La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique

chez Fabienne Kriwin © Miguel Etchepare
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

La créatrice bruxelloise puise son inspiration partout, dans ses balades, ses voyages, sa vie de tous les jours. Elle nous a ouvert les portes de son jardin secret, où elle vit et imagine ses collections de bijoux. Un très zen pavillon des années 60, aménagé de façon contemporaine, avec supplément d’âme.

Dans ce couloir qui mène au bureau, un joli jeu de transparences et de miroirs. Sur l'étagère du fond, une sculpture de Berrocal.
Dans ce couloir qui mène au bureau, un joli jeu de transparences et de miroirs. Sur l’étagère du fond, une sculpture de Berrocal.© miguel etchepare

Dans la vie de Fabienne Kriwin, il n’y a pas vraiment de hasards, plutôt des envies et une bonne dose d’intuition. Comme celle qui la poussa à abandonner ses études de droit, après trois années, pour développer sa propre marque de vêtements, César et Rosalie.  » Une expérience magnifique qui dura quinze ans, sourit-elle. Mais le fait qu’il faille suivre les saisons, ça demande une énergie énorme, tout est toujours fait dans l’urgence. Je sentais le besoin de ralentir, de réaliser des choses plus intemporelles. C’est pour cela que je me suis lancée dans les bijoux, en autodidacte, il y a de ça douze ans.  »

C’est également ce sens inné qui lui souffle de bifurquer de temps à autre pour rester en phase avec elle-même qui l’emmena, il y a quelques années, dans ce pavillon situé dans le Brabant flamand, à quelques encablures de Bruxelles.  » On vivait à l’époque dans un logement tout en hauteur, avenue de la Floride, à Uccle. C’était une habitation pleine de charme, de grandes terrasses extérieures, avec une glycine… Mais j’aime beaucoup chiner et c’était assez chargé. J’avais envie de changement, d’un espace plus zen et de plain-pied. Cela correspondait à une évolution chez moi. Et je désirais par ailleurs être dans la nature, j’adore m’y balader, elle m’inspire. C’est en rendant visite à une amie que je suis tombée amoureuse de l’endroit. Le lendemain, c’était fait !  »

Le salon abrite une table en métal fabriquée sur mesure, une cafetière du sculpteur Arman et, au-dessus du feu ouvert, une photo signée Berenice Abbott.
Le salon abrite une table en métal fabriquée sur mesure, une cafetière du sculpteur Arman et, au-dessus du feu ouvert, une photo signée Berenice Abbott.© miguel etchepare

Il faut dire que le lieu a des atouts pour séduire. Implanté au bout d’une allée privée, en recul de la rue, il est isolé des voisins et bénéficie d’un environnement très vert. Quant à l’orientation, elle est idéale puisque l’arrière profite du soleil dès midi.  » Ce projet des années 60 est l’oeuvre de Jean Van Hufflen. Tout juste diplômé de La Cambre, il a construit cette maison, sa première, pour lui-même. Il y avait accolé une deuxième, pour son père. Nous avons réuni ces deux entités. Cela dit, tout était très bien pensé à la base. Il y avait de belles baies et de la lumière partout « , se souvient notre hôte en nous montrant un étonnant mur extérieur fait de galets, une tentative du concepteur du bâtiment, qui s’arracha tellement les cheveux sur la composition qu’il ne réitéra plus jamais l’expérience…

C'est sur cette table XXL en chêne que Fabienne Kriwin étale les pierres d'où naissent ses bijoux. A l'arrière-plan, une photo de William Wegman et une sculpture Chiens de Robert Michiels.
C’est sur cette table XXL en chêne que Fabienne Kriwin étale les pierres d’où naissent ses bijoux. A l’arrière-plan, une photo de William Wegman et une sculpture Chiens de Robert Michiels.© miguel etchepare

Mariage d’époques

Inondés de soleil, les espaces de vie ont été davantage décloisonnés lors de la rénovation. Toutes les pièces s’organisent autour d’un petit patio central, qui apporte lui aussi son lot de lumière et peut être traversé, en été, pour passer plus rapidement d’un bout à l’autre du volume. La fluidité des déplacements, la perméabilité entre l’intérieur et le jardin et les jeux de transparence sont donc privilégiés dans l’ensemble du projet, mais en veillant néanmoins à garder des parties plus intimes pour les différents membres de la famille. Ainsi, la zone des enfants, aujourd’hui devenus grands, est située un peu à l’écart, un demi-niveau plus haut.  » C’est le Bruxellois Jacques Van Haren qui a mené cette transformation, explique notre guide du jour. Nous avions vu d’autres architectes, qui étaient plutôt spécialisés dans les bâtisses anciennes et ils ne comprenaient pas ce que nous voulions. Lui a très bien saisi la chose. Il a misé sur un esprit loft contemporain mais en conservant une ambiance chaleureuse.  »

