Madison Cox, l’homme qui a partagé la vie d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé pendant quarante ans

© Renaud Callebaut

Paysagiste favori d’innombrables célébrités et hôtels de luxe, Madison Cox (63 ans) a quitté San Francisco pour Paris à la fin des années 70. Pendant ses études, il s’est lié d’amitié avec Yves Saint Laurent et son ami et partenaire commercial de l’époque, Pierre Bergé, qu’il a épousé en 2017. Il dirige désormais la fondation que les deux hommes ont laissée derrière eux et célèbre le 60e anniversaire de la création de leur maison de couture ce printemps.

La célébrité et la créativité ne font parfois pas bon ménage. Yves et Pierre ont fait partie de ma vie pendant près de quarante ans, et j’ai pu constater l’impact que peuvent avoir la célébrité et l’attention constante de la presse. Même en coulisses, leur personnalité publique continuait de les poursuivre. Une présence qui a sans doute eu un effet sur moi: j’ai choisi une vie loin des projecteurs, afin de pouvoir me consacrer pleinement à ma passion pour les jardins.

Recevoir carte blanche n’a jamais mené à un résultat satisfaisant. Peut-être pour mes clients, mais pas pour moi. Mon plus grand plaisir est le dialogue avec les clients: échanger des idées et partager le processus de conception… C’est leur jardin, pas le mien. Peut-être avez-vous du mal à exprimer ce que vous voulez ou ne savez-vous pas ce que vous cherchez, mais laissez-moi le soin de le découvrir. Observer les gens, découvrir qui ils sont et comment je peux les aider — c’est ça la belle aventure qu’est mon travail.

AFP PHOTO/STEPHANE DE SAKUTIN
AFP PHOTO/STEPHANE DE SAKUTIN© AFP

L’une de mes meilleures décisions a été de revenir à New York dans les années 80. Yves et Pierre étaient des personnalités très fortes et ma relation avec Pierre n’a pas facilité les choses — en fin de compte, prendre mes distances était le seul moyen de préserver le lien entre nous trois. Beaucoup m’ont déclaré fou d’abandonner ma vie à Paris, mais c’était nécessaire. Pour trouver ma propre voix, pour prouver que je pouvais aussi exister par moi-même — je n’y serais jamais parvenu si j’étais resté à Paris.

Avoir moins de temps change notre vision des choses. Ainsi, en vieillissant, on commence à considérer différemment les relations qui comptent dans notre vie. Le fait que Pierre, Yves et moi nous soyons à nouveau rapprochés à la fin des années 90 n’avait rien de surprenant. Aussi contradictoire et conflictuelle que notre amitié ait pu être parfois, notre amour était aussi profond et indestructible.

Un jardin est en constante évolution. C’est la grande différence avec les bâtiments et l’architecture d’intérieur, où un artiste peut toujours espérer que sa création restera inchangée. Dans le cas d’un jardin, c’est impossible: les saisons se suivent mais ne se ressemblent jamais, et le climat n’est guère prévisible non plus. Il y a trente ans, l’eau abondait en Floride et à Marrakech. Aujourd’hui, une grave pénurie règne. Ainsi, aucun jardin n’est éternel: chaque projet doit s’adapter aux circonstances changeantes.

Les mythes qui entourent les génies créatifs ne profitent à personne. Certaines personnes pensent qu’Yves Saint Laurent a tout imaginé à partir de rien, comme si sa créativité venait de Dieu lui-même. Pour les expositions anniversaires , nous avons délibérément montré ses créations dans les collections permanentes de six musées parisiens, car tout comme Pablo Picasso et Andy Warhol, Yves s’inspirait sans cesse des beaux-arts.

C’est ça qui a fait de lui un génie: il dévorait le passé pour créer l’avenir. Ne pas le reconnaître ne lui rend pas service. Ni à lui ni aux jeunes générations. Personne ne vit sous une cloche, alors pourquoi dire aux artistes et aux stylistes que c’est la seule façon de stimuler la créativité?

‘En vieillissant, on commence à considérer différemment les relations qui comptent dans notre vie.’

Les jardins de Majorelle
Les jardins de Majorelle© LUC VIATOUR

On ne préserve pas le passé en s’y accrochant désespérément. J’ai beaucoup appris de Pierre, qui disait toujours que les souvenirs étaient là pour servir de nouveaux projets. Après la mort d’Yves en 2008, il a fait vendre aux enchères la plus grande partie de leur collection d’art et a utilisé les recettes pour l’expansion de la fondation et la recherche sur le sida, entre autres. Leur Jardin Majorelle à Marrakech s’adresse de plus en plus au public local, marocain, et se transforme progressivement en un lieu d’apprentissage de la nature pour les générations futures. Un mausolée figé dans le temps ne permettrait pas de maintenir en vie la créativité et l’influence d’Yves et Pierre. Pour continuer à faire sens, un tel lieu doit sans cesse évoluer.

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