Ils participent à la vitalité de la capitale. Ce qu’ils aiment à Bruxelles, c’est le métissage des cultures. Mode, design, art, musique et gastronomie sont leurs terrains de jeu. Rencontre avec dix de ces citadins aux idées créatives.

1. Lady Jane et le Catclub

Tous les chemins mènent à Bruxelles. » Je suis de Louvain, mais j’ai étudié le marketing à Anvers et je suis venue à Bruxelles parce que c’est la ville qui me correspond le plus en Belgique. Malheureusement elle est mal gérée, il n’y a aucune vision globale. Je vis à Ixelles mais j’adore découvrir tous les visages de la capitale sur ma moto.  »

DJette avant l’heure.  » J’ai commencé à mixer au début des années 90 : j’étais alors une des seules filles, et c’était aussi les prémices de la house, qui était même censurée à la radio ! On était une petite communauté à part. Dès que j’ai commencé, j’ai été bookée très vite… L’effet  » fille  » ? Il y a dix ans, je travaillais dans la mode et j’ai commencé à organiser les soirées Catclub six fois par an pour des amis qui n’aimaient pas les boîtes. C’est un joyeux mélange de francophones et de néerlandophones, de jeunes de 20 ans et de quadras, d’hétéros et de gays. Des gens assez open minded et qui n’ont qu’un objectif : s’amuser ! J’y invite des DJ à haut potentiel avant qu’ils ne soient des stars. Quand je mixe, c’est mélodique, parfois nostalgique, du down tempo, du disco des années 80…  »

Jane et l’art contemporain.  » Pour les Catclub et les soirées que j’organise pour le milieu culturel, comme le final du défilé de La Cambre Mode(s), je crée à chaque fois un concept, avec customisation de la salle par des artistes contemporains. Cela rafraîchit le milieu, parfois trop institutionnel. Je mixe donc de moins en moins et me consacre à l’organisation pure, c’est mon truc !  »

www.catclub.be et sur Facebook.

2. Frans Claus et Les Ateliers Claus

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » J’ai vécu longtemps à Gand, que j’ai quittée parce que la Flandre est trop sûre d’elle, assise sur ses acquis. Au début des années 80, j’y avais lancé le Democrazy, un club devenu mythique parce qu’on y a fait venir des stars : Nirvana en Belgique, c’était nous ! Je suis venu à Bruxelles pour ouvrir le bar du Beursschouwburg. Je suis Bruxellois néerlandophone, de partout et de nulle part, multilingue… Je ne suis pas tenté par le communautarisme. Bruxelles est cosmopolite et en désordre. C’est magnifique !  »

Un atelier-salon.  » Au début, j’ai aménagé mon atelier en « salon » pour organiser des concerts et des événements mixtes. Avec mon équipe, nous voulions un projet proche des gens : c’est l’esprit des Ateliers Claus. On invitait des musiciens étrangers et la scène belge, Clément Noury, Jean-Jacques Duerinckx, Matthieu Ha… qui faisaient de l’impro, du rock alternatif, du jazz non conventionnel. Je pense que la religion, l’art, la science et la philo tirent l’humain vers le haut : il faut donner des impulsions pour aider les gens à être curieux. Je suis né à Alost où le carnaval est une forme de thérapie où l’on sort de soi, on atteint un autre niveau de conscience. Je recherche toujours cette extase, même fugace.  »

Occupations précaires.  » Notre bureau est à Saint-Gilles, ainsi que ma maison que je suis en train de réaménager pour y héberger des artistes en résidence. Nos concerts se donnent aujourd’hui près de la place Rogier (23A, rue du Brabant, à 1210 Bruxelles), dans une galerie déserte que l’on nous loue sans bail. La précarité, c’est notre destin.  »

www.lesateliersclaus.com Reprise des activités le 6 septembre prochain.

3. Johan Valcke et Design Vlaanderen

Tous les chemins mènent à Bruxelles. « Né à Bruges, j’ai fait mes études d’histoire de l’art et archéologie à Gand. Puis j’ai travaillé à Bruxelles auprès de l’Institut économique et social des classes moyennes. Je m’étais spécialisé dans le bijou contemporain belge, je rencontrais des artistes, cherchais des fonds. En 1990, mes collègues francophones sont partis à la Communauté française et moi au VIZO (Institut flamand pour la création d’entreprise).  »

Dans la cour des grands.  » Du jour au lendemain, je suis devenu directeur et mon budget est passé de 7 500 à 200 000 euros ! Il n’y avait pas de structure pour les designers, on était les seuls, les artistes sont venus vers nous, on les a exposés. Quand en 2004 on a obtenu de s’appeler Design Vlaanderen on a encore franchi un cap.  »

