Didier van Cauwelaert
Casa obscura
Dans La Maison des Lumières, Didier van Cauwelaert se penche sur les tourments de l’amour sur fond de canaux vénitiens. Une expérience surréaliste contée par un auteur se voulant « rêveur invétéré et vivifiant ».
Quel est votre plus beau rêve d’enfant ?
Avoir une vie d’écrivain. J’ai plongé dedans tout de suite, mais il a fallu du temps et de la chance pour que j’y parvienne. Ce rêveur actif est toujours aux commandes de l’homme que je suis. A l’instar du mime Marceau, je préfère garder l’enthousiasme dans l’oeil que de devenir un vieil insupportable.
« L’avantage des rêves, c’est qu’on peut dire ce qu’on pense. »
Est-ce la même chose pour l’écriture ?
A travers la fiction, on peut exprimer ce qu’il est impossible de dire de manière frontale dans la vie. Sinon, on risquerait de blesser quelqu’un. « Je suis un mensonge qui dit la vérité », affirmait Cocteau. Dire « je » à la place d’un autre me permet d’entrer en résonance avec d’autres vies. C’est ma part de vérité la plus construite.
Vos écrits flirtent avec la réalité et l’imaginaire ?
Plus qu’un flirt, c’est un aller-retour constant car il n’y a pas de frontière entre les deux. Ecrire est tout sauf une fuite, c’est une façon de se retrouver. Grâce à l’écriture, mon quotidien est plus efficace et agréable. Mais il ne s’agit pas d’un choix simple.
Qui vous a transmis cette passion ?
Personne, je me suis servi. Mon père l’a toutefois développée. Cet avocat théâtral, dont l’humour cachait une souffrance, était un formidable conteur d’histoires. J’aurais pu choisir son métier, mais on dépose un plan de vie comme on dépose un plan de vol. Ça s’impose malgré les turbulences et les accidents.
Si vous pouviez littéralement pénétrer dans un roman…
Ce serait Thomas l’imposteur de Cocteau. Alors qu’il nous plonge dans la Première Guerre mondiale, il nous révèle l’humanité par la grâce de l’imaginaire. Les éclats d’obus se font feu d’artifice. J’admire son théâtre de la vie et le climat qu’il crée à partir de la réalité brute.
L’auteur qui vous transporte ?
Romain Gary, dans l’oeuvre et dans la vie. En se créant un personnage (Emile Ajar), pour le meilleur et le pire, il a dirigé son existence comme un livre. Cette expérience l’a mené si loin, qu’elle a provoqué des ravages. Mais c’était sa façon d’apporter une réponse estimable à la problématique de l’auteur face aux louanges, au désintérêt et à la censure.
Qui sont vos Muses ?
Quelqu’un qui m’inspire ou qui me donne de l’énergie. Les femmes que j’aime, tant dans le bonheur que dans l’épreuve. Petit garçon, j’écrivais déjà pour elles, même pour celles qui m’ont quitté. Le privilège du romancier est qu’il peut recycler des épreuves de vie en belles choses. Cela n’enlève pas la souffrance, mais ça lui donne un sens.
Les artistes qui vous parlent ?
Magritte, l’école flamande, Renoir, Raoul Dufy et Turner, pour ses toiles méconnues. La création me touche parce qu’elle raconte plusieurs histoires. Quand Magritte peint la façade de L’Empire des lumières, il dépose plein de choses dans la maison. On y entre par le regard…
Qui choisiriez-vous pour faire votre portrait ?
Modigliani ou Lautrec. Ce dernier est prodigieux dans ses moments de délabrement. Ce peintre de l’âme possède une dimension populaire. Il dépeint les gens dans leur quotidien, leurs angoisses et leurs dérives.
Qu’aimez-vous dans le surréalisme ?
Le fait qu’il ne soit pas au-dessus du réel, mais à son extrême. Ce décalage crée une nouvelle dimension. Si Dali est cérébral, Magritte joue avec des repères compréhensibles.
Qu’y a-t-il de plus surréaliste en vous ?
Le naturel avec lequel je traite le surnaturel. Tout s’interpénètre…
Si vous étiez aspiré par une toile…
Ce serait L’Empire des lumières, dont je ne me lasse pas. Face aux Nymphéas de Monet, on ignore d’où surgissent les émotions liées à la distorsion de la nature.
