Made in Belgium: trois designers qui travaillent les matières locales
Certes, la Belgique n’est pas un pays exotique où les métaux nobles et les matières premières convoitées sont à portée de main. Toutefois, en cherchant bien, il est possible de dénicher des pépites. C’est exactement ce à quoi la nouvelle génération de créateurs s’emploie. Le résultat? Un design du terroir.
Romy Di Donato (39 ans) La filière wallonne du chanvre inspire nombre de ses projets.
«Son utilisation était traditionnellement fort répandue dans nos régions, explique Romy Di Donato. Le linge de maison, les vêtements de nuit ou les tabliers étaient en chanvre, tout comme les voiles et les cordes de bateau. On l’appréciait pour sa résistance à l’humidité et on l’utilisait contre les maux de tête. Au plan médicinal, agricole ou textile, ce sont hélas des savoir-faire que l’on a perdus.» A l’échelle de son petit studio de design industriel et d’architecture d’intérieur, la créatrice liégeoise s’est donné une mission: la redécouverte d’une plante délaissée… aux possibilités innombrables.
Parmi les premières applications qu’elle a développées: des panneaux décoratifs et acoustiques − les fibres du chanvre facilitent l’atténuation des bruits. Pour des architectes, elle en a créé des versions grand format jouant sur le côté tactile du matériau. Avec des résidus agricoles, obtenus auprès d’un agriculteur local, elle a mis au point un terrazzo dont elle a fait des luminaires, des récipients ou des dessus de table. «Intégrer du végétal au minéral ne sert à rien sinon à l’aspect visuel, qui me plaît énormément. C’est surtout une autre manière de promouvoir la plante et de changer le regard qui est porté sur elle», explique-t-elle.
Car la question de l’image est cruciale tant le chanvre souffre d’être amalgamé à sa variante psychotrope, le cannabis. «Personnellement, je ne le fume pas (rires). Je l’utilise, je le travaille. C’est un matériau agréable à manipuler, qui n’est pas nocif. Le cultiver requiert cinq fois moins d’eau que le coton. Il pousse vite, facilement et massivement sans insecticide, tout en régénérant les sols.»
En dépit de ces qualités évidentes, la filière ne se développe que lentement. Si l’utilisation du chanvre comme isolant se répand peu à peu, la production locale stagne. «Je crois même qu’elle a légèrement reculé suite à la faillite d’une entreprise de défibrage car cela a découragé nombre d’agriculteurs qui y étaient liés de façon contractuelle. En outre, sa culture est contraignante du fait d’être extrêmement contrôlée.»
‘Une autre manière de promouvoir le chanvre et de changer le regard qui est porté sur lui.’ – ROMY DI DONATO
Après quelques mois d’un congé maternité bien occupé, la designer retrouve ces jours-ci son studio avec des idées et ambitions plein la tête. «J’ai démarré des tests sur des résines biodégradables: des alternatives au plastique pour lesquelles la rigidité des fibres de chanvre est un atout.» En parallèle, elle continue à développer de nouveaux produits et à démarcher des industriels pour les convaincre de la pertinence d’un «retour au chanvre».
«Mon objectif est de pousser tout cela vers l’industrie et de participer à la recréation d’une filière en Wallonie. Je n’en suis pas là, évidemment! Pour l’instant, je gagne ma vie grâce à d’autres projets mais c’est bien au chanvre que je consacre l’essentiel de mon énergie. En tant que designer, j’estime que mon rôle est de faire bouger les mentalités. De proposer autre chose.»
Plus d’infos: romydidonato.com
Damian Jodorowky (28 ans) et Timoté Rouffignac (26 ans) Le duo fabrique des meubles à partir de terre bruxelloise excavée sur chantier.
«Notre but est de donner une image noble à la terre», explique d’emblée Timoté Rouffignac. Les deux Français, Bruxellois d’adoption, se sont rencontrés à La Cambre et ont établi leur atelier dans une ancienne académie de police à Ixelles. Leur tabouret baptisé Earthstone est réalisé à partir de terre bruxelloise excavée. En temps normal, cette matière issue de grands chantiers de construction serait mise au rebut. Difficile, pourtant, de trouver un matériau plus simple, plus naturel et plus local.
«L’idée est née lors de mes nombreux voyages en Amérique du Sud et en Amérique centrale», raconte Damian. Dans ces régions, les constructions en terre sont légion. Mais l’intéressé a surtout eu un déclic en lisant les théories du scientifique français Joseph Davidovits, selon lesquelles les blocs de pierre des pyramides d’Egypte auraient été moulés, à la manière du béton, et non pas taillés.
Bien qu’il existe des preuves non négligeables, cette théorie de fabrication à la main reste controversée. «Quoi qu’il en soit, l’idée de réaliser une construction de la taille d’une pyramide avec de la pierre fabriquée à base de terre a de quoi frapper l’imagination», soulève le designer.
