Si, à présent, la Namibie puise ses diamants offshore, elle garde du temps des pionniers de belles cités fantômes à demi enfouies dans les sables du plus vieux désert du monde.

Dans notre numéro du 11 juillet : second épisode :  » Atacoma, la beauté du diable  » .

En cette matinée de janvier, la petite ville de Pomona semble encore endormie. Les dunes alentour dévoilent leur blondeur sous un ciel azur, tandis qu’une antilope se rapproche timidement, avant de détaler en direction des plaines rocailleuses qui s’étendent à proximité. Soleil de plomb, silence assourdissant… Le village est figé, comme inanimé. Ici, un amas de taule froissée et quelques bidons rouillés. Là, une charpente bringuebalante et de vieux conteneurs abandonnés. Une ligne de chemin de fer s’étire vers l’horizon… Dans ce chaos presque organisé, une gigantesque mine û ultime vestige de l’aventure mythique du diamant û se dresse au c£ur du Namib, le plus vieux désert du monde. Pas l’ombre d’un passant, ni d’une quelconque activité. Seuls les grincements des toitures et des fenêtres déglinguées viennent troubler la quiétude de ce paysage désolé, quasi lunaire, balayé par de puissantes rafales de vent.

En s’approchant de plus près, le spectacle dépasse l’imagination. Façades et toitures avoisinantes ne sont plus que des squelettes dans lesquels le sable s’est engouffré, parfois jusqu’au plafond, engloutissant les meubles et renversant le moindre obstacle sur son passage. Chaque lucarne, chaque interstice est prétexte à une nouvelle intrusion. Comme si la nature reprenait peu à peu ses droits là où l’homme s’acharna à la dompter autrefois. Car Pomona partage le destin de toutes les villes fantômes de la Côte de Diamant.

Elles ont pour nom Grillenthal, Bogenfels, Kolmanskop, Elizabeth Bay… et furent l’épicentre de la fièvre adamantine qui agita le sud-ouest de la Namibie, au début du siècle dernier. Nous sommes au c£ur de la Restricted Diamond Area, une  » zone restreinte  » de 260 000 hectares s’étendant, sur une largeur de 100 kilomètres, du nord de Lüderitz, petite ville balnéaire du littoral atlantique, jusqu’à la rivière Orange, au sud, qui regroupe encore aujourd’hui l’essentiel de la production minière du pays. Le  » Sperrgebiet « , région ainsi baptisée par les colons allemands, qui s’y sont installés à la fin du XIXe siècle, est resté pendant de longues années inaccessible au public. Mais l’endroit suscitait une telle curiosité que le gouvernement namibien (actionnaire à 50 % de la Namdeb Diamond Corporation, qui détient la majeure partie du marché national) a ouvert ses portes aux passionnés de géologie et aux touristes étrangers, les voyagistes locaux bénéficiant d’autorisations spécifiques à cet effet. D’un village à l’autre, la visite est alors l’occasion de découvrir l’histoire du diamant, ce précieux minéral né des affrontements telluriques qui ébranlèrent les profondeurs de ce territoire durant des millénaires.

Tout commence en mai 1908. Le jeune August Stauch est alors chargé de l’entretien de la ligne de chemin de fer qui relie la ville de Lüderitz à celle d’Aus (plus au sud), lorsque l’un des ouvriers découvre, non loin de là, un caillou qui, selon ses dires, pourrait bien être un diamant. On le fait alors analyser en Allemagne, mais, avant que les résultats ne soient connus, la nouvelle se répand sur la terre africaine. Bientôt, des centaines de chercheurs affluent dans le petit port de la ville… Et tombent, en effet, sur une pluie de pierres précieuses posées à même le sol.  » A l’époque, les gens n’avaient pas d’argent, mais des diamants plein les poches ! « , se souvient Hans Schmidt, 76 ans, fils d’un ancien mineur d’Elizabeth Bay. Pourtant, la ruée sera de courte durée. En septembre de la même année, le gouvernement allemand reprend en main une situation devenue complètement anarchique. Il institue alors la fameuse  » zone restreinte  » et crée dans la foulée la Deutsche Diamanten Gesellschaft, assurant la protection du site. En quelques mois, ce bout de désert devient l’une des entreprises les plus lucratives du Reich. Entre 1908 et 1914, pas moins de 5 millions de carats seront extraits des sables namibiens, contre 1,5 million en 2000 !  » Le plus amusant, confie Michael Krafft, le petit-fils d’August Stauch, est qu’un an avant la fameuse découverte une société britannique, venue chercher du cuivre dans les profondeurs du désert, repartit bredouille, sans même s’apercevoir qu’elle abandonnait, en surface, des monceaux de diamants !  »

De cette période faste et mouvementée, il reste encore aujourd’hui Kolmanskop, un village particulièrement préservé. Située à l’est de Lüderitz, son ancienne mine est ouverte aux touristes depuis une vingtaine d’années. Ils se faufilent au c£ur de cette ville fantôme colonisée par les  » barchanes « , ces dunes mouvantes de sable blond en forme de croissants qui se déplacent de 15 à 50 mètres tous les ans. Des superbes résidences aux nombreuses infrastructures, telles que l’hôpital, l’usine de limonade, la salle de gymnastique, le théâtre, le casino ou le bowling, tout parle encore, ici, du luxe et de la prospérité qui régnèrent jusqu’en 1938.

