Keira Knightley: « Le sexisme ne se limite pas à des pincements de fesses »

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À 33 ans, Keira Knightley est à l’affiche du biopic consacré à l’auteure star de la Belle Epoque. Une super-héroïne moderne dans laquelle se retrouve l’égérie de la maison Chanel. Un an après l’émergence du mouvement #MeToo, le combat de cette féministe d’avant-garde reste plus que jamais actuel.

Dans ce qui rend Keira Knightley unique, au vu de son impressionnante filmographie – plus de 37 longs métrages en moins de quinze ans de carrière -, il y a certainement ce goût pour le « film d’époque » qui n’avait pas manqué de nous intriguer. Après tout, n’entend-on pas souvent les actrices, Isabelle Huppert en tête, dire qu’elles sont un peu comme des princesses endormies, prêtes à se réveiller pour une jolie proposition de tournage? Ce n’est pourtant pas la prédilection pour le costume et les robes d’apparat qui a poussé la Britannique dans cette voie. Mais plutôt un constat : les rôles féminins dans les scripts « contemporains » font pâles figures face aux super-héroïnes d’hier qu’elle n’a cessé d’incarner, un bon nombre d’entre elles ayant d’ailleurs réellement existé. A ce titre, le parcours de vie de Colette ne fait pas exception: mariée au libertin Henry Gauthier-Villars, dit Willy, qui ne se contentera pas de la tromper mais lui volera même le fruit de son travail, allant jusqu’à la dépouiller de tous ses droits sur les Claudine qui ont pourtant lancé sa carrière d’écrivaine, la star de la Belle Epoque osera s’affranchir de sa coupe et même assumer ses amours lesbiennes au grand jour. Un récit d’une étonnante modernité au regard des combats féministes d’aujourd’hui, dans lesquels Keira Knightley se retrouve à 200%. Démonstration.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous glisser dans la peau de Colette?

J’ai été complètement bluffée par sa personnalité. Je ne connaissais rien de sa vie, tout au plus certaines de ses oeuvres, comme Gigi, en version comédie musicale, ou Chéri et La Fin de Chéri. Je n’aurais pas imaginé qu’une femme de sa trempe ait pu partager sa vie avec un mari capable de piller son travail et d’en tirer tout le crédit. Je n’avais pas entendu parler non plus de sa carrière d’artiste de music-hall, ni de ses amours lesbiennes. Mais ce qui m’a surtout séduite à la lecture du scénario, c’est de voir la manière dont elle s’en est tirée, en faisant front, en sortant de l’ombre de son mari pour réclamer son droit à être elle-même. J’ai trouvé cela incroyablement encourageant, d’assister à cette prise de pouvoir.

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Comment vous êtes-vous préparée pour le rôle?

En lisant le plus d’oeuvres possibles de ou sur Colette, tous les Claudine bien sûr, mais aussi la biographie du Judith Thurman, Secrets of the Flesh: a life of Colette, au départ de laquelle nous avons travaillé. C’est ce qui est amusant, d’ailleurs, lorsque l’on bosse sur un biopic. Chéri et La Fin de Chéri restent mes favoris. Les Claudine, en revanche, ne sont pas trop ma tasse de thé même si je reconnais que d’un point de vue sociétal et culturel, Colette est sans doute la première à décrire, à travers eux, l’adolescence au sens où on la définit aujourd’hui. La première aussi à donner une voix et un visage à la sexualité féminine dans la littérature, même si, à l’origine du moins, c’est son mari qui signait ses romans.

N’avez-vous pas l’impression que cette histoire aurait presque pu être écrite aujourd’hui?

Bien sûr! Il est avant tout question de politique de genre, de sexualité, de féminisme. Même si cela se passe entre 1890 et le début du XXe siècle, nous avons toujours les mêmes conversations! Je suis sûre que les choix de vie de Colette susciteraient encore la controverse, les gens ne pourraient pas s’empêcher de la critiquer sur les réseaux sociaux! Ce que j’aime particulièrement ici, c’est qu’elle n’est pas présentée comme une hétéro ou une lesbienne, comme une avant-gardiste ou une rebelle, mais comme une femme qui cherchait simplement à découvrir qui elle était, sans honte et sans peur. Elle suivait son intuition, c’est tout.

Difficile d’imaginer qu’elle soit restée aussi longtemps aux côtés de ce mari…

Tant que leur couple tenait la route, ils s’amusaient vraiment tous les deux. C’est clairement lui le méchant de l’histoire mais on comprend tout de suite pourquoi elle est restée avec lui, même lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il la trompait, tant il est charismatique et charmeur. Ils étaient les deux stars de la Belle Epoque, l’attention portée à leur duo devait certainement lui plaire, jusqu’à ce qu’elle se sente piégée. C’est justement ce qui lui a donné la force de partir. Oui, elle a été manipulée par lui, mais les relations de couple sont compliquées, toujours. Il y aura toujours des rapports de pouvoirs naturels, une lutte, dans toutes les relations homme-femme, ou femme-femme et homme-homme d’ailleurs.

Keira Knightley joue Colette, écrivaine star de la Belle Epoque qui osera s'affranchir de la coupe de son mari.
Keira Knightley joue Colette, écrivaine star de la Belle Epoque qui osera s’affranchir de la coupe de son mari.© SDP

Gérez-vous votre célébrité avec la même aisance qu’elle?

A cet égard, Colette et moi sommes à l’opposé l’une de l’autre. Elle avait une personnalité tellement forte qu’elle pouvait entrer dans une pièce pleine de monde et dire: « Regardez-moi, regardez-moi. » Je suis plutôt le genre de fille à tout de suite chercher la sortie! J’avais 18 ans quand le premier volet de la franchise Pirates des Caraïbes est sorti. A cet âge-là, vous n’avez pas envie que les paparazzi vous suivent 24 heures sur 24. Ce n’est pas parce que votre job est de monter sur une scène que vous souhaitez être mise en lumière dans votre vie privée. Les actrices sont également traitées différemment que les acteurs par les médias. Combien de fois les journalistes ne me demandent-ils pas comment je gère l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée? Ce que cela fait de tourner un film alors que je suis devenue mère? Parfois, c’est même la première question qu’ils me posent! Je ne pense pas que cela arrive souvent à mes collègues masculins. Alors oui, je suis maman et comédienne, et il c’est possible de combiner les deux. L’équité homme-femme, c’est une question d’éducation. Mon mari fait déjà la moitié du ménage. Ou plutôt un tiers, mais j’y travaille (rires).

Le fait que le film sorte un an après l’émergence des mouvements #MeToo et #TimesUp lui donne-t-il une autre résonance?

Le film traite frontalement de ce que ces mouvements dénoncent, en particulier le fait de vouloir réduire les femmes au silence. Pourtant, tout était déjà filmé avant ces révélations. Cela fait quelques années, déjà, que les préoccupations féministes sont à nouveau à l’agenda et que des changements sont dans l’air. Tout le monde savait qu’il était urgent de supprimer les inégalité liées au sexe, le sexisme structurel et la culture machiste. Ce qui m’a surprise, c’est l’ampleur du mouvement. Et pas seulement dans l’industrie cinématographique. J’en ai discuté avec mes amies et chacune d’entre elles reconnaissait avoir été confrontée un jour à du harcèlement sexuel ou à des abus.

Il y a trop peu de bons rôles féminins contemporains.

Avez-vous l’impression que les choses ont évolué dans le cinéma?

Dans une certaine mesure. Reste à voir si ce sera permanent et si cela ira assez loin, mais vous remarquerez qu’il y a plus d’attention portée aux voix et aux personnages féminins. Il existe maintenant des séries et des films mettant en scène des super-héros femmes, des filles gangsters. Je reçois enfin des scénarios dans lesquels l’héroïne n’est plus violée dans les cinq premières pages ou ne se contente plus d’être la petite amie du héros puissant et viril chargé de sauver le monde, même s’il a déjà la soixantaine bien sonnée! C’est sans doute pour cela que j’aime les films « à costumes »: parce qu’il y a trop peu de bons rôles féminins contemporains. Ces films me permettent de m’échapper vers d’autres époques et d’autres cultures.

Justement, en quoi Colette diffère-t-il des autres biopics ou films historiques que vous avez tournés?

Ils n’ont rien en commun les uns avec les autres, réellement, à part le fait qu’ils se passent à une autre époque que la nôtre et que je porte de jolies robes! Ce qui est certain, en revanche, c’est que Colette occupera une place particulière dans les grands rôles que j’ai interprétés, au même titre qu’une héroïne de fiction comme Elizabeth Bennet dans Orgueil et préjugés. Ce sont des personnages formidables, qui en jettent sur votre C.V. et dont vous ne croisez pas la route tous les jours. J’ai beaucoup de chance, je pense.

