La petite musique de l’été de Camélia Jordana, fille solaire aux talents multiples

© Vincent Desailly pour le festival international de mode, de photographie et d'accessoires de mode à Hyères

En parfaite et solaire représentante d’une génération de slasheurs épatants, elle écrit, compose, chante en anglais, français, arabe, danse, joue, tourne, filme et se souvient de ses étés d’adolescente, sur la Côte d’Azur. Confidences a cappella d’une enfant du Sud.

Elle a repoussé les frontières, Camélia Jordana. Il y a longtemps qu’elle n’est plus  » la petite brunette un peu gauche aux lunettes  » qui fit les beaux jours de la Nouvelle Star en 2009, non plus la chanteuse de ce Non non non (écouter Barbara) qui la  » suivra pourtant à vie « . Elle s’est aventurée là où son étoile la pousse. Chanteuse victoirisée avec Lost, actrice césarisée avec Le brio, réalisatrice de clips pour elle et pour d’autres, autrice enfin d’un futur long-métrage qu’elle compte bien coproduire et qui est, pour l’heure, au stade de l’écriture avec Raphaëlle Desplechin, la scénariste de ses  » rêves « . A 26 ans, la jeune femme polytalentueuse ne dédaigne pas cumuler les expériences, elle a fait siennes la débrouillardise, la lucidité, la liberté. Avec une gourmandise qui fait plaisir à voir.

J’ai appris à parler en même temps qu’à chanter.

A quoi ressemblent votre petite musique de l’été et vos souvenirs sous le soleil ?

A des souvenirs d’ado et de légèreté, des journées entre amis, à aller à la plage du port Hélène, à Hyères, dans ces petites criques où mes copains surfaient tandis qu’avec les copines, on faisait bronzette, on allait faire  » flop flop  » dans l’eau, on était heureuses, on buvait du rosé de très mauvaise qualité parce qu’on n’avait pas un rond, pour le plaisir de boire des coups entre nous et de jouer aux petites femmes, tout en n’étant que des lycéennes. On écoutait de la musique à fond, on se nourrissait tous les uns des autres, c’était vraiment le bonheur, passer du temps ensemble dans ce Sud où peu importe ce que l’on fait, on est sous le soleil, au bord de l’eau avec du vert partout.

 » L’été, on passait du temps ensemble. J’en ai gardé des souvenirs de conneries, de légèreté, on écoutait la musique à fond. « © photos : dr

Durant ces langueurs estivales, vous découvrez La traversée de l’été de Truman Capote, vous dites que ce fut pour vous un roman formateur.

J’étais une gamine, je devais avoir 13 ou 14 ans, et c’est vraiment un bouquin à lire quand on a cet âge-là et qu’on est amoureuse de son meilleur ami. C’est exactement ce qui m’est arrivé, j’étais heureuse, je pleurais, j’étais heureuse, je pleurais et c’était dur et c’était l’amour et c’était la passion et c’était génial. C’est très beau, très visuel, c’est les Etats-Unis, c’est Truman Capote, même si ce n’est pas le meilleur de ses romans, mais il y a de la matière et de la chair, cela a un goût très prononcé.

Vous fûtes une jeune fille anonyme venue découvrir le Festival d’Hyères avec votre prof d’arts plastiques. Vous en êtes cette année la muse et l’égérie sur ses affiches, joli parcours qui débute pratiquement à la Villa Noailles, votre accès à la culture.

J’ai grandi dans ce coin où on a la chance d’avoir la Villa et un super cinéma qui programmait des rétrospectives. On avait ainsi accès à la culture indépendante. Hyères-les-Palmiers est une petite ville très belle, du Sud, avec une grande avenue et des palmiers, la mer, la gare, les petits cafés, les places, les églises… Mais quand vous descendez l’avenue principale, sur la droite, il y a le siège du Front National, parce qu’on est dans le Var et que c’est la première région FN de France. En termes d’ouverture d’esprit, ce n’est donc pas que simple, y vit une population assez vieillissante qui vote extrême-droite mais pas que. Mais on y trouve aussi un vivier de jeunes hyper à donf’ sur la culture indépendante, que ce soit en musique, en cinéma, en mode, en photo, en tout… Cette ville se transforme deux fois dans l’année en lieu le plus hype du monde, avec le Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode en avril et le Midi Festival, le dernier week-end de juillet. J’allais à ce festival de musiques indépendantes, je m’asseyais là, je fumais des clopes, je buvais des bières avec mes copains, on y découvrait des groupes pas connus, on hallucinait. C’est hyper émouvant de revenir dans ces endroits qui, quand j’étais jeune, étaient presque secrets, dont les publics étaient uniquement composés des quelques adultes artistes et des kids complètement fous de culture indépendante. Aujourd’hui, ils sont devenus des références, je trouve émouvant de voir que cela a grandi à ce point.

 » J’ai une très bonne étoile, qui fait très bien son travail depuis un petit moment maintenant. « © photos : dr

Osiez-vous rêver de ce métier-là quand vous étiez enfant ?

Ma mère avait une voix démente de chanteuse lyrique, elle a commencé à suivre des cours quand j’avais 2 ans. Au lieu de nous confier ma soeur et moi à une baby-sitter, elle nous y emmenait, on se mettait sous la grande table en U avec nos petits jouets… J’ai appris à parler en même temps qu’à chanter. Puis, j’ai étudié le piano parce qu’un jour, on regardait un concert dominical de musique classique sur Arte. Ma mère a demandé à ma soeur si elle voulait apprendre la musique, juste à ce moment-là, il y a eu un gros plan sur un violon et elle a répondu :  » Oui, du violon.  » J’ai alors dit :  » Et moi, on ne me demande pas ?  » Ma maman m’a posé la question, gros plan sur un piano, j’ai fait :  » Du piano !  » Et j’étais partie pour sept ans. J’ai toujours voulu chanter. Quant à être comédienne, c’est à partir du moment où le rêve s’est réalisé un peu, avec la Nouvelle Star, que je me suis dit qu’il pouvait devenir réalité. Quand on grandit à La Londe-les-Maures, on a beau avoir accès à la culture, au forum des métiers, on vous propose un BTS de tourisme, l’enseignement ou la communication. Alors, je m’étais raconté que je serais organisatrice de festivités internationales, je pourrais ainsi voyager et baigner dans la culture mais ce n’était même pas pensable, même pas envisageable pour moi de pouvoir être de l’autre côté. Et comme la musique est devenue mon métier, j’ai annoncé à mon manager que j’avais un autre rêve sur la liste, être comédienne, et je lui ai demandé comment faire…

Le mannequin Ahmad Kontar et Camélia Jordana, en égérie du Festival d'Hyères 2019.
Le mannequin Ahmad Kontar et Camélia Jordana, en égérie du Festival d’Hyères 2019.© Olivier Amsellem 2019 pour le festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode à Hyères

Quels sont les moments où vous avez senti un basculement dans vos différentes expériences au cinéma ?

Dans Cherchez la femme d’une réalisatrice iranienne que j’aime énormément, Sou Abadi. Comme je n’étais pas le premier rôle de l’histoire, cela m’a permis de faire mon truc un peu dans mon coin, de me dire que cette fille était comme ça, de me l’imaginer, de me la raconter. Et puis, après, il y a eu Le brio d’Yvan Attal. C’est vraiment un frérot et comme il est très bon comédien en plus d’être bon metteur en scène, quand il dirige, il joue, littéralement, c’est confortable. Par ailleurs, on s’entend très bien et le fait d’avoir une relation aussi intime et bienveillante, d’avoir autant d’amour, de fraternité et de sororité, cela m’a permis de me lâcher la grappe et de lui faire complètement confiance. Avoir été choisie par lui, qui a de l’expérience et dont je connais l’exigence, jouer avec Daniel Auteuil comme partenaire, avoir autant travaillé dans ce film que je trouve réussi et en plus recevoir un César du meilleur espoir féminin en 2018, c’est une espèce de super combo.

Lost, votre dernier et troisième album, sonne comme un combat…

Complètement. Je me suis d’ailleurs battue quotidiennement, à tous les niveaux, sur la musique, les mix, l’identité des morceaux, les visuels, l’écriture, on s’est permis de me faire des remarques mais très rapidement j’ai mis le holà. A la base, c’est un projet créé avec Laurent Bardainne du groupe Poni Hoax, qui m’avait proposé de jouer pour le plaisir. Je venais de sortir mon deuxième album un an avant, dont j’avais composé plus de la moitié de la musique. C’était hors de question pour moi de  » faire  » simplement la chanteuse. Je me suis mise à écrire en anglais, c’était durant cette période très sombre de notre époque, entre les attentats, les élections américaines et la présidentielle française, la guerre au Moyen-Orient, la crise des réfugiés, la Grèce, une espèce d’apocalypse, avec ce sentiment de perte d’identité et de foi en les valeurs républicaines qu’on m’a enseignées à l’école. C’était personnel et très profond. Tous ces événements étaient des petites genèses pour mes chansons. C’est devenu le témoignage d’une Française, j’ai alors écrit en français, sinon cela n’avait pas de sens, étant donné que je parlais de ma condition de femme arabe française d’origine algérienne, à Paris, après les attentats… Et puis, l’arabe est arrivé, c’était juste une nécessité. Du coup, j’ai tout réécrit, tout réadapté, la voix ne sonne pas du tout de la même façon selon la langue dans laquelle je chante. C’est une grande liberté et un gros bonus pour moi en termes de plaisir parce que le répertoire devient plus large. Je me suis alors battue pour pouvoir faire des prises avec des vrais musiciens, parce que, pour moi, c’était un album qui méritait de la chaleur, de la vie. Cela a fini par être validé et on a eu une Victoire de la musique – tout le monde est donc très content.

La plage du Port Hélène, à Hyères.
La plage du Port Hélène, à Hyères.© Hyères Tourisme

Vous vous êtes trouvé en Brigitte Fontaine et en Virginie Despentes des marraines spirituelles. Pourquoi elles ?

Pour mes 19 ans, un de mes musiciens et grand ami adoré, Gregory Dargent, m’a offert Mot pour mot, l’édition de tous les textes de Brigitte Fontaine dont des inédits qu’elle n’a jamais mis en musique, un chef-d’oeuvre. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, dès que j’avais le problème de la page blanche, je l’ouvrais peu importe où, je lisais un paragraphe et je trouvais la force de continuer à écrire. Elle est dans mon top-5 des auteures contemporaines françaises, enfin contemporaines tout court. Et Virginie Despentes aussi, c’est une héroïne. Je n’étais pas si vieille quand j’ai découvert King Kong Théorie, cela devait être il y a quatre ou cinq ans. Elle est d’une liberté, c’est bouleversant, c’est un cadeau qu’elle fait aux femmes, en fait, cette femme est un cadeau pour les femmes.

Sa bande-son

L’été rime avec festivals pour Camélia Jordana. Avec arrêt, chez nous, aux Francofolies de Spa, le 20 juillet, et au Festival des Solidarités, le 25 août à Namur, avant d’entamer une tournée qui la verra également débarquer au Botanique, en novembre prochain. Il sera donc question de Lost, beaucoup (de hip-hop, donc, de soul, de chants traditionnels bulgares, du Maghreb et du Mali, de Mauritanie et de jazz). Il sera aussi question de studio ( » je travaille déjà sur la suite « ) et de ce Rendez-vous nouvellement clipé qu’elle chante avec le Britannique Charlie Winston. Un duo sensuel qu’elle a mis en images sur ses mots à lui, traduits par elle pour partie, où  » l’on suppute qu’il y a eu une espèce de séparation ou une disparition, comme s’ils se croisaient et se rataient en permanence…  »

La Villa Noailles qui accueille le Festival.
La Villa Noailles qui accueille le Festival.© sdp

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content