La poubelle fait sa révolution, objectif « zéro déchet »

Chez Béa Johnson, la papesse du Zero Waste, une année de déchets ménagers tient dans un bocal! © THE ZERO WASTE HOME - MICHAEL CLEMENS

L’éradication des déchets ménagers, une utopie ? Focus sur le « Zero Waste » et ses adeptes armés de sacs en tissu et de bocaux, une tendance relevant plus d’un mode de vie réfléchi que de la lubie d’altermondialistes radicaux.

En guise de préambule, ce douloureux rappel : nous produisons chaque année une quantité astronomique de déchets. Au niveau mondial, ce sont quelque 20 milliards de tonnes qui sont déversées annuellement dans les mers et océans. Pour ramener ces chiffres démesurés à une échelle à peine moins abstraite, StatBel estime qu’en 2014, notre petit pays a généré 1 741 tonnes de rebuts d’emballages, tandis que, selon le Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, le gaspillage alimentaire atteint le triste score de 3,6 millions de tonnes par an. Des données obscènes sur une planète en proie à l’asphyxie, dont un habitant sur huit souffre encore de la faim – à se demander qui sont vraiment les ordures. Refusant d’adopter une attitude passive face à cet alarmant constat, des citoyens de tous horizons ont tenté de trouver des solutions pour contourner ce que l’industrie nous présente comme une fatalité. Leur idée de base ? Une sobriété de consommation, et des manières toujours plus inventives d’optimiser les biens à disposition et de revaloriser un maximum de denrées de toutes sortes. Et pas question d’abuser de certaines matières sous prétexte qu’elles sont recyclables, le meilleur déchet est celui qui n’existe pas.

Béa-tification

Puisque tout mouvement a besoin de leaders, le Zero Waste s’est trouvé une véritable papesse en la personne d’une pimpante mère de famille française, installée en Californie et répondant au nom de Béa Johnson. Ayant mis sa poubelle à la diète sévère depuis 2008, elle a publié Zero Waste Home, ouvrage aujourd’hui traduit en douze langues, et parcourt le monde pour prêcher sa bonne parole, avec un succès certain.

La poubelle fait sa révolution, objectif
© SDP

Son credo : les 5 « R », soit « Refuse, Reduce, Reuse, Recycle, Rot », ce qui donne en français « Refuser, réduire, réutiliser, recycler et pourrir », mais « seulement dans cet ordre », tient-elle à préciser. A l’analyse, ses prescriptions sont frappées du bon sens le plus évident. A commencer par un grand « Niet ! » aux monceaux d’achats compulsifs, cadeaux-bibelots, promotions inutiles, publicités et blisters divers que l’on accumule sans même savoir pourquoi.

Equipée de différents récipients (disponibles via www.zerowastehome.com), Béa milite donc pour le commerce en vrac, le recours à la seconde main et à la récup’ et la revalorisation de ce qui ne peut plus être consommé comme tel. Aussi drastique soit-elle, sa politique ne semble pas poser de problèmes à son mari, pas plus qu’à ses deux ados, alors qu’il s’avère éminemment positif en termes de santé et de portefeuille, avec un budget domestique réduit de 40 %. Un chiffre apparemment énorme, qu’elle explique par l’absence du coût de l’emballage et surtout un approvisionnement sur mesure, donc en pleine adéquation avec ses besoins.

Outre son best-seller et ses conférences, elle tient un blog où elle raconte son quotidien et livre quantité de trucs et astuces, avec un goût prononcé pour la mode. Une particularité presque inattendue, qui tranche avec l’image pas forcément glamour que d’aucuns pourraient avoir d’une égérie écolo – en témoignent les articles « 15 pièces, 50 tenues » ou « Une robe, 22 façons de la porter », consacrés à son dressing minimaliste, modèle de « mix and match ».

Chez Béa Johnson, la papesse du Zero Waste, une année de déchets ménagers tient dans un bocal!
Chez Béa Johnson, la papesse du Zero Waste, une année de déchets ménagers tient dans un bocal!© THE ZERO WASTE HOME – MICHAEL CLEMENS

Si Béa Johnson porte un discours souvent jugé inspirant, la voir déambuler dans son intérieur blanc dépouillé à l’extrême, à la limite de la science-fiction style THX 1138, montrer sa salle de bains où ne subsistent qu’une poignée de produits homemade et des brosses à dents en bambou 100 % biodégradables, puis enfin brandir le modeste bocal qui servit à recueillir l’ensemble des déchets ménagers pour une année, pourra en décourager plus d’un, tant l’écart entre leur mode de vie actuel et celui diffusé à l’écran paraît insurmontable. Or, cela reviendrait à peu près à comparer les performances d’un joggeur du dimanche à celles d’Usain Bolt. Pas de panique, donc, il existe de nombreux paliers à franchir en douceur avant de pouvoir prétendre à une telle expertise, la sympathique Béa ayant d’ailleurs peaufiné sa technique pendant près d’une décennie.