‘On lutte contre l’idée selon laquelle la terre est un matériau sale’ – DAMIAN JODOROWKY ET TIMOTÉ ROUFFIGNAC
Aujourd’hui, ce type de réalisations connaît un regain de popularité. Ainsi, la technique de la terre compressée, destinée à des murs et des sols solides, a le vent en poupe. BC Materials, qui utilise de la terre argileuse locale, est la pionnière belge en la matière.
«Cette entreprise bruxelloise nous fournit la terre de chantiers de construction et nous fait profiter de son savoir-faire, explique Timoté. Mais nous avons mis au point notre propre composition d’une variante de ce matériau, plus rigide. Pour le moment, nous ne voulons pas trop en révéler les ingrédients, qui sont tous d’origine naturelle. Notre mélange nous permet de fabriquer des parois plus fines, destinés à des meubles. Notre tabouret pèse plus de vingt kilogrammes, mais s’il était massif, son poids serait trois fois plus élevé.»
Damian et Timoté jouent avec différentes teintes, dont le magnifique «vert Bruxelles» résultant de l’adjonction d’un pigment naturel. La création est gracieuse: un cylindre parfait surmonté d’une courbe. «Nous voulions éviter à tout prix une forme trop artificielle», explique Timoté. Malgré l’aérodynamisme de l’objet, sa fabrication est assez simple. Le tandem a réalisé un moule à partir d’un tuyau de gouttière de trente centimètres de diamètre. La terre y est compressée, et le tour est joué!
«Notre objectif est de lutter contre l’idée préconçue selon laquelle la terre est un matériau sale et sans valeur, et de montrer qu’il existe d’autres modes de fabrication, moins polluants. Contrairement à la céramique, la terre ne doit pas être cuite et ne nécessite aucune source d’énergie. Ainsi, nos créations peuvent être restituées à Dame Nature. Posées dans le jardin, elles redeviennent glaise», conclut Timoté.
Lies Van Ginderachter (40 ans) Sous le nom Van Brukseilas, elle joue avec le bois bruxellois.
Lies Van Brukseilas, son pseudo sur les réseaux sociaux, est non seulement food stylist, mais elle travaille aussi sur des projets de design 100% bruxellois. Tout a commencé il y a deux ans avec l’édition d’une planche à découper en une variété belge de marbre rouge.
«L’idée a vu le jour alors que je cherchais un polygone graphique en vue d’une peinture murale, raconte-t-elle. C’est alors que j’ai été fascinée par le plan de la vieille ville de Bruxelles, un beau pentagone. Comme j’avais travaillé pour une entreprise de marbre auparavant, j’avais déjà un certain feeling avec ce matériau. En cherchant des produits locaux, je suis tombée sur un site Web présentant tous les marbres belges.»
Ainsi est née une planche à découper correspondant aux contours de la capitale. Elle se compose de marbre Rouge royal issu de la carrière de Hautmont, près de Philippeville. «Celui-ci est caractéristique des halls des grands bâtiments bruxellois.»
‘Désormais, une partie du bois abattu en forêt de Soignes reste à Bruxelles’ – LIES VAN GINDERACHTER
Dans la foulée de cette création, Lies a suivi une formation accélérée en design industriel. Son travail de fin d’études consistait en un triptyque d’objets de cuisine: «Un plateau de service en marbre, qui représente les contours actuels de la capitale, un sous-plat métallique épousant la forme du cours original de la Senne avant son voûtement en 1867 et une planche à découper en bois dont les contours correspondent à ceux de Bruxelles en 1550.» L’année dernière, elle en a fabriqué une en bois provenant de la forêt de Soignes, selon les contours actuels de la ville.
«J’étais à la recherche de bois du coin et je suis tombée sur Sonian Wood Coop, une organisation qui vise à restreindre l’exportation, majoritairement en Asie, du bois abattu dans la forêt de Soignes. Désormais, grâce à eux, une partie de celui-ci reste à Bruxelles», explique-t-elle. De plus, cet abattage se fait de manière durable.
Tant le traitement du bois que sa découpe au laser ont lieu au sein des remparts invisibles de Bruxelles. Un projet on ne peut plus local, donc. Lies adore la ville dans laquelle elle vit depuis douze ans. De plus en plus d’initiatives hyper locales de ce genre voient le jour. A Anvers, par exemple, il y a Stadshout qui, tout comme Sonian Wood Coop, vise à transformer le bois local abattu en planches destinées à des petits projets sympas. A l’ère de la mondialisation, les matières premières locales font rêver.
Lire aussi: Design circulaire: 6 bons plans en Belgique
A l’instar de nombreux autres projets locaux, le bois de Lies raconte l’histoire d’un nouveau monde, meilleur, dans lequel l’origine de matériaux occupe une place majeure. Par ailleurs, la créatrice cherche à mettre sa ville en évidence.
«Mes créations ne sont pas de grandes déclarations sur Bruxelles, je veux simplement faire parler d’elle, car on y trouve une grande variété de personnes, de cultures, d’impressions et de lieux. Par rapport à la capitale, d’autres villes du royaume semblent très sages. Comme tous ses habitants, je nourris des sentiments ambivalents envers elle. Elle me frustre à de nombreux égards, tout autant qu’elle me stimule.»
Plus d’infos: brukseilas.be
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici