Le Designer de l’année 2006: Alain Berteau

Isabelle Willot

Pour la première fois en Belgique, Weekend et la Fondation Interieur organisent l’élection du Designer de l’Année. Tout au long de la Biennale, notre lauréat exposera ses créations récentes. Alain Berteau y dévoilera aussi son nouveau pouf Cover. En prévente exclusive réservée à nos lecteurs. Présentation.

Surtout, ne dites pas à Alain Berteau que vous  » aimez  » ou non l’une de ses chaises. Ou que son nouveau pouf vous semble  » beau « . En gros, il s’en moque. Ce qu’il préfère de loin entendre, c’est une question toute simple : comment personne n’y avait-il encore songé jusqu’ici ?  » Il n’y a que cela qui compte vraiment, s’enthousiasme-t-il alors. Parce que ça veut dire que l’objet est pertinent, qu’il propose une solution. Qu’on aime ou pas, ensuite, son esthétique, c’est secondaire. Heureusement d’ailleurs qu’il n’y a pas une unanimité formelle ! L’objet doit être bon, avant d’être trendy.  »

Parce qu’il s’inspire des nouveaux styles de vie sans s’embarrasser de stylisme inutile, parce qu’il n’hésite pas à remettre en question les typologies établies, le créateur bruxellois a très vite fait l’unanimité du jury – composé de représentants de la Fondation Interieur et des rédactions de Weekend Knack et Weekend Le Vif/L’Express – chargé d’élire, pour la première fois en Belgique, le Designer de l’Année.

Ce prix qui sera désormais attribué annuellement lui sera remis ce 13 octobre, jour de l’ouverture de la 20e Biennale de Courtrai où il exposera ses créations récentes et mettra en scène l’accès à l’espace réservés aux jeunes créateurs belges et européens qui occupe traditionnellement l’Underground de la Rambla.

Comme on pourra le voir au travers des pièces exposées, toutes en production ou en phase de l’être, ce designer de 35 ans a réussi à convaincre en à peine trois ans des sociétés au profil international comme Bulo, Vange, Feld, Wildspirit, RVB ou Van Marcke. Et plus récemment Montis pour qui cet architecte diplômé de La Cambre en 1995 vient d’imaginer Cover, un tout nouveau pouf à la fois futé et élégant qui illustre parfaitement ce que l’on pourrait appeler la  » méthode Berteau « .

Objectif zéro déchet

 » C’est un tout petit projet dont je suis assez fier parce qu’il est très cohérent, très économe et surtout, profondément écologique, nous expliquait-il en nous montrant, en juillet dernier, des croquis de synthèse. Tout est parti de mon envie de réduire le packaging et son impact néfaste sur l’environnement. J’avais déjà fait des tentatives de « flat package » (NDLR : des emballages extraplats, comme ceux des produits Ikea) mais au bout du compte, je me retrouvais toujours avec du carton et du polystyrène qu’il fallait bien finir par jeter. Alors, je me suis souvenu de cette très belle lampe en plastique transparent que j’avais achetée chez Kartell. L’énorme caisse qui l’emballait était plus solide qu’elle ! Et pour cause, il fallait qu’on puisse la transporter, la jeter dans un conteneur, l’empiler pour la stocker. L’idée s’est alors imposée à moi : ça suffit, désormais, on ne jette plus le paquet mais on l’utilise comme structure de meuble.  »

Alain Berteau imagine alors une forme de boîte particulièrement résistante, un polyèdre structurellement ultrasolide et facile à produire. A l’intérieur se trouvent un coussin et une housse matelassée, très bien finie, en polyester recyclé signé Kvadrat, qu’il suffit de retirer pour  » habiller  » la caisse en carton.  » C’est le savoir-faire de Montis, la grande qualité de ce tissu qui font toute la différence, poursuit le designer. Il n’y a aucune raison d’accepter d’avoir un meuble moche parce qu’il est bon pour la planète. Avec Cover, on va oublier que la structure est en carton. On n’a pas seulement un petit objet sympathique. C’est aussi la loi du moindre effort qui triomphe : en trente secondes, on se retrouve avec un beau tabouret, sans boîte à découper, ni déchets à trier dans les poubelles de recyclage.  »

Des meubles polyfonctionnels

Depuis ces premières esquisses, l’idée est devenue projet concret qui sera dévoilé en avant-première lors de la Biennale de Courtrai. Cover sera même proposé en prévente dans quatre coloris exclusifs au prix de 70 euros (au lieu du prix magasin qui sera à l’avenir de 129 euros) pour les lecteurs de Weekend Le Vif/L’Express durant toute la durée d’Interieur. Loin d’être  » une chaise de plus « , Cover est le reflet tangible des préoccupations et des envies d’aujourd’hui :  » propre « , polyfonctionnel – il sert de pouf ou de table d’appoint – et discret, il peut être adopté par tous les styles d’intérieur, du plus bohème au plus sophistiqué. Une  » attitude  » que l’on retrouve aussi dans d’autres créations d’Alain Berteau. Ainsi, la Tab Chair, toute première chaise éditée par Bulo, avec son large dossier faisant office d’accoudoir sur lequel on se verrait bien poser une tasse de café, invite à une nouvelle posture, naturelle et décontractée. La chaise et le banc Fence chez Feld, avec son air de clôture déguisée, séparent en douceur les voisins de table. Quant aux classeurs de la Silent Collection qui sont réalisés, toujours pour Feld, dans un feutre rigide spécial, ils jouent aussi un rôle d’isolant acoustique lorsqu’ils tapissent un mur.

 » Alain est bourré d’idées, affirme Thierry Herbert, responsable de la division Wildspirit chez Limited Edition pour qui Alain Berteau vient de créer Cakes, un jeu de poufs modulables. Elles surgissent partout et à tout moment. J’étais il y a peu dans un avion avec lui, pour New York. Il a fait quelques croquis de Cakes. J’ai adhéré tout de suite.  » Des  » petits dessins  » comme celui-là, inspirés par un nouveau matériau comme les verres Matelack ou Blackperl de Glaverbel, ou un outil de production aperçu chez un éditeur, ce créateur prometteur en a plein ses cartons… et ses ports USB.

Un Belge à Paris

Car s’il a débuté ses activités de designer de meubles et d’accessoires il y trois ans seulement, après avoir été le premier Belge à remporter, deux fois de suite, la prestigieuse bourse du Via ( NDLR : pour valorisation de l’innovation dans l’ameublement, soit une association française de professionnels de l’ameublement valorisant la création contemporaine), à Paris, il peut aussi compter sur une expérience de près de vingt ans en architecture…

« Enfant déjà, je dessinais tout le temps, rappelle Alain Berteau. Des bandes dessinées, des avions, des voitures. A 15 ans, je rêvais de devenir sculpteur. Mais mon père m’a dit en substance : « Ce n’est pas à métier ». Alors, j’ai choisi l’architecture. Lors de mes années préparatoires en secondaire, à Saint-Luc, j’accompagnais l’architecte François Terlinden qui était le père de l’un de mes amis, sur tous ses chantiers. Je séchais les cours pour apprendre sur le terrain. L’intérêt d’un diplôme, ce n’est pas le bout de papier, c’est ce qu’on en fait après. Il faut être passionné.  »

Un projet d’école  » bio  »

C’est d’ailleurs pour conserver cette passion, pour  » arriver à gagner ma vie sans jamais être honteux de ce que je fais  » qu’Alain Berteau s’est partiellement détourné de ses premières amours.  » Pour réussir comme architecte, il faut être très riche, avoir un super carnet d’adresses… ou avoir la patience d’attendre des années, sourit-il. En design, il faut bien sûr parvenir à se faire connaître, mais il faut aussi prouver à l’industriel qui va travailler avec vous que vous n’avez pas seulement une bonne idée, mais que vous pouvez aussi régler les problèmes techniques qui y sont liés, que vous pouvez discuter avec les gens de l’usine, du marketing. Et ça, j’y suis arrivé, grâce à mon expérience d’architecte bien sûr, mais aussi à tous ces concours internationaux que j’ai passés. C’est une émulation extraordinaire. Car c’est là que l’on voit si ses projets, comparés à ceux des autres, ont un avenir ou pas.  » Pour lui, la bourse du Via, que le célèbre Philippe Starck avait reçue bien avant lui, a été bien plus qu’un bienvenu coup de projecteur médiatique sur son travail qui se résumait alors à des croquis. Les prototypes qu’il a pu ainsi financer lui ont permis de comprendre vraiment comment développer un produit avec l’industrie.