« Revenir aux activités manuelles »

Le collectif namurois Les Gozettes entend promouvoir le Zero Waste dans un esprit convivial, festif et créatif.
Le collectif namurois Les Gozettes entend promouvoir le Zero Waste dans un esprit convivial, festif et créatif.© MADAME MONSIEUR PHOTOGRAPHY

Il y a à peu près un an, c’est justement après un speech de Béa Johnson que Gaëlle Defeyt décide de s’y mettre. Le soir même, elle enverra un message à ses amies susceptibles d’être intéressées par le discours de la gourou californienne. « Ce que j’ai aimé, c’est d’abord son approche pas du tout culpabilisante, et puis le fait qu’il existe de nombreuses portes d’entrée, se remémore-t-elle. Chacun peut décider d’agir sur un domaine particulier, en commençant à son échelle. On ouvre une porte, puis la suivante se présente et ça devient un agréable challenge, on voit assez vite les résultats grâce à un effet boule de neige. »

En l’espace de quelques mois, Gaëlle fonde le collectif namurois Les Gozettes avec trois copines « hypermotivées ». Elles entendent promouvoir le Zero Waste dans un esprit convivial, festif et créatif. Leur premier événement, un marché de créateurs, a connu un beau succès en novembre dernier, à Namur, et Les Gozettes planchent déjà sur le développement d’ateliers à domicile, centrés sur l’artisanat et la cuisine.

D'un marché de créateurs organisé par le collectif Les Gozettes à des magasins en vrac, entre autres, les initiatives ne manquent pas et connaissent un succès toujours plus grand.
D’un marché de créateurs organisé par le collectif Les Gozettes à des magasins en vrac, entre autres, les initiatives ne manquent pas et connaissent un succès toujours plus grand.© MADAME MONSIEUR PHOTOGRAPHY

« L’objectif est de mettre sur pied des moments de rencontre où l’on partage notre expérience, en montrant que c’est possible. On aime faire des choses de nos mains, réparer, créer, et on pense qu’un tas de consommateurs citoyens ne demandent qu’à se découvrir de nouveaux talents. C’est un moyen de revenir aux activités manuelles. A titre personnel, après une année de pratique, ce n’est que du positif. Cela nous a demandé un peu d’organisation, mais je ne vois plus ça comme une contrainte. C’est devenu un plaisir, et si ça me fait mal au coeur de jeter une brique de lait, je n’en suis pas devenue extrémiste pour autant », nous confie celle qui « n’a pas la prétention de vouloir changer la face du monde ».

La poubelle fait sa révolution, objectif
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Mais justement, que manque-t-il à ce bel élan pour dépasser le cadre un peu étroit des initiatives locales pour influer durablement la consommation globale ? « On a beau en parler autour de nous ou dans les médias, tant que le déclic ne se fait pas auprès du grand public, ça restera compliqué, constate Gaëlle. Alors il faut encourager les gens à commencer très simplement, par exemple en allant chercher son pain avec son propre sachet, et envoyer petit à petit un message à d’autres clients, aux marques et aux commerçants. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de pouvoir d’achat, comme le dit Béa Johnson, c’est une façon de montrer que notre consommation a un impact. On n’a pas besoin de tous ces emballages, ce n’est même pas une question de politique. Les choses se mettent en place progressivement, ça prend de l’ampleur. »

