Damian O’Sullivan, pourvoyeur d’objets de luxe

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

Depuis plus de vingt-cinq ans, Damian O’Sullivan officie en tant que designer et directeur artistique pour des marques aussi diverses que prestigieuses. A la tête de son propre studio depuis 1999, il a longtemps travaillé pour Hermès, avant de passer directeur créatif de la collection Gifting chez Louis Vuitton.

Le luxe, je suis tombé dedans par hasard. J’étais en train de bricoler un objet, qui est finalement devenu un porte-cravate. Comme je connaissais quelqu’un chez Vuitton, mais que je venais de lire un article sur Hermès, j’ai décidé de le proposer aux deux. C’était il y a plus de vingt-cinq ans. Je leur avais écrit une lettre à la main – les ordinateurs n’étaient pas encore très répandus. Hermès a été plus rapide et le projet a pu aboutir. Ensuite, j’ai encore dessiné quelques sacs pour eux, puis on s’est un peu perdus de vue, avant de se retrouver après quelques années.

Enseigner m’a permis de retrouver une certaine liberté de penser. Quand je travaillais chez Philips, j’étais dans un environnement très corporate, j’avais égaré ma jeunesse d’esprit. C’était donc un bon moment pour accepter un poste de prof à la Design Academy d’Eindhoven. Ça a duré treize ans, ça m’a plu – et le contact avec les jeunes aussi, même si je n’étais moi-même pas très vieux. J’y ai rencontré beaucoup de chouettes personnalités et donné cours à des gens comme Maarten Baas. J’ai d’ailleurs gardé pas mal d’amis parmi mes anciens étudiants.

On vit à une époque où l’on possède trop de choses. Je le remarque bien à la maison, où l’on a accumulé une incroyable quantité de trucs divers. Et pourtant, je crée des objets qui ne sont pas toujours fonctionnels, comme des petites mascottes, juste pour faire plaisir ou entamer une collection. Chez Hermès, les articles sont vraiment onéreux, donc il faut que le cadeau choisi ne disparaisse pas du bureau ou de l’étagère après deux semaines – la pérennité, c’est la base de leur philosophie. Heureusement, en tant que designer, on sait quel produit relève du gadget ou pas. Au feeling.

J’aime faire des cadeaux. C’est toujours un moment particulier, où l’on pense fort à une personne, à ce qu’elle aime, tout en essayant d’être original. Trouver un bibelot à la dernière minute, c’est horrible, je déteste ça. Parfois, j’achète un truc en pensant à quelqu’un, même si son anniversaire est encore loin. Recevoir, à l’inverse, c’est parfois plus compliqué, surtout quand votre entourage n’est pas très créatif (rires). En tant que designer, on est victime de beaucoup de clichés, les gens supposent que pour vous faire plaisir, il faut forcément un cadeau très design.

Je dessine beaucoup, presque tous les jours. C’est comme un muscle, si on ne l’utilise pas assez, on perd des sensations et de la pratique. Je ne me sépare jamais d’un petit bloc-notes, j’ai toujours mon papier et mes stylos sous la main. Même en vacances, enfin, surtout en vacances. Et j’adore le papier. C’est beau, léger, abordable, et toujours chouette à travailler en prototypage : on sent tout de suite le potentiel. Tous les services Hermès que j’ai faits ont d’abord été des maquettes en papier.

Ce n’est pas à mon bureau que je trouve des idées. Quand je suis derrière l’ordinateur, je participe à un processus créatif, mais ce n’est pas là que je ponds des idées. Plutôt dans le train ou dans un café. L’endroit où j’aime particulièrement aller, c’est le JAT’Café, derrière le Palais Royal. Principalement parce qu’ils ont toujours de la bonne musique – et très fort, on dirait une boîte de nuit mais ça me met dans un bon mood, j’y vais régulièrement pour dessiner. Je travaille souvent en musique, et j’aime bien écouter la radio, enfin ça dépend de ce que je suis en train de faire.

Le fil rouge de mon travail, c’est de m’inscrire dans l’ADN des marques qui m’emploient. Plutôt que d’imposer mon point de vue, je vais essayer de trouver ce qui est essentiel pour chaque marque afin d’orienter ma création. J’ai toujours aimé la variété, le fait de collaborer avec des entreprises très différentes, même si elles ont parfois du mal à comprendre ma démarche.

Je n’ai pas vraiment de vision stratégique, d’identité de marque. Mais je suis peut-être arrivé à un stade de ma carrière où il faudrait que j’y réfléchisse un petit peu plus, parce que je pense que, visuellement, mon travail pourrait apparaître plus homogène qu’il ne l’est actuellement. Mais pour ça, il faut du temps. C’est sans doute pour cela que ça fait un moment que je n’ai pas accepté de nouveau projet.

Passer de Hermès à Vuitton, c’est un peu comme aller du Real Madrid à Barcelone. Peu de gens ont suivi ce chemin, surtout dans la créa’. J’en étais arrivé à un moment où il fallait que je m’intègre plus chez Hermès, que je prenne plus de responsabilités, et je pense qu’eux n’avaient pas trop envie de changer. Alors j’ai suivi mon instinct, même si beaucoup de gens ont tenté de m’en dissuader. C’était le bon moment.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content