Laurent Piron, champion du monde de magie: « Faire disparaître une femme dans une boîte, ça ne m’intéresse pas »

Laurent Piron champion du monde de magie
© AARON LAPEIRRE
Nicolas Balmet
Nicolas Balmet Journaliste

D’habitude, c’est lui qui envoie des étoiles dans les yeux. Mais l’été dernier, ce prestidigitateur originaire d’Aubel n’en croyait pas ses propres mirettes: il devenait champion du monde de magie face au gratin de la profession. Une histoire qui a commencé dans la rue… et où s’invite aujourd’hui un certain David Copperfield.

L’école de la rue est exceptionnelle...
Je quitte la Belgique à 22 ans pour aller vivre une année à Vancouver. J’ai alors un petit boulot dans une chocolaterie, où j’aperçois un magicien par la fenêtre qui, chaque soir, fait ses tours sur le trottoir. Il s’éclate, je me dis qu’il est libre de bosser quand il veut, et je constate qu’il gagne plus d’argent que moi. Alors je décide de faire comme lui… en suivant littéralement le soleil pendant plusieurs années: l’hiver, je me rends en Australie ou en Nouvelle-Zélande, et l’été, je reviens en Europe.

Utiliser la magie comme un langage permet d’ouvrir des portes
Je pratique la «magie nouvelle». Au lieu d’aligner des numéros qui ne se ressemblent pas, j’imagine une vraie dramaturgie pour raconter une histoire, loin des codes du magicien doté de super-pouvoirs. Faire disparaître une femme dans une boîte, ça ne m’intéresse pas, ça ne me procure pas d’émotions. On pourrait croire que les enfants sont déçus de ne pas me voir avec une baguette magique. Mais non, car je les emmène ailleurs. Et toutes les générations s’y retrouvent. Au Canada, un homme de 85 ans est venu me dire, en larmes, que j’avais fait resurgir en lui des émotions qu’il n’avait plus connues depuis son enfance…

La magie est un art merveilleux qui reste trop souvent enfermé dans sa boîte à paillettes et à colombes, mais qui peut être tellement plus incroyable.

Un bon numéro, c’est entre trois et cinq ans de travail
L’originalité de notre compagnie Alogique, créée avec Hugo Van De Plas et Sylvia Delsupexhe, ce sont nos techniques, qu’on emprunte aussi bien à la grande illusion qu’au mentalisme… ou autre. Là où un magicien classique commence par trouver un effet et se demande comment l’intégrer à son spectacle, nous, on part d’une image et on se demande comment on va lui donner vie sur scène. On se dit que tout est possible. Du coup, notre imagination n’a pas de limite.

Le cinéma est une source d’inspiration inépuisable
On veut que les gens croient en ce qu’ils voient. L’objectif est de brouiller les frontières entre le réel et l’irréel, comme au cinéma. J’ai un numéro avec une toupie qui ne s’arrête pas de tourner, référence directe au film Inception. Je pars du principe qu’il y a de la magie partout. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, dans beaucoup de parties du monde, la magie n’est pas du tout ce dont on parle ici: c’est de la sorcellerie, du vaudou, des guérisseurs ou de la voyance… Nous, on fait juste du spectacle, avec notre version occidentale de la magie. J’ai un jour présenté des tours en Afrique, et c’était très déroutant, car ils ont là-bas un tout autre rapport avec les choses inexplicables.

C’est plus difficile à gagner qu’une Coupe du monde de foot!
C’est un championnat qui a lieu tous les trois ans, où s’affrontent environ 150 magiciens venus des cinq continents. Cet été, au Québec, j’ai triomphé grâce au numéro Paper Ball. Ça peut paraître prétentieux, mais ce tour bluffe tout le monde… y compris David Copperfield, qui m’a appelé après le sacre pour me féliciter et me proposer qu’on se rencontre. Même si le «truc» est plus simple que ce qu’on pourrait imaginer, il était soufflé. Lui, le big boss, la star planétaire qui possède la plus incroyable collection de magie dans son musée de Las Vegas, qui a tout vu, qui mange magie et qui dort magie! En fait, c’est un gamin de 12 ans avec 1,5 milliard de dollars sur son compte en banque. Et il est possible qu’on travaille un jour ensemble… C’est hallucinant.

En Belgique, il y a un problème de reconnaissance
La magie est vue comme du simple divertissement, et non comme de la création artistique. On n’a donc pas droit à des subventions. Avec Alogique, c’est un combat qu’on mène, en enchaînant les rendez-vous avec les ministres. Ceci dit, la magie se porte mieux chez nous qu’il y a dix ans, notamment grâce à une émission comme Diversion ou le succès de Donovan. Mais on est loin de Etats-Unis, où les magiciens remplissent des casinos pendant des années entières…

Etre un bon magicien, c’est être «out of the box»
Moi j’aime la magie qui sert un propos universel. C’est un art merveilleux qui reste trop souvent enfermé dans sa boîte à paillettes et à colombes, mais qui peut être tellement plus incroyable. Et là, après les quatre années qu’on vient de passer et avant les cinquante années qui arrivent, c’est peut-être un peu naïf de le dire, mais on a tous besoin d’un peu de magie…

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