Un déchet, une ressource

La poubelle fait sa révolution, objectif
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Ce constat est partagé par Thibaud Godet, jeune Bruxellois qui quitta le secteur de la consultance pour prendre la tête de l’antenne belge de Future of Waste, « track de mobilisation » du portail de soutien à entrepreneuriat social MakeSense : « Ça percole dans des cercles plus larges, notamment grâce à la plate-forme Zero Waste Belgium qui recense déjà la majorité des initiatives en la matière. Il y a une demande, une lame de fond, de plus en plus de gens qui veulent faire avancer les choses, oui. » Et de citer quelques blogs et sites inspirants, débordant de recettes, tuyaux DIY et répertoires d’adresses intéressantes : Zéro carabistouille, ou le quotidien d’une famille « ZWA » (« pour Zero Waste Addict ») dont l’aventure débuta suite à une conférence de Béa Johnson ; Leminimaliste.com, dont l’un des coauteurs vit sans poubelles depuis deux ans ; ou encore Plasticless, une page garantie sans polymères artificiels tenue par Elise Elsacker. Comme les individus de bonne volonté finissent souvent par se rencontrer, c’est d’ailleurs avec Elise que Thibaud monta les premiers Brussels No Waste City Tour, l’occasion de prouver qu’il existe bien des « magasins bio 2.0 » comme alternative à la grande distribution. Et Bruxelles peut compter sur des enseignes comme Bio Vrac, Chyl, la Grainerie, Natural Corner, Stock, la chaîne Färm ou encore le tout récent Super Monkey et ses 172 distributeurs homemade flambant neufs. « On a vu émerger d’autres initiatives originales, comme Jean Bouteille, du vrac liquide – vin, vinaigre, huile – avec un système de consigne, ou Lili Bulk, service unique en son genre de livraison d’épicerie en vrac à domicile ou sur le lieu de travail, un concept vraiment génial pour gagner du temps », complète-t-il.

La poubelle fait sa révolution, objectif
© LEO KOOMEN

Plus encore que la course à l’éradication totale des déchets, c’est le principe d’économie circulaire qui branche avant tout Thibaud Godet : « Le Zero Waste, c’est un but en soi pour certains, pour d’autres un élément au sein d’un ensemble plus large, résume-t-il. A mon sens, ce n’est pas le principal. Réduire sa production de 60 %, c’est déjà énorme. Il faut faire comprendre que le déchet de l’un est la ressource d’un autre, même si cela demande de remettre énormément de choses en cause. Mais on assiste à une sorte de réveil, et des films comme Demain peuvent jouer un rôle important dans la diffusion auprès du grand public. » Du côté des autorités, une dynamique plus ou moins timide semble se mettre en place, avec notamment le plan REGAL anti-gaspi en Wallonie, le projet pilote Be Organic, qui veut faire de Bruxelles « un modèle de gestion des déchets organiques », sans oublier le bannissement des sacs en plastique, déjà en vigueur au sud du pays et prévu pour cette année à Bruxelles. « Si l’Etat suit, tant mieux, se félicite Thibaud, ça signifie que des initiatives citoyennes lui ont montré la voie. Peu importe que le milieu politique s’approprie une idée, ce qui compte, c’est l’impact. Mais qu’il ait l’honnêteté de soutenir ce qui existe déjà et d’écouter ceux qui prennent des risques pour changer les choses. »

One, Two, Tri : on s’y met aussi

  • Commencer par faire le tri dans ses besoins, identifier les mauvaises habitudes et les postes qui peuvent trouver une alternative sans trop de difficulté.
  • Elaborer un carnet d’adresses Web et boutiques, pour se tenir informé des events et initiatives locales.
  • Apprendre et se former ! Vinaigre, bicarbonate et savon noir font des miracles à condition de savoir s’en servir. Tout comme un compost « ne prend » que lorsqu’il est bien réalisé.
  • Bien s’équiper en bocaux, sacs et récipients divers, et faire usage de son attirail !
  • S’armer de patience et attaquer un domaine d’action à la fois. Et commencer au meilleur moment, c’est-à-dire tout de suite.

Handyman in Brussels : éloge du triple win

« Après la rénovation des façades de la Grand-Place, la Ville de Bruxelles a lancé un appel ouvert aux créatifs pour récupérer les centaines de mètres carrés de bâches de protection du chantier. Un designer de nos ateliers a manifesté son intérêt et on a commencé à développer quelque chose », explique Olivier Gilson, project manager de MAD Brussels (Mode and Design Center). L’idée était de créer un objet qui puisse être fabriqué par une entreprise de travail adapté (E.T.A.). Grâce à un cercle vertueux impliquant les pouvoirs publics, l’E.T.A. L’Ouvroir, le designer Pierre-Emmanuel Vandeputte et le MAD, « un produit juste, bien foutu et intelligent » a vu le jour : le sac Handymade in Brussels, souvenir unique et numéroté de la plus belle place du monde. A présent, le MAD entend poursuivre l’expérience en cherchant d’autres solutions reproductibles, et d’autres « gisements » susceptibles d’alimenter des projets pérennes avec de nouvelles E.T.A. Prochaine création à venir, une boîte à clés découpée au laser dans la coque des anciens oblitérateurs oranges de la STIB. En attendant la suite, car, comme le conclut Olivier, « tout peut devenir un support ».

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