India Mahdavi: « Je pense avoir choisi le bon métier au bon moment »

© ANTOINE DOYEN

Son décor rose vif pour le restaurant londonien Sketch a fait le tour de la Toile… mais cette architecte d’intérieur et designer parisienne, d’origine irano-égyptienne, a bien d’autres talents que celui d’affoler Instagram! La publication récente de sa première monographie en est la preuve.

Je me suis toujours définie comme polyglotte et polychrome et je dois dire qu’aujourd’hui, avoir des origines exotiques et cosmopolites est tout à mon avantage – j’ai l’impression de cocher toutes les cases. Mais ce milieu reste très masculin – du commanditaire aux ouvriers en passant par tous les métiers intermédiaires – il requiert, en tant que femme, un engagement total et une certaine résistance. Les projets qu’on me propose sont souvent de petite taille mais malgré cela, je pense avoir réussi à imposer une esthétique personnelle et reconnue.

Je suis le fruit de deux cultures: égyptienne et iranienne. Les Egyptiens sont un peuple de la plaine, ils vivent au flux du Nil et ont un caractère plus doux. L’Iran est un pays beaucoup plus montagneux et tribal, ce qui se traduit par un tempérament plus affirmé. Je porte en moi ces deux traits. J’aime bien aussi me définir par rapport à mes deux grand-mères. L’une, égyptienne, était ce qu’on peut appeler aujourd’hui une « socialite » mais aussi une féministe avant l’heure, fumant le cigare, s’habillant haute couture. Elle a aussi été l’une des premières femmes à conduire en Egypte. Ma grand-mère iranienne était une femme très indépendante issue de la dynastie Qadjar, amenée à gérer seule les terres familiales. Je viens moi-même d’une famille de cinq enfants et mes parents ont élevés garçons et filles de la même façon. Ils nous ont donné une éducation libérale et progressiste.

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Mon rêve eut été de devenir réalisatrice. Après le lycée, j’ai passé une année à aller au cinéma trois fois par jour. Cela a été une bonne école, une façon d’aiguiser mon regard et de lui donner ce sens cinématographique que j’utilise dans mon travail. C’est d’ailleurs pour cela que les lieux que je dessine sont très instagrammables même si j’accorde énormément d’importance à un plan bien pensé, à une circulation fluide et au confort. Ce n’est pas seulement une belle image.

L’architecture d’intérieur permet de s’exprimer d’une manière beaucoup plus libre que l’architecture, que j’ai abandonnée après avoir passé mon diplôme d’architecte. J’ai eu la chance de travailler auprès de Christian Liaigre qui a été mon mentor, il m’a appris le sens du détail, l’importance des matières et des textures. J’ai ouvert mon studio en 1999 et mon style s’est peu à peu défini et construit autour de la couleur. Je pense avoir choisi le bon métier au bon moment.

Un intérieur, c’est une façon de communiquer sans paroles. Enfant, j’ai vécu en Iran, aux Etats-Unis, en Allemagne et en France. J’ai changé onze fois d’école et trois fois de langue. C’est sans doute le fait de n’avoir jamais pu me poser durablement qui m’a poussée vers ce métier qui consiste à refaire des lieux et qui explique pourquoi je vis depuis vingt-cinq ans dans le même appartement. J’ai eu souvent envie de repartir mais en même temps, mon métier me permet de voyager suffisamment donc je suis toujours heureuse de rentrer chez moi. Je m’y suis entourée de choses que j’aime et qui me définissent: des oeuvres d’art, des prototypes de meubles, des souvenirs

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Quand on a passé son enfance à déménager, on devient un caméléon, on s’adapte rapidement aux situations et on n’a pas peur de l’autre. Mon père iranien et ma mère égyptienne ont tous deux fui leur pays et ont été témoins de deux révolutions chacun. Je porte en moi le poids de leur histoire, même si j’ai eu la chance de grandir en France. Cette existence nomade et cosmopolite m’a aussi appris à avoir une intelligence des situations, des lieux et de comprendre ce qu’on attendait de moi – c’est qui est un véritable atout dans mon métier.

Les motifs d’inquiétude ne manquent pas dans le monde, ça semble banal mais ce sont de réelles inquiétudes: le réchauffement climatique, l’écart croissant entre les plus fortunés et les plus démunis, la situation difficile au Moyen-Orient, notamment en Afghanistan. Récemment, j’ai lancé une production de verres au Liban, ce qui a permis la réouverture des ateliers de Tyr et le succès venant, de faire vivre une soixantaine de familles. J’ai le projet de créer un fonds de dotation pour ouvrir un programme de soutien aux jeunes femmes dans ces régions.

Les jeunes posent sur le monde un regard plus ouvert. Ils sont plus tolérants, plus indépendants et moins dans le jugement. Cela me fait dire que la génération de mon fils, qui a 25 ans, est infiniment plus adaptable que la mienne. Pour elle, rien n’est gravé dans le marbre, elle n’a aucun mal à passer à autre chose tandis que ma génération choisissait ses études et suivait le même cap toute sa vie durant.

India Mahdavi by India Mahdavi, éditions Chronicle Books, india-mahdavi.com

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