Geneviève Damas: « J’essaie de comprendre comment fonctionne l’âme humaine »
Avec un nouveau roman, des voyages professionnels et la création de plusieurs pièces, elle aura bien mérité ses vacances en famille, dans l’une des plus belles régions d’Italie. Au programme : lecture, écriture et juste ce qu’il faut de farniente. Avant une rentrée qui s’annonce chargée.
À 11 h du matin, attablée à l’ombre sur la terrasse du Léopold Café Presse à Bruxelles – » un lieu agréable pour travailler et proche de l’école des enfants » -, Geneviève Damas pianote sur son ordinateur portable. Si son travail de comédienne est intermittent, celui d’écrivaine, lui, est quotidien. C’est bien simple : elle prend la plume tous les jours, sans la moindre exception. Une opiniâtreté déja largement récompensée. Son tout premier livre, Si tu passes la rivière, s’est vu décerner le prix Victor Rossel en 2011 et, l’année d’après, celui des cinq continents de la francophonie.
En 2019, entre la création de pièces et de nombreuses lectures publiques – dont une dans le Périgord, région qu’elle affectionne tout particulièrement -, l’auteure belge a sorti son cinquième roman, Bluebird. Le synopsis ? Juliette a 16 ans. Bonne élève, aînée de la fratrie, elle s’occupe beaucoup de sa petite soeur. Ses parents sont séparés. Et si son père vit aisément, sa mère tire un peu le diable par la queue. Un soir, l’adolescente est pliée de douleur ; son ventre la fait souffrir atrocement. Aux urgences, le verdict tombe : elle est enceinte de 6 mois et demi. Que va-t-elle faire de ce bébé ? Pour tenter de répondre à cette interrogation, Juliette lui adresse une lettre…
C’est pendant les vacances, lorsque l’agenda de Geneviève se calme, que les idées lui viennent. Ça tombe bien, elle revient d’un séjour reposant dans une ferme d’oliviers, au fin fond de la Toscane, avec sa petite tribu. Plusieurs fois sur l’année, la citadine a besoin d’un retour à la nature pour respirer, faire le point et s’éloigner de la foule, de la grisaille, de la pollution, du bruit. Si la destination lui importe peu, elle confie dans un demi-sourire que la proximité de l’eau lui est essentielle. » C’est un truc de famille. »
2019 n’est pas de tout repos pour vous !
Pas vraiment, non. J’ai publié mon dernier roman, Bluebird, aux éditions Gallimard, au mois de mai. Au même moment, j’ai rédigé un texte intitulé Quand tu es revenu, je ne t’ai pas reconnu, autour de la figure d’Ulysse, de son retour, et de celle de Pénélope. J’ai réalisé cette mini-création dans le cadre des cinquante ans du théâtre Jean Vilar. D’ailleurs, je vais en faire une lecture au Royal Festival de Spa, le 18 août prochain. Je serai accompagnée de Jan Hammenecker, un comédien belge néerlandophone, et la mise en voix sera signée par Guillemette Laurent, une metteure en scène française. Aussi, au début de l’été, j’étais auteure en résidence au Festival de la correspondance, à Grignan. Pour l’occasion, je devais imaginer une pièce en lien avec les années 50. Prochainement, j’irai dans le Périgord avec mes enfants car j’y lis La solitude du mammouth, un texte que j’ai écrit en 2017 et que je joue. Nous allons y rester un peu avant et après l’événement pour profiter du coin.
Vous semblez avoir un lien particulier avec le Périgord…
Ça fait longtemps que je viens dans cette région. J’y suis arrivée un peu par hasard. Une copine qui y avait une maison de campagne m’avait invitée. Puis, de fil en aiguille, j’y ai fait l’une ou l’autre lecture. Je commence à avoir des amis là-bas, à y créer une petite famille. C’est très gai, bien sûr. Et l’endroit est tout simplement magnifique. Il n’y a que des champs et pas la moindre voiture.
Le théâtre vous permet-il de voyager ?
Oui, surtout dans l’Hexagone. Et ça tombe à pic : j’adore m’y rendre ! La littérature, elle, m’offre la possibilité de bourlinguer plus loin. En 2018, je suis partie au Rwanda ; en janvier dernier, j’étais en Mauritanie ; en octobre, je pars en Roumanie. Pour moi, il est essentiel de découvrir de nouveaux horizons, d’autres réalités qui transforment le regard. J’aime observer de quelle manière les gens vivent et j’essaie de comprendre comment fonctionne l’âme humaine en dépit de toutes les différences culturelles. Existe-t-il des fondamentaux ? Quelle est la place de l’homme ? Celle de la femme ? De quelle manière éduque-t-on les plus jeunes ? Comment envisage-t-on l’avenir ? Tout cela me permet d’apprendre des tas de choses, de relativiser et de réaliser la chance que j’ai de vivre ici, en Belgique.
Vous avez pu prendre du repos, malgré tout ?
