Fanny Bouvry

Edito | Vivons tranquilles dans nos intérieurs épurés

Fanny Bouvry Journaliste

On est en juin 1940. Alors que le bruit des bottes fait trembler l’Europe, Charlotte Perriand s’apprête à monter dans un paquebot, à Marseille. Deux mois plus tard, l’architecte et designer, qui a travaillé avec Le Corbusier jusqu’en 1937, débarque sur une autre planète, en terre nipponne. A 36 ans, elle a été invitée par le ministère du commerce pour conseiller « la production d’art industriel du pays ». Ce voyage marquera un tournant dans son parcours professionnel, et son existence. Là-bas, chargée de son bagage moderniste et fonctionnaliste, elle appréhende la force de la tradition et de l’artisanat. Et elle revisite ses meubles aux lignes rationnelles avec des matériaux locaux, repensant notamment sa fameuse chaise longue, autrefois en métal, avec de fines lames de bambou flexibles. Mais au-delà de cette évolution dans son mobilier, la Française observe aussi au pays du Soleil-Levant une nouvelle façon d’habiter. Où la quiétude et le dépouillement sont de mises, sans pour autant signifier l’ennui et le manque de vie. « J’ai découvert au Japon, 100 % traditionnel à l’époque, le vide, le pouvoir du vide, la religion du vide, au fond, qui n’est pas le néant. Pour eux, c’est la possibilité de se mouvoir. Le vide contient tout », expliquera-t-elle bien plus tard à la radio, sur France Culture. Aujourd’hui, les créations de cette icône du XXe siècle, rééditées chez Cassina sous l’oeil avisé de sa fille Pernette que nous avons rencontrée pour ce numéro, restent des incontournables dans les aménagements d’intérieur contemporains. La vision avant-gardiste de Charlotte Perriand, qui encensait la simplicité et l’épure, mais sans le côté aseptisé et déshumanisé, fonctionne par-delà les époques et les modes.

Un foyer visuellement apaisu0026#xE9; est l’u0026#xE9;crin parfait pour que la vie s’y installe joyeusement, et sans brides.

Et c’est peut-être aussi cela qui nous a poussés à imaginer, pour ce Black Design que vous tenez entre les mains, un dossier autour de la quiétude. Celle de l’espace, celle de l’esprit, celle dont on a plus que jamais besoin en cette période chaotique à tout point de vue. Il n’est pas question ici de prôner un minimalisme clinique – même si l’appartement de Shanice Engel, en couverture de ce magazine, pousse de façon assumée la nudité spatiale à son paroxysme. Notre objectif au fil de ces pages est plutôt de démontrer qu’un foyer visuellement apaisé est l’écrin parfait pour que la vie s’y installe joyeusement, et sans brides. L’architecte Vincent Van Duysen, qui fête ses 60 ans ce mois-ci et qui nous a accordé un long entretien, ne dit pas autre chose, lui qui est pourtant réputé pour ses projets très sobres et sans fioritures. « Je garde toujours le bien-être en tête. Le confort, le sentiment de sécurité, la paix et la tranquillité. C’est un message très humaniste. Cette paix est quelque chose que j’ai toujours essayé d’injecter dans mon travail. Mais cela ne signifie pas que les gens n’ont pas la liberté de modifier cet aspect paisible de mes projets. Rien n’est plus beau qu’une bibliothèque remplie. Je déteste celles qui ne contiennent que deux livres et quelques objets décoratifs », nous confie-t-il. Charlotte Perriand approuverait certainement, elle qui n’a eu de cesse de vouloir créer pour les usagers, et pas seulement pour les yeux, et qui quelques années avant de nous quitter, en 1993, rappelait encore que « le sujet, ce n’est pas l’objet, pas le bâtiment, c’est l’homme ».

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