Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

En un siècle d’existence, la maison Vervloet a élevé la serrurerie au rang d’art. Visite de ses ateliers en compagnie d’Isabelle Hamburger, arrière-petite-fille de son fondateur, et du designer Jean-François D’Or.

Quand Joseph Vervloet rachète une quincaillerie d’Ixelles en 1905, il ne se doute peut-être pas que, cent ans plus tard, des pièces portant son nom garniront yachts, jets privés, palaces et palais du monde entier. Peut-être seulement, car l’homme a de la suite dans les idées, et s’impose rapidement sur le marché belge en proposant une fabrication artisanale de très haute qualité. Surfant sur les tendances, absorbant ses concurrents, son petit business devient grand, et voit fleurir son expertise et sa renommée, mais conserve jalousement les spécificités et contraintes d’une méthode éprouvée.

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

C’est en 1992, soit l’année où elle reçoit son Oscar à l’exportation, que l’entreprise investit une ancienne imprimerie de Molenbeek ; des installations situées rue de la Borne, dont la configuration et la superficie conviennent mieux à son activité, et où elle siège toujours. Passée une première volée d’escaliers, on y est accueilli par une enfilade de larges présentoirs couleur vert impérial, offrant un florilège du savoir-faire maison. Il n’est ici nullement question de vitrine, les seuls reflets visibles sont dus au jeu de ces objets d’exception avec l’éclairage complice. Il est donc autorisé et même encouragé de succomber à l’irrépressible envie de les saisir, d’y faire courir ses doigts et d’en tâter la finesse du creux de la main. Ce n’est qu’alors que l’on prend toute la mesure du slogan  » handmade for hands « .

45 000 pépites

Disséminées le long du mur, quelques ouvertures indiscrètes laissent entrevoir un coin du saint des saints mitoyen, où sont stockés poignées, crémones, plaques et boutons. C’est dans cette caverne d’Ali Baba, où un siècle nous contemple, que nous rejoint Jean-François D’Or, justement en train de photographier la campagne de sa dernière collection, Welcome Home, dans une salle toute proche.

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

 » Cet endroit, je pourrais y passer des journées entières, s’extasie le designer belge. C’est rempli de bijoux, tous soigneusement répertoriés. Avant de tirer des moules en fonte, tout était fait en bois, et beaucoup de ces antiquités sont encore présentes ici. Quand cette pièce a-t-elle été sculptée ? Par qui ? C’est vraiment un boulot de dingue, une vraie merveille « , dit-il en manipulant un modèle intitulé Comtesse.

 » Ce qui me fascine aussi, c’est de connaître le contexte architectural « , poursuit le créatif – et à la réflexion, on aimerait effectivement savoir à quelles splendeurs appartenaient ces poignées.

Comme toute love story, celle de Jean-François D’Or avec Vervloet a débuté par une rencontre.  » Isabelle Hamburger m’a été présentée lors d’un salon, se rappelle-t-il. On a papoté, je lui disais combien j’étais impressionné par la qualité des produits proposés par cette firme dont elle est aujourd’hui l’héritière. Je trouvais incroyable que ce type de savoir-faire existe encore aujourd’hui. Et rapidement, la question de travailler ensemble s’est posée. D’abord, ça l’a amusée. Elle m’a répondu :  » Tu veux encore développer quelque chose de nouveau ? Tu es au courant qu’on a 45 000 modèles ?  » Quarante-cinq mille ! Au début, je n’y ai pas cru.  »

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

Pourtant, elle ne plaisantait pas. Et malgré son incrédulité devant un historique aussi riche, l’idée d’une collaboration suit son cours.  » Evidemment, je ne suis pas venu ici faire l’inventaire, avoue-t-il. Impossible d’examiner tout ce qui existait déjà, j’ai suivi mon propre chemin. Je me suis arrêté à cinq ou six projets très simples, dont la collection Euclide. Et en arrivant, j’avais la boule au ventre, j’avais peur que tout ait déjà été fait une multitude de fois et qu’Isabelle me rie au nez. Finalement, ça n’a pas été le cas, et tout s’est enchaîné très vite. Mon approche était assez humble, le point de départ était une pièce baroque que j’adorais, dont j’avais bien observé le travail à l’atelier, et à laquelle j’ai voulu rendre hommage avec une version contemporaine ; et c’est devenu Phyllibert. Même si je me suis inspiré d’un insecte pour la forme, mon but premier était de faire l’éloge de cette tradition, de ce travail, de ce passé. Et les autres collections ont suivi.  »

Matière précieuse

Passée cette appréciable séance d’archéologie, on descend vers le coeur battant du bâtiment, l’atelier où oeuvrent une vingtaine de travailleurs hautement qualifiés, sur des machines saupoudrées d’une limaille dorée si précieuse qu’elle est récupérée et recyclée.