Par la fenêtre. « Nous avons déménagé et choisi un lieu avec une galerie pour avoir une vitrine, dans tous les sens du terme. J’ai l’impression que la ville est entrée par la fenêtre : des professionnels du design et de la Maison des métiers d’art m’ont sollicité, entraîné à la rencontre d’artistes bruxellois, néerlandophones et francophones. Je pense que je suis moi aussi entré dans Bruxelles grâce à cette vitrine. J’ai découvert que les conflits communautaires sont purement politiques et n’existent pas dans la vie de tous les jours.  »

99, rue de la Croix de Fer, à 1000 Bruxelles. www.designvlaanderen.be

4. Sonja Noël et la rue Antoine Dansaert

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » J’y vis depuis mes études dans les années 80, et j’y suis restée parce que je sentais le potentiel du centre-ville : le Beursschouwburg, beaucoup d’artistes, des loyers peu élevés. J’ai ouvert la première boutique Stijl en 1984, dans la rue Dansaert. Petit à petit d’autres sont venues s’ajouter, comme une famille qui s’agrandit.  »

Visionnaire et spécialiste. « S’en est suivi Stijl Men en 1985, Stijl Lingerie en 1987. Puis sont arrivés Le Pain Quotidien, Rue Blanche, etc. Pour continuer à stimuler ce mouvement, j’ai ouvert le premier magasin Margiela en Europe, plus loin dans la rue. Et ça a marché ! Mon dernier projet, Haleluja, combine mode et écologie. Je cherche en Europe les talents qui ont une philosophie green. Honest by de Bruno Pieters, en est un bel exemple : c’était la collection que j’attendais ! Je participe à Modo Brussels, collectif qui promeut les stylistes, le réseau et les commerçants. Face à la concurrence des grandes chaînes, la créativité et la solidarité sont nos armes. Malheureusement cela ne suffit pas toujours : Christophe Coppens qui disparaît, un esprit libre qui ne suivait pas les tendances, c’est une catastrophe…  »

Flamande à 100 %.  » On nous stigmatise souvent. C’est vrai que lorsque la gentrification du quartier a commencé, on était jeunes, ambitieux, on voulait changer les choses. Mais on ne pense pas être meilleurs que d’autres… On veut porter des projets et on se réunit parce que nous sommes peu nombreux. Être une minorité, cela nous oblige à être solidaires, à créer des ponts vers les autres. Sinon, on ne survit pas.  »

www.stijl.be, www.haleluja.be et www.modobrussels.be

5. Koen Galle et 22tracks

Tous les chemins mènent à Bruxelles. » J’ai grandi à 20 kilomètres de Bruxelles et on y venait tout le temps ! Après mes études de communication à la KUL, j’ai travaillé pour le centre musical Nijdrop pendant trois ans. J’y ai rencontré des gens de FM Brussel où je collabore encore à plusieurs émissions, comme DJ ou producteur. Puis je suis parti à Gand chez RecRadiocentrum. J’y ai invité les fondateurs néerlandais de 22tracks : un vrai coup de c£ur !  »

À suivre à la tracks.  » Ce concept existe à Amsterdam, Londres et depuis un an à Bruxelles. C’est un site où l’on peut écouter gratuitement 22 listes musicales différentes, gérées par des experts. Chacune comporte 22 morceaux mis à jour régulièrement. 22tracks s’adresse aux gens qui aiment qu’on leur prémâche la recherche sur Internet. Nous veillons à mêler morceaux pointus et abordables.  »

Ma pas belle.  » J’ai toujours eu le sentiment qu’à Bruxelles, tout s’ouvrait : à Gand ou Louvain, c’est limité. Ici j’ai rencontré des gens très inspirants avec qui je peux construire des choses. Je suis aussi attiré par le mélange des cultures, me promener dans les Marolles ou Ixelles à vélo, cela me rend heureux et enthousiaste. J’ai d’abord emménagé dans le centre, mais l’ambiance autour de la Bourse rend fou : misère, violence, crasse, agressivité, drogue… J’ai donc migré vers le quartier Schuman. Bruxelles est très complexe : on y trouve à la fois toutes les opportunités, et tous les problèmes du monde.  »

www.22tracks.be Koen animera la soirée de clôture du festival Holidays !, à Recyclart, le 10 août prochain et est le producteur créatif de la radio estivale du magazine Humo, à écouter sur FM Brussel (98.8).