Le col Claudine, premier « produit dérivé »

Keira Knightley:

Willy, alias Henry Gauthier-Villars, premier mari de Colette, était peut-être un écrivain médiocre mais c’était à coup sûr un marketeur de génie. C’est à lui que revient l’idée de transformer l’essai du succès de Claudine à l’école en série récurrente. Lui aussi qui décide d’adapter le roman en pièce de théâtre, donnant ainsi un visage à Claudine en la personne de l’actrice Polaire, sosie de l’écrivaine. Il n’hésitera pas à apposer le nom de l’héroïne sur des glaces et des gâteaux, du parfum et de la lotion, voire des cigarettes, comme le feront plus tard les marques de mode en octroyant des licences. Il ira jusqu’à proposer aux jeunes femmes, fans de sa « franchise », des costumes pour jouer elles aussi à être Claudine, des chapeaux et bien sûr des petits cols blancs, qui portent encore ce prénom, à poser sur une robe tablier noire. Une tenue de pensionnaire dont ne manquera pas de s’inspirer, quelques années plus tard, une certaine Gabrielle Chanel.

Avez-vous dû, comme Colette, vous battre pour vos droits dans un monde dominé par les hommes?

Je pense que chaque femme sait ce que c’est que de ne pas être prise au sérieux, de remarquer que sa voix pèse moins que celle des hommes qui l’entourent. Pas seulement dans l’industrie du cinéma, mais dans n’importe quel métier. Le sexisme n’est pas un mythe, mais quelque chose de très concret qui se manifeste à travers de petites choses. Ça ne se limite pas à des pincements de fesses. A la fac, il y a autant d’hommes que de femmes qui se forment à la réalisation. Mais si vous regardez les crédits à la fin du film, vous retrouverez 10% de femmes pour 90% d’hommes. Désolée, mais ce n’est pas normal. C’est d’autant plus pervers que, finalement, cela implique aussi moins d’histoires racontées d’un point de vue féminin et moins de respect et de compréhension des femmes. C’est pourquoi je suis en faveur des quotas.

Depuis quand avez-vous réellement conscience d’être féministe?

Depuis l’âge de 12 ans. Mes parents m’ont éduquée de cette manière. Pourtant, je n’ai jamais osé demander si j’étais payée autant que mon partenaire masculin sur un tournage car je suis convaincue que cela me mettrait en colère si je découvrais que ce n’est pas le cas. Je sais, c’est lâche et un peu ridicule. Je devrais être plus courageuse.

L’éducation serait donc essentielle pour combattre le sexisme? Avez-vous des conseils en la matière à donner aux jeunes femmes?

De lire Colette et d’aller voir le film, évidemment! Je peux aussi leur recommander le livre Feminists Don’t Wear Pink & Other Lies (NDLR: « Les féministes ne portent pas de rose et autres mensonges »). Il traite du féminisme et de l’émancipation des femmes. J’y ai écrit un essai intitulé The weaker sex (NDLR: le sexe faible) dans lequel je parle de mon accouchement. Les bénéfices de la vente de cet ouvrage sont reversés à une association caritative qui soutient les jeunes filles de pays en voie de développement.

Vous êtes depuis plusieurs années l’une des égéries de la maison Chanel. Pensez-vous qu’elle en fasse assez pour soutenir les causes féministes?

Chanel a été créée par une femme indépendante qui avait confiance en elle, la maison a donc ces valeurs dans son ADN. On ne peut pas en dire autant de Topshop (NDLR: avant d’être accusé de harcèlement sexuel, le patron de la marque de fast fashion avait fait démanteler un pop-up dans lequel on vendait justement l’ouvrage mentionné par Keira et des produits dérivés). Le genre de marque qui se permet de vous dire à quoi elle veut que vous ressembliez mais qui refuse d’écouter ce que vous avez à dire. C’est dégueulasse.

Keira Knightley en 4 biopics cultes

Keira Knightley:
© isopix

IMITATION GAME (2014)

Elle se glisse dans la peau de Joan Clarke, une mathématicienne de génie épaulant Alan Turing dans le « craquage » d’Enigma.

Keira Knightley:
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A DANGEROUS METHOD (2011)

Elle incarne la psychiatre Sabina Spielrein, contemporaine de Sigmund Freud qui s’est inspiré de sa vie pour élaborer sa théorie du transfert.

Keira Knightley:
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THE DUCHESS (2008)

Elle y joue Georgiana, duchesse de Devonshire, aristocrate politiquement très engagée dans l’Angleterre du XVIIIe siècle.

Keira Knightley:
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THE EDGE OF LOVE (2010)

Une histoire de ménage à quatre dans laquelle elle interprète Vera Phillips, la maîtresse – et amie de la femme – du poète et écrivain Dylan Thomas.

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