Swarovski étincelle à Milan

Pour l’exposition Crystal Palace, dix designers ont imaginé des univers féeriques.

Pour Nadja Swarovski, il n’y a pas de limite à ce que l’on peut faire avec une poignée de cristaux. Pour cette nouvelle édition de l’exposition Crystal Palace, dix designers ont imaginé des univers féeriques qui lui donnent mille fois raison.

Au premier coup d’oeil, l’objet passe d’abord pour une sculpture racée, à l’équilibre presque fragile, sous ses contours à la fois organiques et futuristes. Signée Arne Quinze – et cela se voit -, Ellipsis est d’abord une lampe aussi énigmatique qu’élégante. La preuve, comme aime à le préciser Nadja Swarovski, que l’on peut faire de l’éclairage autrement. A condition de sortir du cadre. Et d’oser se jouer des pièges d’une matière dont on fait par ailleurs des figurines comme des toucans et des papillons facettés. Pour mieux en magnifier les infinies possibilités. « Le cristal, c’est du rêve à l’état pur, nous confiait il y a peu Arne Quinze. Kitsch ou pas kitsch, je m’en fous. C’est un matériau fabuleux qui permet tout. »

Comme lui, neuf autres designers ont répondu cette année encore à l’invitation de l’héritière du numéro 1 mondial du cristal taillé. Dans l’environnement de Zona Tortona, à Milan, où se prend – bien mieux que sur les stands plus institutionnels du Salon du meuble – le pouls de la planète design, l’édition 2008 du célèbre Crystal Palace ne se contente plus de mettre en scène des lustres aussi décoiffants soient-ils. « Nous leur avons demandé à chacun de créer tout un univers, précise Nadja Swarovski. Avec des lampes, bien sûr, mais aussi des meubles et des objets de décoration. Comme toujours, le briefing était très simple : ils avaient carte blanche. Seule contrainte, bien sûr : utiliser des cristaux Swarovski. »

Depuis plus de dix ans, en associant le nom de Swarovski à celui de stylistes pointus comme Alexander McQueen, en organisant les concerts du Fashion Rock en faveur de l’environnement ou encore en plaçant ses produits dans des films comme Ocean’s 13 ou Le diable s’habille en Prada, Nadja Swarovski a réussi à donner un petit côté edgy à un produit à l’image plutôt traditionnelle. « Nous avions réussi à tracer notre route dans le monde du bijou, dans les sphères de la mode, il nous restait à approcher la planète archi-design, poursuit-elle. Il y a tellement de lustres ennuyeux, il nous fallait aussi bousculer cet univers. » En 2002, elle lance le projet Crystal Palace. Son succès dépasse toutes les espérances. « Chaque fois, pour nous, c’est le même effet de surprise, ajoute la jeune femme. Nous taillons des pierres depuis 113 ans. Mais nous n’en revenons toujours pas de ce que ces designers de génie arrivent à faire avec nos cristaux. » Un coup de shaker qui en est aujourd’hui à sa septième édition. Et dont elle parle toujours avec la même passion. Décryptage.

Aujourd’hui, les designers se bousculent pour figurer sur la liste des créateurs invités à collaborer pour le Crystal Palace. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi…
Nadja Swarovski : En effet, et c’est une belle revanche. En 2002, lors de la première édition du projet, Ron Arad a refusé d’y participer. Mais il nous a rejoints depuis lors. C’était essentiel pour nous qu’il monte à bord pour son approche si particulière du design. Ce qui est formidable lorsque vous travaillez avec des gens comme Ron Arad, Yves Béhar, Marcel Wanders ou Zaha Hadid, c’est que vous avez face à vous des personnalités géniales, foncièrement positives car engagées dans un processus de création. Tous ces créateurs ont l’habitude d’utiliser le bois, le métal, le plastique. Mais le cristal, rarement. Quand je vais les trouver, c’est souvent une première. Et leur intérêt vient de là. « Je veux essayer ! », me disent-ils. Le fait d’exposer ensemble crée aussi une petite compétition entre eux. Ils veulent rentrer le meilleur projet.