Dans le hall d'entrée, trône une monumentale céramique émaillée signée Kristina Riska. Sous la photo d'Henri Tuteur, un bureau du designer Ico Parisi, une sculpture en Plexi d'Arman, et une chaise jaune de Charles Eames.
Dans le hall d’entrée, trône une monumentale céramique émaillée signée Kristina Riska. Sous la photo d’Henri Tuteur, un bureau du designer Ico Parisi, une sculpture en Plexi d’Arman, et une chaise jaune de Charles Eames.© miguel etchepare

C’est dans cette même optique que la déco a été choisie, mêlant icônes du design, meubles sur mesure – notamment pour les rangements et tablettes en bois dans le dressing et la salle de bains, ou encore pour le canapé du coin télé – et mobilier vintage.  » Depuis que j’ai 20 ans, je vais très souvent dans le quartier de la place du Jeu de Balle, à Bruxelles. On y trouve des choses extraordinaires. J’apprécie particulièrement les meubles scandinaves en bois, très sobres, très légers mais toujours présents. Pour cet aménagement, j’ai mélangé le contemporain et l’ancien, ça crée une atmosphère. Chaque élément a une histoire, une patine, qui donne un supplément d’âme « , nous dit-elle.

Dans le hall de nuit, les plaques en alu conçues par l'artiste américain Christian Eckart contrebalancent l'omniprésence du blanc aux murs.
Dans le hall de nuit, les plaques en alu conçues par l’artiste américain Christian Eckart contrebalancent l’omniprésence du blanc aux murs.© miguel etchepare

Les teintes jouent également un rôle important dans la composition puisque l’omniprésence du blanc aux murs est contrebalancée par des oeuvres parfois très colorées, à l’image des plaques en alu du hall de nuit, signées par l’artiste américain Christian Eckart.  » Mon père avait une galerie ; j’ai baigné dans l’art depuis ma tendre enfance et je suis très sensible à cela. J’admire des artistes cotés tels qu’Anish Kapoor, Charles Francis Richter, Alexander Calder, etc. Mais je fonctionne surtout au coup de coeur.  » Comme avec ce haut pot en céramique qui décore son entrée et dont elle adore la texture, lui évoquant… la peau d’un éléphant.

Harmonie de couleurs

Le séjour illustre parfaitement ce côté contemporain, agréable et chaud à la fois voulu par la maîtresse des lieux. La grande cuisine ouverte sur la salle à manger, dotée d’une table en bois XXL, témoigne du plaisir que prend Fabienne Kriwin à recevoir ses amis et faire la fête en ces murs.  » J’aime cuisiner mais c’est plus convivial si on peut rester avec ses invités.  » Le salon, plus douillet et équipé d’un beau feu ouvert répond, lui, au besoin de nesting et de tranquilité que recherche cette adepte de la solitude positive.  » Ça ne me fait pas peur, j’en ai besoin pour créer. C’est une ressource, que ce soit ici face au jardin ou en promenade.  »

Régulièrement, Fabienne Kriwin s’installe devant sa longue table, dans la salle à manger, ou dans son bureau, en fonction de la lumière, et y étale ses pierres. Elles sont la base de son travail. C’est de celles-ci que naissent les idées, puis les bijoux.  » Je pars de ces dernières avec l’objectif de les mettre le mieux possible en valeur, de faire des montages et des sertis qui les laissent parler, qu’elles ne soient pas étouffées par trop d’or. Je fais des croquis et puis, pour les proportions, j’utilise de la plasticine. Afin de concrétiser cela, je travaille avec des artisans joailliers, tout est fait en Belgique, souvent en or brossé.  » Quand on la lance sur le sujet, la créatrice est intarissable, joignant bien souvent le geste élégant à la parole. Et on comprend que si elle imagine ces bagues, boucles d’oreilles ou bracelets, c’est d’abord par passion.  » Ce qui prend beaucoup de temps, et que j’adore faire, c’est l’assemblage des couleurs différentes, poursuit-elle avec un regard qui en dit long sur son bonheur d’avoir choisi cette voie professionnelle. C’est très particulier car il suffit de changer une pierre pour modifier complètement le collier. C’est un équilibre à trouver et ça prend énormément de temps pour atteindre l’harmonie. Parfois, je laisse cela sur le côté et j’y reviens ensuite avec du recul.  »

Le mur en galets du jardin a donné du fil à retordre à son concepteur. A l'avant-plan, une lampe scandinave vintage chinée.
Le mur en galets du jardin a donné du fil à retordre à son concepteur. A l’avant-plan, une lampe scandinave vintage chinée.© miguel etchepare

