Michele de Lucchi, le sage de Memphis

L’architecte et designer italien, qui fut l’un des membres fondateurs du célèbre mouvement des années 1980, est à l’honneur dans deux expositions. Preuve que l’esprit Memphis n’en finit pas d’inspirer.

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Avec sa taille de géant et sa barbe de druide, l’homme impressionne. Michele de Lucchi est un sage. A 58 ans, il fait partie des derniers « maestri » italiens, dans la lignée d’Ettore Sottsass, dont il fut l’élève et le complice. Aussi à l’aise avec l’infiniment grand qu’avec l’infiniment petit, il fut propulsé sur le devant de la scène grâce à « la Memphis ». Ce mouvement de rébellion esthétique, qui prônait à travers ses produits aux couleurs criardes et aux formes délurées un anti-style radical, est devenu… une icône du style des années 1980. Avec Memphis, Michele de Lucchi et sa bande (Ettore Sottsass en chef de file, escorté par Martine Bedin, Nathalie du Pasquier, Matteo Thun et bien d’autres) ont fait tomber les diktats du design. Avec comme maîtres mots la liberté, la fantaisie, l’humour. L’époque a changé, mais leur message n’a pas tant vieilli. L’aventure continue de faire fantasmer les nouvelles générations et de rendre ses anciens protagonistes tendrement nostalgiques.

L’aventure Memphis a bousculé le design dans les années 1980 et son style, un temps décrié, est à nouveau adulé pour son message. Comment vivez-vous ce retour en grâce?

Je suis et je resterai toujours un orphelin de Memphis ! Pour la liberté de créer sans diktats, sans devoir absolument répondre à une question. Quand nous imaginions des objets pour les collections, nous travaillions sur l’idée du design en tant que telle. Le design et l’industrie se mettaient à notre service et non l’inverse. C’est très plaisant de revoir « la Memphis » aujourd’hui. Ce mouvement avait quelque chose de très facile et de très spontané. Il était entendu par tout le monde et dans tout le monde. Nous téléphonions à Shiro Kuramata, au Japon, ou à Michael Graves, aux Etats-Unis, et tous répondaient avec un immense enthousiasme. Car notre proposition était claire : nous voulions inventer une alternative au Mouvement moderne en réhabilitant les surfaces décorées, en utilisant plus de couleurs, en faisant du non-coordonné. Bref, il nous paraissait nécessaire de mettre fin aux tabous esthétiques qui persistaient dans ce domaine depuis presque… le Bauhaus.

Près de trente ans plus tard, on vous demande à nouveau de travailler dans le style Memphis. La boutique Camper que vous venez de réaliser à Milan en est un exemple. Cette esthétique a-t-elle encore du sens aujourd’hui?

Ce n’est pas intéressant de refaire la même chose, mais l’esprit Memphis peut encore motiver de nouvelles idées, de nouvelles visions. Ce mouvement a été d’une richesse d’innovation fantastique. Nous utilisions des matériaux très pauvres, comme le plastique, le mélaminé, le stratifié, tout en véhiculant une idée de richesse et d’imagination. Memphis était le témoin des années 1980. C’était une période de crise qui a facilité la liberté d’entreprendre. Nous étions étrangement très optimistes. Nous rêvions de Californie, de soleil, de fraîcheur… L’époque n’est pas la même. Il est difficile de se montrer aussi légers que nous l’étions. Nous avons désormais une nouvelle responsabilité : nous ne pouvons plus consommer le monde comme avant.

Vous travaillez aussi bien pour l’architecture que pour le design, comment passez-vous de l’un à l’autre? Est-ce toujours avec la même démarche?

Je suis architecte de formation, mais j’ai toujours été intéressé par les objets. Avoir été l’élève d’Ettore Sottsass et l’un de ses plus proches amis a été fondamental dans ma façon d’envisager mon métier. J’ai également été sous l’influence de Gio Ponti, d’Achille Castiglioni et de Vico Magistretti. Autant d’architectes de l’après-guerre qui se sont beaucoup intéressés au design et qui ne se sont pas limités à une discipline. Je suis peut-être le dernier de cette première génération d’architectes « interdisciplinaires », ce qui est une spécialisation en soi. L’idée générale est de ne pas travailler sur l’architecture en tant que telle, mais sur l’idée de l’environnement humain. Mais il n’existe pas d’écoles pour devenir un architecte de ce type.

Quelle qualité faut-il avoir?

Etre capable de travailler pour soi-même. Considérer le client non pas comme la personne qui donne l’argent, mais comme l’utilisateur du produit. Et avoir pour objectif de proposer quelque chose qui ne soit pas juste un succès commercial, mais qui aide un peu à la compréhension du monde. Quand le bon projet débouche sur le bon produit, c’est gagné.

Avec laquelle de vos créations pensez-vous avoir réussi cette synthèse?

La lampe Tolomeo. Car elle marche bien partout, que ce soit à la maison ou au bureau. Elle se décline dans toutes les tailles, dans toutes les couleurs. C’est un objet technologique qui a l’air humain. Tout devient tellement complexe. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de rendre facile ce qui est compliqué.

Marion Vignal, Lexpress Styles

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