Dans cet univers irréel, bon nombre d’anecdotes nourrissent les récits de cette aventure légendaire. Parmi elles, la célèbre histoire de la  » vallée des fées « . Nous sommes en 1911, près de Pomona, un soir de pleine lune ; un groupe de chercheurs tombe, par inadvertance, sur une immense plaine scintillante parsemée de milliers de diamants :  » Vous imaginez l’euphorie qui présida à cette découverte, se rappelle, amusé, Michael Krafft. L’endroit était à ce point truffé de pierres précieuses que les mineurs rampaient à plat ventre pour les ramasser avec une pince à épiler !  » A lui seul, ce secteur a permis l’extraction de 6,2 millions de carats… Amusante aussi, cette bluette qui se raconte aux environs d’Elizabeth Bay, autre haut lieu d’exploitation, implanté à une trentaine de kilomètres au sud de Lüderitz. Un mineur allemand parvint à convaincre sa dulcinée de le rejoindre dans cet univers isolé, rongé par la corrosion. Comme elle exigeait des lagons bleus et des palmiers à proximité, l’amoureux peignit, dans son salon, une gigantesque fresque tahitienne… qui a d’ailleurs résisté à l’usure du temps.

Si la vie des mines fut souvent des plus brillantes pour les riches propriétaires û allemands et sud-africains (la Namibie est placée sous leur protectorat au lendemain de la Première Guerre mondiale) û certains vestiges rappellent des épisodes moins glorieux. Comme ces dortoirs à deux niveaux où l’on entassait, à Elizabeth Bay, jusqu’à 50 travailleurs noirs. Ou encore ces quelques tombes, au large de Pomona, qui témoignent des terribles conditions de travail dans cet environnement battu par des vents de plus de 100 kilomètres à l’heure, et dans une chaleur dépassant les 40 degrés en plein été.

Aride, rocailleuse, envahie par le sable, la région du  » Sperrgebiet  » n’offre qu’un aperçu du Namib. Plus au nord, le désert se couvre de dunes rouges ponctuées par des champs d’acacias, hérissées d’inselbergs (petites collines isolées) et trouées par des plaines de gravier. Dans ce paysage flamboyant, au pied de la longue chaîne montagneuse du Nubib, s’étend, sur 180 000 hectares, la réserve naturelle du NamibRand. Créée en 1992 à l’initiative d’Albi Brückner, un riche industriel allemand et de quelques fermiers de la région, elle a pour fonction d’assurer la protection de l’environnement grâce au développement du tourisme écologique.  » Notre objectif est de rendre ce territoire à la nature, comme si l’homme ne l’avait jamais exploré « , explique Joachim Lenssen, responsable du site depuis plus de cinq ans.

Coupé du reste du monde, ce paradis terrestre offre des rencontres parfois insolites. On peut y croiser les membres d’une confrérie de charpentiers allemands qui sillonnent les routes du monde entier, vêtus de costumes de velours et coiffés de chapeaux noirs traditionnels. On est aussi confronté à d’insondables mystères, tels les fairy circles, ces cercles de fée parfaitement visibles sur le sol et dans lesquels aucune végétation ne pousse. Ils suscitent, depuis des siècles, les spéculations les plus farfelues. Afin d’alimenter le fonds de recherche destiné à l’étude scientifique de ce phénomène, le NamibRand propose de les acheter à l’unité, comme on acquiert une étoile dans le ciel, en échange d’un certificat et de quelques billets… Pour fuir les maléfices, on se réfugie dans le lodge de Wolvedans, au c£ur de la réserve. Il se compose d’une série de petits chalets de bois montés sur pilotis. Ici, seuls les zèbres, les oryx et les springboks animent ce paysage aux couleurs contrastées.

Autre décor dans la région de Sossusvlei, à quelques heures de route de là. Les dunes y affichent des teintes ocre et abricot, leurs cimes en forme d’étoile donnent un surprenant spectacle d’ombres et de lumière. Du haut de ses 325 mètres (son point culminant) et de ses 80 millions d’années, cette immense mer de sable, emblème du Namib, rappelle qu’en Afrique les terres ne s’apprivoisent pas.

Marion Tours

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