Que feriez-vous si vous pouviez sortir de votre corps ?
Ecrire me permet de sortir de mon corps à l’état éveillé. Quand je quitte mes rêves à 5 h 30 du matin, je repars ailleurs. Il m’est fondamental de voyager dans l’imaginaire, même si j’aime décoller d’une piste concrète.
Les morts nous parlent-ils ?
Beaucoup, mais on les entend peu. Il faut d’abord être attentif aux vivants. Plus on est sensible, plus on capte des choses… Parfois, on est dans une telle souffrance, qu’on se réfugie dans un ailleurs. Qu’est-ce qui nous fait tenir ? La lumière, qui illumine la toile de Magritte, entretient la flamme de la vie et de la mémoire.
L’amour est-il une expérience paranormale ?
Il est non maîtrisable et nous amène à reconsidérer nos repères. L’amour est un brouilleur, mais il est aussi un révélateur de qui on est et de qui on veut devenir.
Votre définition de l’amour ?
C’est ce qui vous met au plus haut ou au plus profond, là où il y a de jolies choses à remonter. On ne peut être révélé que par ce qui nous dépasse. L’amour, est tantôt « une promesse d’éternité », tantôt « une condamnation à l’hiver nucléaire ». Ça vaut le voyage, mais il est préférable de trouver le dosage entre harmonie et perturbation.
La beauté c’est…
Si relatif. Lorsque Jérémie contemple Candice, il perçoit ses imperfections. Elle dégage une harmonie en porte-à-faux qui le bouleverse à chaque instant. Une femme complexée protège son corps de façon touchante et sexy. La beauté est une circulation d’énergie. Tout comme le désir, l’impatience et la joie, il n’y a ni loi ni mode la concernant.
Qu’y a-t-il de plus beau en vous ?
Ma générosité, mais cela va de pair avec l’égoïsme. Mon bonheur personnel ne suffit pas, j’ai besoin de flammes de joie en face de moi. Le « bon » et le « beau » sont indissociables : une beauté froide ne me touche pas, mais une bonté dénuée de beauté manque de grâce. Le rire qu’il y a autour de mes yeux est uni à la gravité qui en émane. Je suis fidèle à ce que je suis…
Qu’aimez-vous chez les femmes ?
Le courage, l’humanité, la fragilité et la vulnérabilité. J’aime celles qui en ont pris plein la gueule, sans que cela se voie. Leur lumière les rend belles car elles sont éclairées de l’intérieur. Un visage, dont les persiennes s’ouvrent dans un moment de confiance, m’émerveille.
Les femmes célèbres que vous admirez.
Jeanne d’Arc, pour le mélange de guerrière et de réelle féminité. Loin d’être un mec, elle est touchée par la grâce. Et George Sand pour sa manière de conduire ses amours et pour sa capacité à être une révélatrice de talents.
Etes-vous un séducteur ?
Ce terme superficiel est péjoratif. Je préfère être séduit. Bien dans mon corps, je suis heureux d’être un homme. Ne craignant pas de vieillir, je n’ai pas besoin d’être rassuré car c’est un privilège. Le petit garçon se trouve toujours derrières mes rides, alors j’admets mes plis.
Votre style vestimentaire ?
Dr. Jekyll & Mr. Hyde (rires) ! Mes habits d’écriture se composent de vieux joggings et de pulls hors d’âge. Or j’aime aussi porter un beau smoking. J’adore Christian Lacroix pour ses doublures déjantées et pour l’une de ses vestes, dont l’intérieur est recouvert de cartes postales.
Vos talents cachés.
Même si je n’ai pas la main verte, je m’entends bien avec les arbres. Je chante tout le temps, mais je regrette de ne pas jouer d’un instrument de musique.
Connaissez-vous « votre maison intérieure » ?
Il y en a plusieurs et elles se composent de diverses ailes. L’artiste ne doit pas être trop ordonné, il a besoin du déséquilibre pour s’équilibrer dans la création. J’aime faire du bien aux gens, après les avoir perturbés. Face à la sinistrose, la fatalité et l’immobilisme, je désire transmettre des anticorps.
Propos recueillis par Kerenn Elkaïm ?
maison des lumières, par Didier van Cauwelaert, Albin Michel, 182 pages.
Crédit photos : Maurice Rougemont/Opale
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