David Crunelle: « Si c’est juste esthétique, c’est de la déco »

© PHOTO HADRIEN DURÉ
Mathieu Nguyen

Avec sa nouvelle exposition, Ordalie, le créateur bruxellois interroge la gestion de cette pandémie dans une série historique où se téléscopent l’oubli et la transmission, les points Artis-Historia et la Belgique de papa.

Je n’aime pas trop commenter mon travail, l’expliquer en détail. Mais dans ce cas-ci, plutôt complexe, c’était nécessaire. Les livres Artis-Historia, c’était un peu les albums Panini de l’époque, entre 1949 et 1961, et ceux qui collectionnaient ça étaient alors souvent ados. Ils ont donc entre 75 et 90 ans aujourd’hui, c’est la génération silencieuse, celle qui a le plus souffert de la Covid. J’ai voulu illustrer la mauvaise gestion de la crise en reprenant des icônes qui étaient significatives pour elle, pour les transformer, les adapter. Au-delà de la critique, c’est un rappel d’icônes qui vont disparaître parce que la génération pour qui elles avaient encore un sens a disparu avec le coronavirus. La reine Astrid, ça ne représente plus grand-chose pour les jeunes d’aujourd’hui.

Le côté « artiste » est quelque chose dans lequel je ne me reconnais pas. Notamment à cause des choses que les gens projettent, comme « c’est fun de faire de l’art ». Moi, quand je fais mes bazars, je ne passe vraiment pas un bon moment. Je sais à quoi je veux aboutir, et y arriver n’est qu’une souffrance permanente, ce n’est pas agréable, ce n’est pas fun. Je ne suis pas dans une transe mystique où j’ai envie de vomir, c’est juste du travail; il faut bosser. C’est un conflit que j’ai avec certains amis, qui se disent artistes, et pour qui l’important est de s’amuser: peu importe le résultat, si l’on s’amuse, c’est bon. Moi, je ne vois que du travail: la réflexion, le process, le temps que ça va me mettre, et ensuite l’exécution. Et ce ne sont pas des moments pleins de satisfaction personnelle.

https://twitter.com/davidcrunelle/status/1394203386464067589David Crunellehttps://twitter.com/davidcrunelle

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Il n’y a pas de définition précise de l’art contemporain, mais il y a un marché. Et un marché, comme pour tout, du tote bag au smartphone, il répond à une demande, ou il la crée. Et il y a un public. Je ne sais plus qui a dit: « Si vous achetez un tableau à 3.000 balles, c’est que vous le voulez, si vous en achetez un à 30.000, c’est que les autres le veulent. » Et c’est vraiment ça. Qui a vraiment envie de s’acheter un Anish Kapoor à 2 millions de dollars? C’est pour que quelqu’un d’autre ne l’ait pas. A-t-on un affect aussi immense pour une oeuvre, même de bonne qualité et de haute technicité? Dans ce genre de cas, tout est question de placement et d’investissement: on ne parle pas d’art. Banksy, même chose, ça n’a pas la valeur que ça peut atteindre, mais ça vaut l’envie des autres.

Je déteste tout ce qui fait référence à la Belgique en art contemporain. Ça tombe très vite dans les caricatures, les sculptures de moule, de Manneken-Pis, d’Atomium et de chicons… D’accord si c’est fait par Les Snuls, mais en se baladant dans certains quartiers de Bruxelles, on peut voir ce genre d’horreurs exposées en vitrine – à destination des touristes évidemment, pas des Bruxellois. Parler de Belgique, c’est donc toujours un peu touchy, mais j’ai décidé de me faire plaisir.

Pour moi, il faut du contenu. Des messages, de la matiu0026#xE8;re. S’il n’y a pas quelque chose u0026#xE0; du0026#xE9;coder, on est dans la du0026#xE9;coration.

Si c’est juste esthétique, c’est de la déco. Le résultat est satisfaisant, et c’est l’objectif, mais pour moi il faut du contenu. Des messages, de la matière. S’il n’y a pas quelque chose à décoder, à lire, on est dans la décoration. En voyant l’expo, les gens vont apprendre quelque chose, voir un détournement, avoir une idée en plus, capter ce que je veux faire passer. Si ce n’était que beau ou esthétique, c’est très bien aussi, mais ce n’est pas la même chose, vendre ça sous couvert d’art contemporain, c’est de la fumisterie. Les pseudo-Banksy qui utilisent les mêmes techniques et les mêmes pochoirs, parce qu’ils savent que ça marche, ils font des produits. Je connais leurs recettes, je sais comment les gens tombent dans le panneau, mais ça ne m’intéresse pas, même pour de l’argent.

C’est un défi d’esthétiser l’idée que la civilisation s’effondre. De pouvoir l’imaginer sans faire peur à tout le monde. Et à l’inverse, c’est très facile de choquer, de mettre une claque avec du trash, du violent. Moi, j’aime donner beaucoup à voir, donner des détails, de l’information, et j’espère que tous les codes, messages et symboles représentés parleront au public. J’aime rendre l’ensemble dense, pour éviter le côté minimaliste, et il faut une qualité technique, sinon c’est vite fainéant. Une bonne idée peut être très simple – je suis fan de suprématisme et de constructivisme – mais, à titre personnel, je me sens toujours obligé d’aller loin techniquement.

Ordalie, Zedes Art Gallery, 36, rue Paul Lauters, à 1050 Bruxelles. zedes-art-gallery.be et davidcrunelle.be Jusqu’au 26 juin.

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