Erwan Bouroullec, designer: « la créativité est comme le feu… Elle peut aussi vous brûler »

Renaud Callebaut © Renaud Callebaut
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

Natif de Bretagne, Erwan Bouroullec (49 ans) vit aujourd’hui entre Paris et la Bourgogne. Après avoir collaboré avec son frère Ronan pendant plus de vingt-cinq ans, il travaille désormais seul. Sa plus grande réussite, selon lui: sa chaise Mynt créée pour Vitra.

Aller de l’avant


Beaucoup de gens ont perdu la foi dans l’ascenseur social. Comme ma mère, mon père venait d’une famille de paysans modestes. Mais ma grand-mère lui a permis de faire des études de droit, car elle voulait qu’il ait une vie meilleure et qu’elle avait foi dans le changement. Mes parents ont réagi de la même manière quand j’ai entrepris mes études d’arts plastiques. L’art et la culture n’étaient pas très présents à la maison. Mais ils ne m’ont pas empêché d’aller de l’avant.

Ignorants et insouciants…

Pour un designer, la naïveté est une force. Adolescent, j’écoutais beaucoup de groupes indépendants comme les Pixies et Radiohead. A leurs débuts, ces musiciens n’étaient pas des pros, ils faisaient tout eux-mêmes: production, enregistrement, pochettes d’album, organisation de concerts… C’est comme ça que Ronan et moi avons commencé: ignorants et insouciants. Et quand nous avons créé les ensembles de bureau Joyn pour Vitra en 2000, le président de l’époque, Rolf Fehlbaum, ne s’est pas soucié du fait que nous n’avions aucune expérience dans ce domaine. Tant que nous faisions quelque chose dans lequel nous croyions.

Travail collectif

Je me sens plus proche de Marco Polo que de Christophe Colomb. Ce dernier n’avait qu’une seule obsession: traverser l’Atlantique pour atteindre l’Inde. Polo, quant à lui, était plutôt un observateur qui a acquis ses connaissances par la pratique. Personnellement, je n’aime pas l’idée du designer qui planche seul dans son coin et crée un big bang. Mon plaisir, c’est de travailler avec des gens au sein d’une entreprise, avec des ingénieurs et des spécialistes du marketing. Avec toute l’humilité que cela implique.

«Je n’aime pas l’idée du designer qui planche dans son coin et crée un big bang.»

Conflit d’égos

La créativité est comme le feu. Elle libère des quantités folles d’énergie, mais elle peut aussi vous brûler. C’est ce qui nous est arrivé. A un moment donné, avec mon frère, nous étions tellement convaincus de l’importance de nos propres idées que nos egos ont pris le dessus et que nous ne nous respections plus l’un l’autre. Nos rapports sont devenus tellement explosifs que je n’ai pas eu le choix: notre collaboration a dû prendre fin.

Une invitation

Le design façonne la vie sociale. Si quelqu’un vous offre une tasse de café, c’est une invitation à partager un moment ensemble. Tout ce qui nous entoure guide notre comportement. Le problème, c’est que le design en fait parfois trop: il influence notre manière de nous tenir et peut devenir limitatif. Prenez la chaise de bureau Aeron d’Herman Miller, on ne peut qu’être productif si on s’assied dessus. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. Ma chaise Mynt pour Vitra vous laisse la liberté de vous détendre, de manger ou de travailler.

Progrès versus menace

L’industrialisation est une arme à double tranchant. Elle a apporté le progrès: les biens sont plus qualitatifs, mieux adaptés à nos besoins et plus durables. Mais elle menace notre civilisation car nous n’avons presque plus besoin de faire appel à notre capacité naturelle d’empathie. Autrefois, nous commandions ce dont nous avions besoin chez des couturières et des ébénistes. Il y avait une interaction et une bienveillance mutuelle. Si la couturière n’avait pas le tissu que vous vouliez, vous cherchiez une alternative. Aujourd’hui, nous acceptons encore que le goût du vin puisse varier selon le climat. Mais dans d’autres domaines, la compréhension de ce type d’aléas se perd.

Vive la campagne

Le singe qui sommeille en nous a besoin de sensations. On peut voir notre corps comme une sorte d’IA qui traduit les stimuli en sensations. En ville, nous ressentons moins les choses. Le sol est toujours dur, les matériaux se ressemblent tous et nous sommes enfermés dans des bâtiments qui nous permettent à peine de remarquer les changements du climat. C’est pourquoi j’aime retourner à la campagne en Bourgogne. Parce que j’ai envie de ressentir le vent, la pluie, la boue et le gel.

L’essence du design

L’apprentissage permanent est l’une des plus belles choses de la vie. Les jeunes designers conçoivent souvent leur projet dans l’optique d’une production de masse. En réalité, il est rare que cela se passe car les méthodes de production ne sont pas universelles: chaque entreprise a sa façon de travailler. Il faut donc analyser l’environnement où l’on se trouve, déterminer quelles sont ses ressources et agir à partir de là: de quoi les gens ont-ils besoin et comment peut-on les satisfaire? L’essence du design, c’est que quelqu’un fabrique quelque chose pour quelqu’un d’autre.

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