Eveiller en nous des émotions… Depuis treize ans, le label néerlandais Droog Design donne du piquant aux objets les plus simples de la vie quotidienne. Ses créations inspirées et ludiques seront au cour d’une grande rétrospective au Grand-Hornu Images. Attention, expo à sensations.

L e design n’a jamais autant fait parler de lui qu’aujourd’hui. Et s’il provoque des réactions, ce sont rarement des éclats de rire, des battements de c£ur, des frissons de bonheur. Susciter l’émotion au détour d’un objet, telle est la philosophie même de Droog Design. Depuis plus de treize ans, cette plate-forme de création néerlandaise a bousculé l’ordre établi du petit monde de l’édition de meubles et d’objets de décoration. Sa collection, conçue par plus de 100 designers, compte désormais près de 200 produits qui répondent tous aux mêmes critères peu orthodoxes. Basés sur des concepts simples, réalisés de façon simple, ils sont  » droog  » : soit, littéralement,  » secs « , bruts de décoffrage, dépourvus de toute esthétique inutile et pourtant vecteurs d’humour et de sensations.

 » Normalement, le design est une affaire de fonctionnalité, de beauté et de rentabilité, explique Renny Ramakers, cofondatrice du label qui a fait la réputation de créateurs comme Hella Jongerius ou Marcel Wanders. Pour nous aussi, la fonction et l’esthétique sont essentielles. Mais nous voulons avant tout présenter des produits qui fassent plaisir aux gens, qui soient proches d’eux, qui ne soient pas inutilement sophistiqués. Si vous souriez en découvrant nos réalisations, c’est qu’elles vous rappellent quelque chose de familier, qu’elles arrivent à vous toucher. Et ça, c’est bien plus important pour nous que d’avoir du style.  »

Installé dans une petite rue d’Amsterdam, le laboratoire d’idées tient désormais boutique, entre les traditionnels  » koffieshops  » du quartier et une librairie d’art où se pressent touristes et amateurs de graphisme pointu. Ici, les classiques du label côtoient les dernières trouvailles du moment. A la fois proche de nous et pourtant différents.  » Mais bien sûr « , pense-t-on face à l’étonnante chaise d’enfant, signée Maartje Steenkamp, dont les pieds se scient au fur et à mesure que le petit grandit, ou aux carrelages fonctionnels de Peter van der Jagt, Erik-Jan Kwakkel et Arnout Visser dans lesquels se logent les serviettes à sécher ou bien encore ces élastiques pour porte-bagages de vélo recyclés par NL Architects en astucieux dispositifs de rangements muraux.  » C’est notre secret de fabrique, la force de nos produits, s’amuse Renny Ramakers. Ils sont  » évidents  » et en même temps, personne n’y avait encore pensé de cette manière. Leur âme compte plus que ce dont ils ont l’air.  »

Dès ce 23 avril, à l’occasion de la rétrospective portant sur treize années de création de Droog Design qui se tiendra au Grand-Hornu Images (*), les visiteurs pourront, eux aussi, s’asseoir sur le  » Treetrunk Bench  » de Jurgen Bey, ce tronc d’arbre piqué de dossiers baroques en cuivre, ou se laisser glisser sur le banc de Nina Farkache judicieusement baptisé  » Come a little bit closer  » ( » Viens un peu plus près de moi « ) : ici, des plateaux métalliques, posés sur des billes de verres, servent tout simplement d’assise et permettent de se rapprocher en douce de son voisin.  » L’émotion véritable passe par l’expérience, pas par des détails de style ou de décoration, insiste Renny Ramakers. C’est sur l’usage, la fonction que nous préférons travailler, pas sur les fioritures. Quand vous regardez ce banc, il n’a rien de spécial, c’est juste un banc. C’est quand vous vous asseyez dessus que quelque chose va véritablement se passer. Dans tous nos produits, il y a ce petit  » twist « . Ils racontent une histoire.  »

Né en 1993, Droog Design ce contre-courant militant fondé par le créateur de bijoux Gijs Bakker et la journaliste Renny Ramakers est devenu aujourd’hui bien plus qu’une marque. Plutôt une attitude par rapport à la surproduction qui fait d’ailleurs bien des émules dans le milieu de la mode et du design aujourd’hui ( lire aussi en pages 18 à 22).  » Nous prônons la réutilisation au sens large, pas uniquement celle des matériaux mais aussi celle des idées et des concepts « , ajoute la théoricienne du tandem.