Comment les sélectionnez-vous ?
Je mets mes senseurs en éveil. Parfois, en une semaine, j’entends parler sept fois de la même personne. Et je me dis, ok, là il y a quelque chose à creuser. Je réagis au quart de tour sur des détails comme ceux-là. Les créateurs m’approchent aussi, me font savoir qu’ils sont intéressés. Je dois bien sûr les rencontrer, apprécier leur vision du design, s’assurer qu’ils vont innover, se surpasser. Nous ne pouvons pas nous permettre de dire après coup : « Non, finalement, cela ne nous convient pas ». Qui sommes-nous pour dire cela ? De plus, c’est un gros investissement financier pour Swarovski : nous prenons tout en charge : les matières premières, la fabrication des pièces, le cachet du designer et si le produit se retrouve en production, les royalties qui s’en dégageront.

Vous est-il arrivé de refuser des projets ?
Oui, la première année, un lustre entièrement constitué de petits ours en cristal. Alors que nous voulions marquer une rupture avec l’univers des figurines, justement. Aujourd’hui, nous dirions probablement oui, car ce serait perçu comme un clin d’oeil à notre passé, un twist acceptable.

Tous ces projets ne sont pas commercialisables à grande échelle. Qu’y gagnez-vous au bout du compte ?
A l’origine, il s’agissait seulement d’une opération de communication. Nous voulions montrer que les composants que nous fabriquions pour les lustres pouvaient être utilisés de manière contemporaine. Et cela a marché : les ventes de pièces détachées ont crû de 62%. Et nous avons parallèlement à cela reçu de plus en plus de demandes pour les lustres présentés au Crystal Palace. Ce qui nous a décidé à lancer notre propre production. En théorie, tout est potentiellement à vendre. Nous avons des pièces plus petites, plus abordables qui se prêtent bien à une fabrication commerciale. D’autres ne sont disponibles qu’en séries limitées ou restent des pièces uniques comme le Dream Saver d’Arne Quinze, par exemple.

A Milan, le Crystal Palace est un must absolu, l’un des rendez-vous les plus attendus du Salon du meuble. Avec le recul, comment expliquez-vous un tel succès alors que Swarovski n’avait a priori, pas du tout une image design ?
Parce que chaque fois nous arrivons à créer la surprise, l’enchantement. Quand on leur parle cristal, les gens imaginent des formes strictes, géométriques. Nous leur avons montré des objets poétiques, quasi vivants, comme le lustre Voyage d’Yves Béhar qui grâce à un détecteur de mouvement réagissait à toute présence à proximité. Ou Lolita de Ron Arad sur lequel s’imprimaient des messages envoyés par un téléphone mobile. Ce n’est plus simplement de l’éclairage. Ce sont aussi des oeuvres d’art, truffées le plus souvent de la technologie hard-core la plus pointue.

Yves Béhar me confiait l’an dernier que ce que vous faites, via le Crystal Palace, s’apparente à du mécénat. L’équivalent, en design, de la recherche fondamentale. Car il n’y a pas a priori d’exigence de rentabilité…
C’est adorable de sa part d’avoir dit cela. Et j’en suis très flattée. Pour moi, ce projet, c’est une opération win-win. Ce que j’appelle une route à deux sens. Le partenariat parfait. Tout le monde est gagnant. C’est mon mantra, dans la vie : pour que quelque chose fonctionne, il faut que cela profite à tous. Si le créateur peut découvrir par ce biais quelque chose de neuf qui pourra lui servir plus tard dans son travail, c’est encore mieux. Nous, en échange, nous recevons un objet magnifique qui nous fait aussi progresser dans notre connaissance de notre propre produit.

La vague bling-bling que nous venons de traverser vous a sans doute porté chance. Ne craignez-vous pas, en réaction à ce trop plein de glam, un retour vers davantage de sobriété voire d’austérité ?
Nous sommes conscients de ces cycles de tendances, de l’effet balancier de la mode. Mais pour autant que nous gardions une longueur d’avance en matière d’innovation, en proposant, par exemple, aux créateurs de nouvelles manières d’appliquer les cristaux sur les vêtements, il y aura toujours une envie d’utiliser nos produits. Le cristal est un ingrédient tellement magique : sur une robe comme sur un meuble, il apporte un supplément d’énergie, un petit éclat de vie…

Propos recueillis par Isabelle Willot

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