6. Sofie D’Hoore et sa griffe de vêtements

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » Je suis née à Anvers où j’ai étudié la dentisterie, mais j’ai vite réalisé que je m’étais trompée de voie et j’ai finalement fait l’Académie d’Anvers. Je suis partie en stage à Milan où j’ai pu créer une collection, qui a été achetée par Barneys à New York. C’était parti ! En rentrant en Belgique fin des années 90, j’ai choisi Bruxelles pour son côté anonyme et l’opportunité d’élargir mon réseau.  »

Je suis une artisane.  » Je suis tout le temps dans l’atelier, où l’on conçoit les vêtements de A à Z. Je ne sous-traite rien, c’est un luxe qui coûte cher, mais qui porte ses fruits. Mes choix de matières vont aux étoffes nobles. Du 100 % coton, laine ou soie, cela embellit avec le temps. J’aime l’idée qu’on peut vivre, survivre et revivre avec le même vêtement, qu’il est intemporel et durable.  »

À mi-temps.  » Je partage ma semaine en deux : je vis près du Sablon et travaille dans le quartier Dansaert la moitié du temps, puis rejoins ma famille à la mer. Je ne mets pas beaucoup le nez hors de l’atelier, si ce n’est pour profiter de la vie culturelle particulièrement riche. Je n’ai pas le sentiment non plus de faire partie de  » la bande de Dansaert « . La cohabitation des deux cultures m’intéresse pour sa richesse, mais la problématique des deux communautés ne m’atteint pas du tout.  »

www.sofiedhoore.be Sa première collection Homme pour l’hiver 12-13 entre en boutique cet été. Points de vente : Stijl et Coton, Cachemire et Soie et Isabelle Baines.

7. Joris Tiebout et Abatan

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » Je suis né à Dilbeek, y vis encore et toute ma vie se passe à Bruxelles. J’ai intégré Cureghem en 1976, d’abord comme indépendant puis, au fil du temps, j’ai rejoint le conseil d’administration. À la fin des années 80, lorsque les abattoirs ont été menacés de fermeture, nous les avons fait classer et, depuis l’abandon des activités d’abattage, le lieu a une fonction de carrefour économique interculturel.  »

2014 dans le viseur.  » Oubliez les Abattoirs ! Abatan ( NDLR : Joris Tiebout en est le CEO) est le nom que nous avons donné à ce grand navire, qui fonctionnera pleinement en 2014, et dans lequel se développent des projets culinaires, des expositions et divers marchés. Nous en comptons déjà deux : l’immense rendez-vous du week-end – le Marché des Abattoirs – et le Boermet, qui se tient chaque jeudi depuis avril de 15 à 20 heures et accueille les producteurs belges de qualité, les produits de la ferme, ainsi que les Skieve Apéros. En avril 2014, un immense marché méditerranéen, type halles alimentaires comme on en voit dans les pays du Sud, verra le jour sous l’égide de la Région et de l’Europe.  »

Le grand patchwork.  » Nous jouons un grand rôle social puisque que se côtoient ici toutes les nationalités que compte la capitale (35 000 personnes par semaine), dans un climat de sérénité exceptionnel : c’est un exemple pour les détracteurs de la mixité ! Nous représentons souvent un tremplin pour monter sa micro-entreprise et quelques temps plus tard ouvrir une épicerie. Personnellement, je suis très heureux de jouer ce rôle dans cette ville où les Flamands sont souvent taxés de racisme…  »

www.abatan.be

8. Carine Fol et la Centrale for Contemporary Art

Tous les chemins mènent à Bruxelles. « Je suis Bruxelloise et j’ai fait mes études d’histoire de l’art en néerlandais à la VUB, et ma thèse sur l’art en marge à l’ULB, en français. J’ai travaillé au Goethe-Institut, au Botanique, aux Musées royaux des beaux-arts et, aboutissement cohérent car le sujet me tient à c£ur, au musée Art et Marges (www.artetmarges.be), dont la mission est de valoriser le travail d’artistes « différents », handicapés ou malades mentaux, ou hors circuit traditionnel. J’y ai initié un autre regard en les sortant du « ghetto de l’art brut ». Ouvrir le musée vers le quartier et défendre ces gens comme des artistes à part entière, c’était ma volonté première.  »

Un avenir électrique. « Je viens juste de prendre mes nouvelles fonctions de directrice artistique à la Centrale for Contemporary Art, anciennement Centrale électrique. En plus de noms connus, je compte y accueillir ces artistes atypiques, et enclencher le même processus de désacralisation de l’art contemporain et d’ouverture sur la ville. Par exemple, le bâtiment souffrant de manque de visibilité, nous allons collaborer avec notre voisin coiffeur qui mettra sa vitrine à notre disposition. Différents projets avec les voisins seront également menés, en parallèle d’une ambition internationale très claire.  »

