Charlotte Perriand, le design en héritage
Fille de la grande Charlotte Perriand, Pernette oeuvre à la pérennisation des créations de sa maman, au fil d’expos et de rééditions chez Cassina. Avec beaucoup de tendresse pour la créatrice disparue en 1999, elle nous confie comment elle parvient à maintenir ce patrimoine vivant.
Quand elle en parle, elle l’appelle « Charlotte ». Mais il y a dans sa voix et son regard une admiration filiale qui émanent de Pernette Perriand lorsqu’elle évoque sa mère, et surtout son travail. La rencontre est touchante. Nous sommes attablés avec elle dans le nouveau brand store de Cassina, à Bruxelles, qui occupe une aile du magasin de design Instore. Et partout autour de nous, on reconnaît des meubles de cette figure majeure du modernisme puisque la marque italienne détient les droits de réédition de ce mobilier d’exception. Accompagnée de Jacques Barsac – avec qui elle gère l’héritage de celle qui est trop longtemps restée dans l’ombre de Le Corbusier et qui a écrit plusieurs volumes sur le sujet -, notre hôte ne tarit pas d’éloge sur la boutique. « Cette architecture tout en noir et blanc met les pièces de Charlotte en valeur, c’est splendide. »
Dans ce lieu-hommage, parfois absorbée dans ses pensées, elle nous raconte comment elle assure la continuité de l’oeuvre maternelle. Ce soir, elle ira inaugurer une exposition dédiée à la conceptrice, au Brussels Design Museum. Une autre façon encore de faire revivre sa mère, et tout ce qu’elle a apporté à l’art de bâtir et d’habiter.
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Quel est votre rôle dans la réédition des meubles de votre maman?
Charlotte a créé durant septante ans, on a donc énormément de possibilités. Chaque année, Jacques et moi proposons à Cassina des modèles à rééditer, en fonction des tendances et du type de meubles que la marque veut mettre en avant. On replonge dans les archives et on regarde ce qu’on a envie d’y puiser. Ce qui est magique, c’est de sortir un dessin qui a 60 ans et de s’y asseoir, deux ans après. Il arrive qu’on parte d’un simple papier Kraft sur lequel l’objet est dessiné grandeur nature. On ré-injecte ces meubles dans le monde contemporain.
Et cela est encore au goût du jour?
Ce sont des pièces qui ne vieillissent pas. Dans le mobilier de Charlotte, il y a beaucoup de modèles assez minimalistes, qui n’ont pas une volumétrie énorme. C’est ça qui est formidable, car aujourd’hui, à part pour des personnes fortunées qui vivent dans de grands appartements, la plupart des gens ont besoin de petites pièces.
Est-ce difficile de mettre ces objets aux normes actuelles sans les dénaturer?
Nous veillons à ne pas changer les volumes mais nous adaptons les matériaux. Ainsi, certains modèles n’ont pas été dessinés pour l’extérieur mais si nous les adaptons aujourd’hui, nous allons utiliser du teck par exemple. Ce n’est pas un souci: Charlotte, dans ses créations, n’avait pas en tête un modèle fixe. Elle envisageait toujours des variantes. Rien n’est figé dans son oeuvre. Elle disait: « Il faut savoir s’adapter aux conditions du jour. » Mais parfois, ce n’est pas évident. Pour rééditer la chaise longue 522 Tokyo en bambou, on voulait conserver des lames aussi fines qu’initialement. Mais les tests de solidité ont montré qu’elle cassait trop vite. Il a fallu les épaissir. J’en suis triste, même si le modèle fonctionne très bien.
Que ressentez-vous quand vous devez faire une concession?
Charlotte n’était pas une femme dogmatique. Mais il y a une ligne qui a été tracée et on essaye d’être le plus juste possible. Ça peut donc nous poursuivre longtemps. Aujourd’hui encore, quand on voit certains meubles, on se dit: « Mais pourquoi on a accepté ça? » Mais ce sont des détails que personne ne voit, en réalité… Cela dit, il arrive aussi qu’on dise non!
Charlotte avait une approche très sociale. Or, aujourd’hui ses rééditions s’arrachent à prix élevés…
C’est vrai qu’elle avait cette vision. Mais certains de ses meubles édités en peu d’exemplaires étaient déjà chers à l’époque. Elle aurait aimé que ce soit plus abordable mais ça n’était pas possible. Elle a bien sûr réalisé des meubles moins onéreux, mais il faut se rappeler qu’ils étaient à l’époque dessinés et produits en série pour un projet de logement précis. Ici, quand quand on parle de réédition, c’est différent. Derrière ces prix, il y a les droits d’auteur qui nous permettent de faire vivre l’oeuvre de Charlotte. Cassina contribue aussi à 50% en cas de poursuites pour contrefaçons. Sans compter que la marque assure le contrôle de qualité… La Scala de Milan a un jour choisi de placer de faux fauteuils Grand Confort. Six mois plus tard, ils étaient défoncés. Un choc pour nous!
C’était clair avant sa disparition que vous alliez perpétuer son oeuvre?
Oui, c’était très clair pour elle, même si elle n’aimait pas parler de ce qu’elle avait fait avant. Quand on lui posait des questions, elle préférait évoquer le présent et ce qu’elle avait envie de faire dans l’avenir. Le passé ça l’emmerdait! (sic) Elle me disait: « Quand je ne serai plus là, il y a des archives, tu te débrouilleras. » Moi, personnellement, je ne pensais pas que ça me prendrait toute ma vie. J’étais architecte d’intérieur et Jacques, lui, a délaissé les films… Charlotte est décédée en 1999 et à partir de 2002, on a arrêté notre activité personnelle. Un ami me disait qu’il nous faudrait dix ans au moins. Je ne pensais pas tenir autant… et ça fait vingt-deux ans!
Vous avez eu l’occasion de travaillez avec votre mère. Comment était-elle dans sa vie professionnelle?
Elle était très exigeante et elle savait ce qu’elle voulait. Je vais vous raconter une anecdote. C’était en 1968, à l’Ambassade du Japon, à Paris. On arrive sur chantier et elle voit un interrupteur bien posé, mais qui n’est pas à la bonne hauteur. Elle appelle l’électricien qui nie l’erreur. Elle reprend les plans pour lui montrer qu’il a tort et il répond: « Ce n’est pas une bonne femme comme vous qui va me donner une leçon! » Elle lui demande de quitter le chantier immédiatement et il refuse… A l’époque, il n’y avait pas de téléphones portables. Elle a finalement filé au bistrot d’en face pour appeler l’entreprise et demander qu’on vienne immédiatement le chercher! Elle savait se faire respecter. Elle me disait toujours: « Si tu connais bien ton métier, il n’y a aucun problème. » Ce fut une sacrée leçon.
Que vous a-t-elle apporté?
Une force de caractère…
Cassina Brand Store c/o Instore, 94, rue de Tenbosch, à 1050 Bruxelles.
Expo Charlotte Perriand. Comment voulons-nous vivre?, au Design Museum Brussels, designmuseum.brussels Jusqu’au 28 août.
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