Comme l’architecture l’a aidé dans le design, le succès de ses créations industrielles lui a aussi amené de nouveaux projets architecturaux.  » Le message passe que je suis architecte et je commence ainsi à avoir un carnet de commandes assez intéressant, reconnaît-il. Aussi bien en résidentiel – beaucoup de rénovation – qu’en projet public. Je travaille à la conception d’une d’école « bio » à Louvain-la-Neuve. J’aimerais aussi construire et aménager un hôtel à Bruxelles. Car je pourrais vraiment croiser mes compétences d’architecte et de designer.  »

Quand on lui demande, si en trois années de pratique, il existe aujourd’hui ce que l’on pourrait appeler une  » marque  » Alain Berteau, notre créatif répond sans hésiter :  » Je n’ai aucune envie de « faire du Berteau » ! Au contraire, j’aime me fondre dans l’univers de mon client, tirer le meilleur de son savoir-faire.  » Ainsi, c’est en partant d’une technologie propre au fabricant de robinet bruxellois RVB – celle du Medico, ce robinet que les médecins et les infirmières ouvrent et ferment d’un simple coup de coude…- qu’il a conçu Slide, un tout nouveau mitigeur, totalement différent de ce qui existe déjà sur la marché.

Réduire le choix

De manière mécanique, d’un seul geste latéral, on passe du froid au chaud, en faisant glisser l’interface de contrôle qui se trouve au sommet du robinet.  » L’utilisateur sent les positions qui défilent, de manière instinctive, il sait très vite où il est, quelle est son eau favorite, en termes de température et de flux, ce qui permet de limiter la surconsommation inutile, insiste-t-il. J’aime l’idée de réduire le choix. C’est plus confortable pour l’utilisateur. C’est pour cela que l’i-Pod marche si bien, parce qu’il y a peu de boutons, on sait comment les utiliser sans avoir besoin d’un mode d’emploi compliqué.  »

Car la réflexion ici n’est pas d’ordre esthétique mais pratique et économique.  » Ici, à Forest (Bruxelles), une PME possède une technique unique et un know-how qui lui permet de fabriquer des robinets dans toutes les matières. Ce qui veut dire qu’elle pourrait personnaliser l’interface de Slide, proposer en marge des versions standard en chrome ou en inox, des modèles en céramique blanche pour les maisons anciennes. On offre ainsi un robinet moderne qui peut parfaitement s’assortir avec une baignoire sur pied entourée de moulures en stuc. Je suis convaincu que ce sont des détails comme ceux-là qui permettront à RVB de tenir le coup face à des gros groupes internationaux.  »

Décrocher un contrat pour l’un d’entre eux, Alain Berteau en rêve bien sûr –  » On parle tout de suite en termes de millions d’unités de production, cela ne se refuse pas, cela permettrait de voir venir un peu  » – et le buzz médiatique au milieu duquel il se retrouve depuis quelques mois pourrait sûrement l’y aider.

Une société en manque de bien-être

 » Cela permet en tout cas de faire des rencontres, insiste-t-il. J’étais à New York, dans un bar, à 2 heures du matin et un architecte d’Helsinki est venu me parler de mes projets parce qu’il a vu ma photo dans un magazine international comme « Wallpaper » ou « i-D ». C’est bizarre et agréable à la fois. Surtout lorsqu’il vous dit qu’il n’a pas attendu l’article pour découvrir ce que vous faites, qu’il vous suit depuis trois ans sur votre site Web. Un beau jour, vous recevez un mail d’un Chinois ou d’un Japonais et c’est tellement loin que de prime abord cela vous paraît absurde. Mais grâce à la puissance d’Internet, je pourrais un jour travailler avec eux.  »

S’il admet que l’intérêt porté aujourd’hui au design est également motivé par un marché avide de nouveaux besoins à assouvir pour mieux écouler des produits neufs, Alain Berteau est aussi convaincu que notre société est en manque de bien-être. Et que les designers peuvent y remédier.  » La vie est pénible, stressante, politiquement inintéressante, conclut-il. Les gens manquent d’idéal, ils veulent être très vite riches et célèbres. Ils veulent se faire du bien, s’offrir un peu de confort. Du wellness comme disent les vendeurs de salle de bains. Aujourd’hui, c’est devenu très difficile de se payer du wellness en architecture. Mais le design le permet encore. On peut se faire plaisir en s’offrant une belle lampe, un objet bien conçu. Parce que nous alimentons ce marché, nous en sommes responsables, en tant que designers. Raison de plus pour tenter de créer des choses qui ont du sens…  »

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