Visite exclusive d’une villa moderniste près d’Anvers, joyau architectural signé Jozef Schellekens

maison moderniste Jozef Schellekens
Schellekens a fait bâtir deux maisons modernistes contiguës avec son ami, l’écrivain et peintre Theo Op de Beeck. Son habitation (à gauche) est la mieux conservée des deux. © Jan Verlinde

Située à Turnhout, cette maison de l’architecte Jozef Schellekens, avec son mix de tons vifs, de pièces compactes et de lumière naturelle, est une perle d’architecture moderniste. Pour ses habitants, «vivre ici est un cadeau».

Les couleurs vives, le carrelage particulier, l’agencement des fenêtres… Pour un architecte d’intérieur, vivre dans une maison aussi singulière que celle de Jozef Schellekens doit représenter un véritable défi, d’autant qu’elle est classée monument protégé.

L’interdiction d’apporter toute modification tant à l’intérieur qu’à l’extérieur n’est-elle pas terriblement frustrante?

«Je ne ressens aucunement le besoin de marquer ce lieu de mon empreinte», confie Rik Hendrickx, architecte d’intérieur chez Architects In Motion (AIM). Grâce à son demi-frère, Luc Van Hout, propriétaire des lieux, l’intéressé occupe depuis deux ans la maison que Jozef Schellekens s’est fait construire à Turnhout en 1934.

«Cette demeure m’a permis de constater que c’est un bonheur d’être entouré d’autant de couleurs, à une époque où le beige est généralement considéré comme chic et actuel.»

Un cloisonement réussi

Tout aussi agréable pour l’habitant est le fait de vivre dans des pièces de plus petite taille: «C’est très différent des espaces ouverts qui sont en vogue. Ces pièces séparées sont idéales tant d’un point de vue énergétique que pour l’intimité, car chaque membre de la famille dispose ainsi de sa propre pièce.»

A titre d’exemple, le bureau de Jozef Schellekens fait désormais office de salle TV, la pièce dans laquelle il dessinait est le bureau du fils de Rik. «Une cuisine ouverte ne me tente pas, d’autant que le passe-plat permet le contact avec la table de la salle à manger. De plus, ma vaisselle sale n’est pas apparente», précise-t-il.

Salle a manger maison moderniste Jozf Schellekens
La salle à manger et le passe-plat dans la cuisine. Les couleurs de Schellekens étaient inhabituelles pour l’époque. Copyright : Jan Verlinde

Le défi de la restauration

En 1933, Jozef Schellekens (1909-1963) termine ses études d’architecture à l’Académie d’Anvers, aux côtés de Léon Stynen et de Renaat Braem. Il est le premier de sa promotion. En 1935, il fait construire sa maison le long de la Steenweg op Mol. Faute de moyens, Theo Op de Beeck, un ami écrivain et peintre, et lui décident de faire bâtir deux maisons contiguës, dont la façade commune est de style cubiste.

Mais l’intérieur de la maison de Jozef Schellekens est nettement mieux conservé. Et ce, grâce à son propriétaire, Luc Van Hout, un passionné qui a restauré le fameux faux plafond, appliqué les couleurs originales et remis les sols à nu. Une telle demeure nécessite constamment des travaux.

Un des défis majeurs consistait à mettre du double vitrage à la place du simple vitrage des châssis en acier. Autre achoppement: remplacer les bandes de marbrite qui caractérisent les linteaux de fenêtres de cette maison.

En effet, il est difficile de trouver ces briques de verre colorées de fabrication belge, une spécialité des anciennes Verreries de Fauquez.

Jozef Schellekens utilisait le hall d’entrée à double hauteur et la mezzanine comme atelier d’artiste.
Jozef Schellekens utilisait le hall d’entrée à double hauteur et la mezzanine comme atelier d’artiste. © Jan Verlinde

Traité de modernisme belge

Cette maison est entrée dans l’histoire de l’architecture belge en tant qu’exemple précoce de la Turnhoutse School, un mouvement architectural moderniste qui a fleuri à la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Grâce à cette bâtisse, Jozef Schellekens a fait un énorme «statement» dans cette région», raconte Rik Hendrickx.

Sa réalisation était tellement innovante et unique pour cette période que le concepteur était incompris. Il n’aura pas eu la carrière éblouissante qu’il avait espérée. En 1937, il pose sa candidature à un poste d’architecte provincial à Anvers.

Il dessine surtout des écoles et des maisons communales et réalise occasionnellement une création originale comme le magnifique bâtiment sur la plage du Zilvermeer à Mol, en 1958. Il y mourra inopinément cinq ans plus tard, alors qu’il y passait des vacances.

L’utilisation de la couleur rend cette maison unique. Le carrelage balise les différentes zones. La fresque est de Schellekens lui-même.
L’utilisation de la couleur rend cette maison unique. Le carrelage balise les différentes zones. La fresque est de Schellekens lui-même. © Jan Verlinde

Bien que les couleurs de sa maison soient joviales, légères et énergiques, la vie de l’architecte n’a pas été toute rose ; son épouse est morte en couches lors de la naissance de leur quatrième enfant.

Ainsi, il est devenu veuf avant même d’atteindre l’âge de 30 ans. Il ne tardera pas à rencontrer sa deuxième épouse, qui aimait l’homme, mais pas sa maison. Sous son influence, leur habitation a connu de profondes transformations, plus proches de ses goûts bourgeois.

Le hall d’entrée majestueux, où l’architecte faisait patienter ses clients, est la pièce qui a subi les changements les plus significatifs, notamment un plafond qui sépare en deux le hall à deux étages doté de magnifiques fenêtres. Résultat: moins d’ouverture, moins de lumière.

«Schellekens a eu deux autres enfants avec sa seconde épouse. Six mômes se côtoyaient donc dans cette maison compacte. Cela n’a pas dû être évident», présume l’habitant.

L’atelier de dessin de Schellekens, avec ses fenêtres en acier caractéristiques.
L’atelier de dessin de Schellekens, avec ses fenêtres en acier caractéristiques. © Jan Verlinde

Une affaire de famille

Paul, un des fils de Jozef, est devenu architecte lui aussi. Il a travaillé en tant qu’associé dans le bureau de feu son beau-frère, Carli Vanhout, le mari de la fille aînée de Jozef, Mia Schellekens. C’est ainsi qu’est né le bureau «architecten Vanhout & Schellekens», un des piliers de la Turnhoutse School.

Plus tard, Luc, le fils de Carli, a repris le bureau et l’a rebaptisé Architects In Motion (AIM).

«Luc est mon demi-frère, précise Rik Hendrickx. Comme ma mère s’est remariée avec le père de Luc, Carli, je suis un parent éloigné de Jozef Schellekens. Luc m’a demandé de diriger le département intérieur de son bureau d’architectes. A l’époque, j’ai quitté Bruxelles pour la Campine, pour cette fonction. Et pour cette maison. J’ai vu cela comme un cadeau. Vivre ici m’inspire beaucoup.»

Même la chambre bénéficie de tons forts. Copyright : Jan Verlinde

Jozef Schellekens (1909-1963)

Il termine ses études d’architecture à l’Académie d’Anvers en 1933.

Il étudie aux côtés de Léon Stynen et de Renaat Braem.

Il est membre de la Turnhoutse School.

En 1937, il est engagé comme architecte provincial à Anvers. Il dessine surtout des écoles et des maisons communales.

Parmi ses créations originales, on compte le théâtre en plein air Rivierenhof à Deurne et le bâtiment sur la plage du Zilvermeer à Mol.

jozefschellekens.be

aim-architecten.be

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