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

Chacun a beau savoir que Vervloet prône le fait-main, contempler ces phalanges expertes donner une telle noblesse au métal procure une immanquable fascination.  » La première fois que j’ai vu l’atelier, j’ai ouvert des yeux grands comme ça, mime Jean-François. Je voulais rester, observer, apprendre à mieux connaître le processus et les travailleurs, et cela a été possible parce que c’est une toute petite équipe, très familiale. Avant de parvenir à réaliser certaines pièces, il faut dix ans de maîtrise. Ces gens sont d’authentiques maîtres-artisans dont l’oeil et la main ne se fatiguent jamais, ils peuvent passer une journée entière sur le même objet. A notre époque où tout va si vite, alors que tant d’entreprises s’envolent au bout du monde pour produire à bas coût, cet endroit semble avoir arrêté le temps. C’est grâce à la modernité et au dynamisme de leur politique que les ateliers Vervloet ont pu maintenir cette activité.  »

 » Les designers sont toujours très impressionnés par les ateliers, confirme Isabelle Hamburger, la maîtresse des lieux. Peu d’entreprises effectuent autant d’interventions humaines que nous, et ça se ressent dans la qualité. On vend aussi une histoire, c’est ce qui fait la différence.  » A seulement 30 ans, l’arrière-petite-fille du fondateur a sauté à pieds joints dans l’aventure familiale, armée par ses passages à l’Ichec et à Saint-Luc. Principal artisan de l’accession de Vervloet au marché international dans les années 70, son père lui a transmis le goût du voyage et de l’ouverture, et c’est à sa suite qu’elle cultive l’amour sincère du boulot – et de ses équipes, qui le lui rendent bien. Première femme à la tête de la société bruxelloise, elle entre en fonction en 2005, avec l’ambition de briser l’image quelque peu vieillotte de celle-ci, en boostant les collaborations avec une nouvelle génération de designers et en opérant un rebranding, risqué mais particulièrement réussi, avec l’agence Base Design.

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

Tout en déambulant dans l’atelier, la jeune femme revient sur les différents axes qui fondent la production familiale, dénommés dans le jargon par les termes  » style  » et  » contemporain  » :  » On fournit deux types de pièces : celles qui sont coulées à l’ancienne, et qui demandent énormément de temps et de savoir-faire, et celles qui sont usinées, et nécessitent donc une intervention moins spectaculaire. En revenant de la fonderie, le métal est couvert de bavures, il faut tout nettoyer « , explique-t-elle en ciblant des plaques à différents stades de leur avancement. Et du brut au résultat final, la métamorphose est saisissante.  » Parfois, on reçoit des pièces magnifiques, sur lesquelles il n’y a pas trop de travail, mais parfois c’est dégoûtant. Et comme chaque boule, chaque feuille, chaque surface est redessinée, un même article pourra nécessiter deux ou cinq heures de travail suivant son état d’origine. Nous sommes par conséquent fort dépendants de nos prestataires, et l’on recherche constamment de nouvelles fonderies, mais avec un tel taux d’exigence, il devient plus difficile de trouver des partenaires fiables.  » Face au même constat au moment de constituer ses équipes, la maison a pris les devants en assurant elle-même la formation de son personnel qualifié. Durée du cursus : huit ans !

Travailler le filon

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

A son arrivée dans le circuit, la pièce est d’abord limée, puis ciselée et ajustée, c’est-à-dire que l’on opère les perforations techniques, dispose les pistons,  » bref, tout ce qui permet aux mécanismes de fonctionner « . Suivent, en fonction, le polissage et le dégraissage, qui éliminent tout résidu qui pourrait empêcher l’objet de  » prendre le décor  » : vingt teintes parmi lesquelles laiton poli, bronze, argent, nickel mat ou chrome satiné,  » et surtout l’or fin, que nous sommes les seuls à appliquer en une couche supérieure à 6 microns « , tient-elle à préciser. Après le décor et la finition intervient une dernière vérification, et le traitement s’achève par l’emballage et l’envoi. Chaque pièce est soignée – voire choyée – et la chef d’entreprise elle-même n’hésite pas à remballer celles qui ne rencontrent pas le standard d’excellence requis.

Visite des ateliers de Vervloet, orfèvre belge de la serrurerie
© Frédéric Raevens

A l’abri du bruit des machines, Jean-François D’Or et Isabelle Hamburger examinent un lot de poignées Audrey en aluminium. De l’alu chez Vervloet ?  » Impossible, pas chez nous ! « , aurait d’abord répliqué la jeune femme, avant de se laisser séduire par la finition anodisée, look de carbone et toucher d’iPad.  » Autre grande nouveauté, le développement d’une collection lifestyle, bougeoirs, plateaux, tirelires et bientôt vases en laiton, une manière inédite de célébrer les compétences et la créativité de nos équipes.  » Avec cette petite révolution, les pop-up stores successifs et bientôt la refonte du site Web et des packagings entre autres chantiers, inutile de dire que le vénérable établissement ne va pas se contenter de ronronner.  » On éprouve le besoin de se réinventer, sinon on étoufferait. Cela nous pousse vers d’autres choses et nous oblige à maîtriser d’autres technologies. Et c’est agréable d’entendre dire que nous sommes  » enfin dans notre siècle « , car beaucoup de gens qui bâtissent des constructions modernes ne pensent pas à nous. Or, nous avons des collections contemporaines depuis les années 70. La seule étiquette de  » société traditionnelle  » ne nous convient plus, nous produisons des objets magnifiques avec des designers d’aujourd’hui. Il est temps de nous considérer différemment.  »

Pop-up store, 20, place Brugmann, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 31 octobre prochain. www.vervloet.com

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