Booster la capitale.  » L’art contemporain a bien évolué depuis quelques années, avec notamment la création du Wiel’s, partenaire majeur et complémentaire. La dimension internationale de Bruxelles sur le marché de l’art est un défi de taille, nous nous y attelons !  »

www.lacentraleelectrique.be

9. Katia Ruebens et le Viva M’Boma

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » Je suis une vraie Bruxelloise, élevée par ma grand-mère que j’ai toujours connue derrière les fourneaux. Viva M’Boma lui rend hommage car avec cette femme fantastique, rognons, cervelle et langue de veau, c’était le quotidien ! J’avais déjà un restaurant de 1990 à 1994, que j’ai revendu pour faire de l’achat de textile. Mais en 2004, j’ai renoué avec mes anciennes amours et ouvert le Viva M’Boma.  »

Abats tes plus belles cartes.  » Qui propose encore des plats d’abats à Bruxelles ? Notre clientèle se compose de locaux et de touristes qui nous connaissent par les guides de restaurants. Nous avons aussi des personnes âgées qui choisissent des plats comme le vol-au-vent ou les carbonnades, cuisinés comme autrefois. Ce que j’aime c’est accompagner les 25-30 ans dans leur découverte, démystifier : ils savourent et sont convaincus, c’est génial !  »

Il n’y a pas de hasard.  » La maison était une triperie, la dernière du quartier, et j’ai finalement conservé sa clientèle, qui vient manger chez moi plutôt que de courir aux Abattoirs ou chez Rob acheter ses abats. C’est une restauration de niche, mais la place était libre, alors je l’ai prise ! Mon ancien établissement était déjà dans ce quartier, auquel j’ai toujours cru. Un projet de marché fin est en cours dans l’église Sainte- Catherine, qui tirera encore vers le haut ce coin en pleine mutation.  »

17, rue de Flandre, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 512 15 93 (réservation conseillée). Ouvert tous les jours, midi et soir, sauf le mercredi.

10. Dirk Seghers et Recyclart

Tous les chemins mènent à Bruxelles.  » Je suis originaire de la capitale mais ai fait mes études à la KUL. J’ai ensuite travaillé au Vlaams Theater Instituut, à la programmation du Festival de Fribourg, au Beursschouwburg comme programmateur musical, puis comme directeur artistique. J’ai rejoint Recyclart en 2009.  »

Un espace hybride.  » Trois piliers soutiennent Recyclart : le centre d’art que je coordonne avec l’aide du photographe Vincen Beeckman qui fait le lien avec les habitants du quartier, le bar-resto géré par Ingrid Pecquet et la Fabrik ( NDLR : un atelier de formation et de fabrication en menuiserie et en design urbain), ces deux derniers mêlant culture et transition professionnelle. Nous sommes entre développement urbain, création culturelle et économie sociale, avec une programmation axée sur les subcultures urbaines et les communautés.  »

Dans tous les sens.  » Notre rôle est de nous interroger sur ce qu’est la ville. Pour nous, c’est la diversité et nous veillons à la préserver en la sublimant. Nous croisons projets interactifs avec les habitants et événements plus pointus. Parfois, c’est miraculeux, comme avec Shangaan Electro, le 8 août prochain : ça fait le buzz sans qu’on sache pourquoi.  »

www.recyclart.be

Par Anne Boulord

1.  » Beaucoup de potentiel à bruxelles, mais c’est comme si personne ne le voyait. « 

2.  » Destroy to construct. Construct to destroy : si tu ne vois pas cette richesse dans Bruxelles, autant la quitter. « 

3.  » Une mosaïque compliquée, à la fois effrayante et attirante. « 

4.  » Ma mission ? Donner une image de Bruxelles par la mode et soutenir les stylistes. « 

5.  » Entre elle et moi, c’est l’amour-haine. « 

6.  » Bruxelles est laide et belle à la fois, mais le chaos relativise les choses. « 

7.  » Je rêve d’une vraie collaboration entre la Flandre et la capitale, pour lui permettre de montrer son plus beau visage. « 

8.  » Mon objectif est de placer l’art contemporain à Bruxelles à un niveau international. « 

9.  » Je parlais le néerlandais avec mes parents, le bruxellois avec ma grand-mère, et mes amis étaient francophones. « 

10.  » Un centre d’art doit s’interroger en permanence sur ce qu’est la ville. « 

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