Mathieu Nguyen
En souvenir des jours sans histoire
En 2010, un chercheur de Cambridge répondant au doux nom de William Tunstaal-Pedoe s’est mis en tête d’indexer quelque 300 000 faits liés à des événements, lieux ou personnages marquants des 110 dernières années. L’un des objectifs du projet, baptisé True Knowledge, serait notamment de pouvoir définir le plus objectivement possible le jour le plus ennuyeux du siècle.
Et quelle fut la réponse de l’ordinateur quand on lui posa cette drôle de question ? Le 11 avril 1954, soit il y a tout juste 66 ans : aucune péripétie historique survenue à cette date n’a trouvé grâce aux yeux des algorithmes britanniques. Et là, on s’en voudrait de revenir avec cette histoire des p’tits qu’on spotche toudis, mais on précisera tout de même que chez nous, ce dimanche si paisible fut celui des élections législatives – et n’en déplaise aux supercomputers, il y avait pourtant bien des choses à dire sur l’avènement du gouvernement Van Acker IV, qui bouta dans l’opposition des sociaux-chrétiens pourtant sortis victorieux des urnes, sur fond de guerre scolaire. Beaux joueurs, on comprendra toutefois que les soubresauts de la vie politique belgo-belge ne passionnent guère les foules au-delà de nos modestes frontières – à l’exception sans doute de l’un ou l’autre politologue masochiste, amateur de lasagnes à haut potentiel dyspepsique.
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Ce que l’on s’explique moins, c’est la raison pour laquelle cette semaine planquée aux alentours de la mi-avril semble s’illustrer par son insipidité. Car, coïncidence ou pas, près d’un quart de siècle plus tôt, le 18 avril 1930 cette fois, c’est la jeune BBC qui surprenait ses auditeurs, quand en ouverture de son bulletin d’information de 20h45, elle laissa son présentateur déclarer : » Bonsoir. Nous sommes aujourd’hui le Vendredi saint. Et il n’y a pas d’actualités. » Et plutôt que d’énumérer une suite de banalités ou d’épiphénomènes sans intérêt, le speaker, engoncé dans son costume strict, se contenta de céder sa place sur les ondes à quelques notes de piano, et la Beeb diffusa un extrait du Parsifal de Wagner pour meubler les 15 minutes qu’il restait avant la suite des programmes – un geste tout bonnement impensable à l’heure actuelle.
Alors, bien sûr, le monde a pas mal changé en 90 ans, et l’espace médiatique a connu une série d’authentiques révolutions technologiques, nous servant désormais toutes les news plus ou moins valables ou vérifiables dont l’on souhaite se gaver, quelle que soit l’heure de la nuit ou de la journée. Mais bien que l’exception de ce 18 avril 1930 puisse s’expliquer par le simple fait que les canaux de transmission d’alors n’offraient qu’une très maigre variété de sujets à traiter, avec le recul, on peut aussi saluer la détermination qu’il fallut pour sacrifier son journal parlé, à une époque où l’information se consommait à heure fixe et non en flux continu. N’étant pas certain nous-même de toujours y parvenir, nous saluons donc l’audace de ce présentateur anonyme et oublié, qui eut l’élégance de se taire parce qu’il n’avait rien de mieux à dire. Un hommage un peu tardif qui, sait-on jamais, pourra inspirer ou donner à réfléchir, en ces temps où les uns vivent suspendus à l’actu alors que les autres tentent de la fuir.
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