en permanence au cas où) ou de BOB (Bug-out bag, sac d’évacuation en cas de gros problème) sont disponibles sur le Net, pour ceux qui voudraient aller plus loin.
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