Mémoire vive

Son inspiration, elle la puise d’abord dans la nature autour d’elle. Elle ne note rien, elle garde simplement en tête des formes, des impressions, des sensations, des accords de tons… Et puis, ils ressortent le moment venu, comme ça, elle ne l’explique pas.  » Je suis tout le temps en train de créer. Je suis très visuelle. J’ai mon oeil accroché en permanence et je mémorise, je n’utilise pas de carnet de notes. Ça s’ancre et puis ça refait surface quand j’ai une envie. C’est un processus que j’ai en moi, malgré moi. Et ce n’est pas fatiguant car cela m’enrichit « , confie notre interlocutrice. Et d’ajouter que les bijoux anciens sont également pour elle une réserve inépuisable pour titiller son imagination.  » Comme ma mère, je suis fan de ces accessoires venus d’un autre temps, notamment de tout ce qui est ethnique, en provenance d’Inde entre autres. A l’image de mon aménagement d’intérieur, le mieux pour moi est d’associer, dans mes bijoux, le passé et le présent, cela donne un résultat intemporel. Je ne suis pas les modes. Je conçois des pièces pérennes qu’on peut se transmettre.  »

Une sculpture en papier mâché de Jean-Jules Chasse-Pot, autre preuve de la sensibilité de Fabienne Kriwin pour l'art.
Une sculpture en papier mâché de Jean-Jules Chasse-Pot, autre preuve de la sensibilité de Fabienne Kriwin pour l’art.© miguel etchepare

Enfin, si Fabienne Kriwin apprécie se blottir dans son antre secret et verdoyant, aux portes de notre capitale, et jouer les casanières avec son grand chien blanc qui la suit partout dans son logement, elle n’hésite pas non plus à boucler ses valises le plus souvent possible. Direction le Brésil, l’Inde ou encore l’Italie, pour  » rencontrer  » ses pierres, comme elle dit… mais aussi pour le plaisir de découvrir de nouveaux horizons et d’enrichir son imagier mental, qui lui permettra plus tard, quand un souvenir jaillira, de faire évoluer ses collections.  » Ma ligne Circle vient par exemple de petites fenêtres que j’ai vues au Maroc. Et j’ai ramené du désert de l’Atlas une grande vague. Voir comment les gens vivent, leurs traditions, leur artisanat, a beaucoup d’impact sur moi. Je privilégie les endroits non touristiques, comme en Grèce, sur l’île de Patmos qui est très sauvage et préservée. J’ai le projet d’y acheter un pied-à-terre.  » Sa prochaine destination ?  » Je rêve d’aller au Japon « , répond-elle. Nul doute que ce pays pourra nourrir son inspiration et faire écho à cette zénitude qui habite sa maison, et toute sa personne.

La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique
© frédéric raevens / sdp

Un autre havre de paix

Si Fabienne Kriwin travaille souvent chez elle, elle a ressenti le besoin, il y a pile deux ans, de trouver un endroit où mieux exposer son talent. Alors qu’auparavant, elle présentait ses collections essentiellement lors de ventes privées ou dans quelques enseignes, elle dispose désormais d’une boutique rien qu’à elle, à Ixelles.  » J’avais déjà repéré ce bâtiment, il m’attirait. C’est une ancienne bâtisse, avec de hauts plafonds, trois pièces en enfilade, un petit jardin, une belle lumière car il y a une grande baie vitrée. C’est un espace où je me sens bien, comme à la maison. Il y a une véritable âme « , résume-t-elle.

La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique
© frédéric raevens / sdp

La rénovation des lieux, pour y apporter une touche plus contemporaine, a été réalisée par l’architecte Claire Bataille, à propos de laquelle la créatrice de bijoux ne tarit pas d’éloges :  » Elle a un côté très pur dans ce qu’elle fait, même dans ses meubles. C’est sobre, tout en gardant une présence. Et elle respecte la personnalité des gens avec lesquels elle travaille. Elle n’impose pas les choses, ou alors avec beaucoup de finesse.  » Dans cet antre qui lui ressemble, Fabienne Kriwin accueille donc ses clients dans des conditions optimales, ce qui à ses yeux est primordial.  » Je désirais casser le côté rigide de la bijouterie. J’adore ces échanges avec la clientèle, cela me porte. Je voulais donc une atmosphère intime, un peu comme dans un appartement où je recevrais des invités. Une personne peut parfois rester des heures pour discuter d’une création sur mesure ou d’un bijou à transformer. C’est un pur plaisir.  »

La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique
© frédéric raevens / sdp

Ce que lui réservera 2019 ? Des points de vente dans les grandes villes flamandes et une percée à l’international, espère-t-elle. Tout est en effet prêt pour exporter ses réalisations en France et en Angleterre… dans un premier temps.

La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique
© frédéric raevens / sdp

Fabienne Kriwin, 32, rue Darwin, à 1050 Bruxelles. www.fabiennekriwin.com

La pavillon sixties de Fabienne Kriwin, un traité de sérénité domestique
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