Anne-Françoise Moyson

Repenser le design et l’architecture à l’aune des crises

C’est une maison semi-enterrée dont les fondations sont faites de vieux pneus tassés, la récup’ a du bon. En guise de matériaux de construction, on y trouve aussi des canettes usagées et des culs de bouteilles. Outre ces caractéristiques «hashtag recyclage», elle en aligne d’autres qui valent désormais leur pesant d’or: elle est autonome, ultrarésiliente, naturelle et tire un maximum de profit du soleil, de la pluie, du vivant alentour. Ce charmant logis qui paraît de bric et de broc n’a rien d’utopique. Il existe en vrai. Aujourd’hui, on en compte un millier dans le monde

. On les a baptisés «earthships» ou «géonefs» en français dans le texte, voire même «La maison magique», c’est ainsi que Pauline Massart appelle son chez-elle. Elle n’a rien d’une survivaliste ni d’une collapsologue. Elle est juste tombée en amour pour cet habitat très vert découvert par elle dans le désert du Nouveau-Mexique, à Taos. C’est là que l’architecte américain Michael Reynolds a initié la création d’un village autoconstruit sur ce principe. Ça date des années 70, cela avait alors valeur de manifeste, désormais, de solution.

Car ceux qui ont choisi une telle architecture décarbonée, ces «sans facture d’énergie» bienheureux dans leur «vaisseau de terre», ont tout compris avant tout le monde. Ils savent que ce mélange d’inventivité et d’austérité propose des pistes de solutions aux grandes problématiques contemporaines. Et que leur volonté de rupture et d’innovation fait écho. Même au plus haut niveau: pas plus tard que ce printemps, en un couronnement qui a valeur de symbole, le jury du Prix Pritzker honorait Diébédo Francis Kéré. Pour ses bâtiments qui font preuve «de beauté, de modestie, d’audace et d’invention». Et parce qu’«il sait, au plus profond de lui-même, que l’architecture n’est pas affaire d’objet mais d’objectif, pas de produit mais de processus».

Il faut repenser le design et l’architecture à l’aune des pandémies, des guerres, de la crise écologique et de la surconsommation.

On pourrait paraphraser sans souci, et remplacer le mot architecture par design. Arnaud Eubelen semble avoir fait de cette certitude un principe de travail. Le trentenaire, Bruxellois d’adoption, sillonne les rues de Molenbeek, enfourchant son vélo comme pour aller à la chasse au trésor dans la jungle urbaine. Il dit que «la ville est sa bibliothèque de matériaux».

Il regarde les rebuts de notre société d’hyper consommation comme autant de chefs-d’œuvre en devenir. Avec une économie de moyens, en bon docteur déchets, il les détourne, les transforme, les agglomère pour en faire des objets utilitaires et/ou des sculptures qui ont la cote dans les galeries d’art. La frugalité chez lui n’est pas une posture de temps de crise mais un engagement, avec changement de braquet, dans un monde qui va mal. Car il faut repenser le design et l’architecture à l’aune des pandémies, des guerres, de la crise écologique et de la surconsommation. Et toutes catégories confondues, adopter comme feuille de route ce manifeste: «Le design, s’il veut assumer ses responsabilités écologiques et sociales, doit être révolutionnaire et radical. Il doit revendiquer pour lui le principe du moindre effort de la nature, faire le plus avec le moins.» C’est signé Victor Papanek, designer austro-américain. Et ça date de 1971.

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