Oui, je suis allée dans un agritourisme fabuleux, en Toscane, avec mes quatre kids, sur une idée de mes deux aînés. J’avoue que la destination m’importe peu lorsqu’il fait chaud. Même en Ardennes, c’est parfait ( rires). Néanmoins, la proximité avec l’eau est une condition sine qua non. Qu’il s’agisse d’une piscine, d’un lac, d’une mer… Tant que l’on peut nager !
Vous avez visité des endroits intéressants ?
Nous étions à vingt minutes d’Arezzo, une ville à couper le souffle. J’avais oublié que cette cité étrusque avait servi de lieu de tournage au film La vita è bella, de Roberto Benigni.
Un voyage sans la moindre ombre au tableau, donc ?
Presque. Au retour, nous devions traverser le passage du Saint-Gothard – long de dix-sept kilomètres – et je n’avais presque plus d’essence. Un bref instant, je me suis dit : » On va tomber en panne, en fait. » Heureusement, après le tunnel, le chemin ne fait que descendre. Il suffit de se laisser aller, de ne plus mettre les gaz. Finalement, nous sommes arrivés de justesse à la pompe. Quand j’y repense, je trouve cela très drôle mais, sur le moment, c’était une sacrée montée d’adrénaline ! Dans ce genre de situation, on se sent seule au monde…
Quelles sont vos vacances idéales ?
En général, j’apprécie de me retrouver, à la belle saison, dans des trous perdus. Avec cette vie artistique, je suis fréquemment en contact avec beaucoup de gens, lors des représentations. De temps en temps, je ressens le besoin d’être au calme, de me ressourcer. Je déteste les hôtels all-inclusive ou les clubs de vacanciers. En outre, j’habite dans le bas de Schaerbeek où il n’y a que du béton. Du coup, je trouve cela chouette de se reconnecter à la nature. J’accorde une grande importance au fait que mes enfants puissent – l’espace de deux, trois semaines – courir pieds nus dans l’herbe ou observer la faune et la flore.
Quels sont alors vos passe-temps ?
Le matin, je me lève tôt, entre 6 h et 6 h 30, pour écrire, et j’arrête quand les autres se réveillent. Le reste de la journée se déroule en toute simplicité. On se balade, on écoute des audio livres (du Stephen King ou du Joël Dicker, par exemple) ou la radio, on fait des jeux de société lorsque la chaleur se révèle trop pesante, on bricole, on invente des histoires, des blagues…
Vous emportez des bouquins dans votre valise ?
Je fais partie d’un jury littéraire, en France. Pendant l’année, je dois lire énormément d’ouvrages, de manière efficace et rapide. Durant mes congés, je retrouve le plaisir de la lecture. En Italie, j’ai pris le dernier Delphine de Vigan (NDLR : Les Gratitudes, aux éditions Jean-Claude Lattès). Je l’ai trouvé plein de charme, fluide et très beau. J’ai aussi lu Pars vite et reviens tard de Fred Vargas, qui est fantastique.
Quels sont vos livres préférés ?
Dans mon top trois, on trouve A la recherche du temps perdu de Marcel Proust et La promesse de l’aube ainsi que Les racines du ciel de Romain Gary. Des oeuvres remarquables.
Avez-vous un souvenir de vacances inoubliable ?
En 2017, je suis partie en Haïti, un an à peine après l’ouragan Matthew. On a bien bossé, là-bas. Nous y avons emmené des bouquins, entre autres. Le séjour était rude et très éprouvant psychologiquement. J’avais souvent les larmes aux yeux et je n’arrivais pas à avaler quoi que ce soit. Un dimanche, nous avions un peu de temps libre. Nous sommes donc allés voir la mer. C’était splendide ! La nature était tellement époustouflante que ça nous a donné le courage de continuer à avancer. Pourtant, il s’agissait, en tout et pour tout, de trois heures de détente pure et dure. Désormais, cette plage des Caraïbes est définitivement liée à la notion de vacances, pour moi.
Vous savez déjà ce que vous allez faire à la rentrée ?
Oui, je deviens auteure en résidence au théâtre Les Tanneurs, à Bruxelles, pour une durée de quatre ans. Le nouveau directeur, Alexandre Caputo – quelqu’un de formidable – m’a soumis l’idée et j’ai accepté, évidemment. Ensuite, il est question que je fasse une tournée américaine parce que mon premier roman Si tu passes la rivière vient d’être traduit en anglais. Mais cela reste à confirmer. Je travaille également sur l’écriture d’un nouveau livre, plus masculin, qui traite de certains préjugés que l’on rencontre au coeur de la ville. Je n’en dirai pas davantage !
Sa bande-son
Je t’appartiens Gilbert Bécaud
» A Grignan, comme ma pièce était ponctuée de mélodies des fifties, j’en écoutais pas mal. Je devais également les chanter. Il y a une seule chanson que je n’arrivais jamais à retenir : Je t’appartiens de Gilbert Bécaud. Alors que je la passais en boucle, tous les jours sans exception ! En tout, il y a eu trois rencontres avec le public et, à chaque fois, ça a été le blanc total. Je n’y suis jamais arrivée. Elle est donc devenue la bande-son de mon été, malgré moi. Mais cela ne me dérange pas. La chanson est jolie si on la voit comme une déclaration d’amour entre deux personnes. »
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