A Bali, le Belge David Tiange s’est entouré d’un architecte local et d’artisans balinais pour imaginer un projet exemplaire de réemploi, de préservation du patrimoine et de régénération de la nature. Résultat: une maison traditionnelle à l’âme pure.
Si l’on compare la forme de Bali à une poule en train de pondre un œuf, alors David Tiange et sa famille habitent sur la gauche, juste au-dessus de la patte. Cela fait trente ans que toute la côte sud-ouest de l’île, dont Canggu fait partie, est en plein développement. Aujourd’hui, c’est devenu un véritable carrefour d’entrepreneurs, d’artistes, de nomades digitaux et de personnes en quête d’une pause dans la frénésie du quotidien. «Un microcosme, résume David, originaire de Wépion.
L’atmosphère est jeune, dynamique, presque cosmopolite. C’est un véritable vivier d’initiatives autour du yoga, de la méditation, du bien-être. Et comme la nature est généreuse en fruits et légumes, les végétariens y trouvent facilement leur bonheur. Sans parler de la culture locale, des temples, des artisans et des artistes.» Mais si l’île a éveillé son intérêt, c’est pour une autre raison. «Nous avons déménagé ici pour la Green School, une école fondée par les entrepreneurs canadiens John et Cynthia Hardy, et qui existe aussi en Nouvelle-Zélande, au Mexique et en Afrique du Sud. Le campus est entièrement construit en bambou. Il n’y a pas de murs, les enfants sont donc en contact permanent avec la jungle. Le programme scolaire y est expérimental, basé sur l’apprentissage par l’expérience, l’environnement et l’esprit d’entreprise. C’est exactement ce qu’il fallait pour nos enfants.»
Besoin d’une pause
Petit retour vers le début de l’année 2020. Cela fait alors vingt ans que David a quitté la Belgique. Diplôme d’ingénieur civil en poche, il part à la fin des années 1990 à Shanghai pour apprendre le chinois. Il y restera finalement quinze ans, vivant aux quatre coins du pays, fondant une famille avec sa compagne japonaise Takami. Plus tard, le couple s’installe au Japon puis en Suède, toujours au gré des missions confiées par Husqvarna, l’entreprise pour laquelle David travaille. «Tout s’est enchaîné un peu par hasard. Nous avons saisi les opportunités lorsqu’elles se sont présentées», résume-t-il. Jusqu’au jour où l’usure se fait sentir. «Un matin, j’ai dit à Takami qu’il était temps de faire une pause. Je voulais ne pas travailler pendant un an, voire deux.»
A bord de ce qui sera sans doute l’un des derniers avions avant que l’espace aérien ne ferme à cause de la pandémie, David lit un article sur la Green School dans un magazine. «Nous avons contacté l’école, et fin juin, nous avons déménagé de la Suède à Bali.»
Une construction qui se fond dans le décor
Une fois la famille installée sur l’île, David suit en ligne un cours de développement régénératif. Ce concept transforme sa façon de penser, et oriente également le projet Greenest, la maison familiale. «Ici, autour de nous, le béton est la norme, avec ces villas méditerranéennes qui n’ont rien à faire dans ce paysage. Le développement régénératif, c’est l’inverse: il tient compte de l’environnement. Il s’agit de percevoir le potentiel d’un lieu et de tout mettre en œuvre pour raviver la vie, le sens et l’énergie qui y existaient. C’est bien plus que de la construction durable», explique-t-il.
A l’issue d’une marche à pied de dix jours à travers Bali, du nord au sud, David perçoit ce potentiel dans deux éléments: la nature luxuriante et les riches traditions artisanales de l’île. «Nous avons logé chez des paysans et des artisans. On comprend très vite à quel point chacun ici s’appuie sur des structures communautaires. Mais celles-ci sont aujourd’hui menacées par l’exode rural vers les zones touristiques. Nous voulions donc créer un projet à dimension communautaire.»
Une rencontre, un coup de cœur, un achat
Comme le hasard a souvent orienté sa carrière, il est aussi à l’origine de Greenest. A Ubud, le Belge entre dans une galerie et tombe sous le charme d’un joglo, une maison traditionnelle indonésienne en bois, cachée dans le jardin. Le propriétaire, Tony Hartawan, est architecte de formation. Il accepte de participer au projet. Il en dessine les plans, coordonne l’exécution et réunit un collectif d’artisans, locaux et expatriés, qui façonnent ensemble l’âme du lieu. «Nous avons partagé nos valeurs et notre vision. Ensuite, chacun a eu carte blanche. C’était parfois angoissant, je l’admets. Mais c’est précisément ce lâcher-prise qui a enrichi le projet.»
Une maison sur pilotis mais solide sur ses appuis
Contrairement aux apparences, la structure sur pilotis de la maison a été construite sans béton ni ciment. A la place, du bois de fer (ironwood), une essence tropicale dense, imputrescible et résistante aux termites, a été récupérée d’anciennes voies ferrées, de piliers de ponts et de quais portuaires. Certains morceaux portent encore les traces de coquillages marins.
‘La structure sur pilotis est en ironwood, récupéré de voies ferrées, de ponts et de quais.’
L’étage supérieur provient de Java: «C’est une maison en teck de 1907, un modèle limasan. Les anciens propriétaires étant décédés, leurs enfants ne savaient qu’en faire. Nous l’avons démontée pièce par pièce pendant deux jours, avant de la reconstituer ici, comme un jeu de Lego. C’était fou de voir toute la structure tenir dans un seul camion.»
Place aux artistes
A l’intérieur de cette interprétation contemporaine d’un compound balinais, David et Takami ont façonné un manifeste du wabi-sabi. La beauté de l’imperfection, la patine du temps, le choix méticuleux de quelques pièces essentielles. Le linge de maison provient d’un atelier qui emploie des femmes rejetées par leur communauté. Les luminaires ont été fabriqués sur place à partir de fibres de feuilles de bananiers. Les œuvres d’art sont locales. A quelques exceptions près, chaque objet a eu une vie antérieure. Comme cette pierre bleue, aujourd’hui utilisée comme table d’appoint: «Elle vient de Belgique, de Soignies. A l’époque coloniale, les Néerlandais utilisaient ces pierres comme ballast pour équilibrer les bateaux. C’est pour cela qu’on en retrouve en Indonésie.»
Une rizière devenue jardin comestible
La limasan surplombe fièrement les toits neufs du voisinage et les palmiers de la jungle-jardin familiale. Ce jardin, lui aussi, est entièrement nouveau. A l’origine, il s’agissait d’une rizière épuisée par des années de pesticides. «Un ethnobotaniste à la retraite nous a aidés à identifier les plantes locales et à concevoir un jardin comestible selon les principes de la permaculture. Nous avons aussi impliqué l’école du quartier. Parfois, les enfants viennent cueillir ici des plantes qu’ils avaient l’habitude de manger. C’est ça, la pensée régénérative: redonner vie à un endroit où elle avait disparu.»
Et les Balinais, que pensent-ils de Greenest? «C’est comme dans n’importe quel village en Belgique: «Tu as vu ce qu’ils ont construit là?» Il y a une petite rivalité entre les anciens propriétaires terriens sur celui dont le domaine familial a les plus belles maisons. La famille à qui nous avons acheté ce terrain habite un peu plus loin. Chaque jour, l’un d’eux vient faire une offrande à l’autel de notre propriété. Chaque maison en possède un, tourné vers le nord. Ils y prient les esprits pour qu’ils nous protègent. Ils sont donc fiers que quelque chose de différent ait vu le jour ici, quelque chose qui s’accorde davantage à l’âme de cette terre.»
David Tiange (52 ans) et Takami Yoshikawa (50 ans)
– David naît et grandit à Wépion, près de Namur.
– À la fin des années 1990, après des études d’ingénieur civil à Liège, il s’envole pour Shanghai afin d’y apprendre le chinois. Il y décroche un emploi dans une entreprise belge spécialisée dans les outils diamantés pour la taille de la pierre et du béton, aujourd’hui intégrée au groupe Husqvarna où il travaille.
– En Chine, il rencontre Takami, son épouse japonaise originaire d’Okinawa. Ensemble, ils ont deux enfants adolescents. Le couple a vécu en Chine, au Japon, en Suède, et il est établi à Bali depuis 2020.
Sheila Man / Living Inside Agency
Le carnet d’adresses balinais de David et Takami
Se restaurer:
- Locavore NXT: Une table gastronomique près d’Ubud, l’un des cinquante meilleurs restaurants d’Asie. Possibilité de loger. @locavorenxt
- Yema Kitchen: Une incursion raffinée du Moyen-Orient à Canggu. Boutique et projections cinéma en prime. @yema.bali
- Home: A Pererenan, le chef Wayan propose une cuisine balinaise moderne d’exception. @home.by.chefwayan
- Ulekan: Une adresse incontournable de la cuisine indonésienne hors de Denpasar. @ulekanbali
A faire:
- Visiter le village authentique de Pinge à Tabanan, loger à Rumah Desa et passer une journée avec le guide Pak Wayan. @rumahdesabali
- Explorer Bali et l’agriculture régénérative avec Astungkara Way. @astungkaraway_trails
- Se purifier dans les eaux sacrées du temple Pura Mengening, à Banjar Sareseda (Tampaksiring), plus intime et photogénique que le très fréquenté Pura Tirta Empul.
- Découvrir la région de Sidemen, au pied du mont Agung, en séjournant à Subak Tavola. @subaktabolavillasidemen
A voir:
- Othree Beach Bar: Le lieu parfait pour admirer le coucher de soleil sur Echo Beach, à Canggu. @othreebeachbar
Déco et design:
- Jia Collective: Une boutique près de Dalung, avec une jolie sélection de créations locales. @jia.collective
- Rüsters: Atelier de céramique, torréfacteur, boulangerie, bistrot et galerie de mobilier, à Ubud. @rustersbali
- TonyRaka Art Lounge: La galerie d’art de Tony Hartawan, architecte du projet Greenest, passionné d’art et restaurateur dans le village de Mas, près d’Ubud. @tonyrakaartlounge