pas de plagiatà

Pour Renny Ramakers, cette démarche n’a rien à voir avec le plagiat.  » Parfois, il s’agit bel et bien d’une simple copie, comme ce vase en forme d’urne imaginé par Hella Jongerius, détaille Renny Ramakers. Cette forme n’est pas nouvelle, elle existe depuis des milliers d’années. Pourquoi faudrait-il sans cesse inventer de nouvelles formes si celles qui existent fonctionnent bien ? C’est tout à fait honnête. Vous les reprenez parce qu’elles conviennent toujours, qu’elles remplissent parfaitement leur rôle. J’aime l’idée de copier si vous prenez quelque chose d’existant et que vous en faites quelque chose de neuf.  » Car plus que tout, Droog Design se bat contre une création formatée, mondialisée qui s’inspire du voisin sans se poser de question sur l’utilité de l’objet qu’elle met ainsi sur le marché.  » Nous vivons dans un monde de surconsommation, regrette Renny Ramakers. C’est bien d’en être conscient, d’y penser. Nous aussi, nous produisons. Mais je pense qu’il y a surtout beaucoup trop de produits qui se ressemblent, et qui n’ajoutent rien à ce qui existe déjà. En soi, je n’ai rien contre la production de masse. Ikea fait du très bon boulot. Ses collaborateurs copient aussi bien sûr, mais ils font du design accessible au plus grand nombre et ils ont du succès. Par essence, leur produit doit être bon marché et vous ne pouvez donc pas leur demander de vendre des choses difficiles à fabriquer. Mais dans leur catégorie, ils sont très bons, et ils devraient davantage travailler avec des créateurs et moins copier. Toutefois, si vous avez un bon £il, vous ferez immédiatement la différence entre une copie et un original. Tant que cette distance existe, ce n’est finalement pas si grave.  »

Refusant tout discours écologique primaire, l’équipe de Droog Design ne s’interdit a priori aucun matériau de fabrication.  » Car il n’y a pas de réponse unique, poursuit Renny Ramakers. Je ne suis pas convaincue, par exemple, qu’il soit préférable d’utiliser du bois plutôt que du plastique, à cause des problèmes de déforestation. Il faut prendre en considération tout le cycle. De la même manière, notre politique n’est sûrement pas de travailler uniquement au départ d’objets de seconde main, comme nous avons pu le faire à nos débuts. A l’époque, c’était une prise de position originale mais, aujourd’hui, tout le monde le fait.  » Certes, la désormais armoire-culte  » Chest of Drawers  » de Tejo Remy à construire soi-même à partir d’une ceinture et de vieux tiroirs récupérés dans les brocantes est toujours éditée. Karl Lagerfeld et le MoMA de New York en possèdent d’ailleurs un exemplaire. Mais dans le choix de ses projets, Droog Design ne s’est pas laissé enfermer dans un concept unique et réducteur.  » Nous regardons comment bouge le monde, comment travaillent les designers, les jeunes surtout, car ils sont encore très libres, très ouverts. Nous n’avons pas de stratégie, nous suivons notre instinct, s’enthousiasme Renny Ramakers. Nous ne ferons jamais entrer un objet dans nos collections pour faire de l’argent. Certains seront produits, d’autres resteront au stade du prototype. C’est ce qui nous rend différents des autres compagnies. Mais le designer sait, dès qu’il le présente, si son projet sera réalisable techniquement ou pas. Dans ce cas, c’est avant tout pour lui, un concept dont on parlera, qui sera publié, qui inspirera ensuite son travail et celui des autres. C’est aussi pour cela que nous exposons, que nous publions. Dans nos recherches, la question qui nous préoccupe aujourd’hui, plus que l’idée même de recyclage, c’est plutôt  » value for money  » (en avoir pour son argent) : plus que tout, on se recentre sur la fonction.  »

de L’usage de la déco

Et Renny Ramakers de poursuivre :  » Si vous prenez un radiateur, la diffusion de la chaleur sera d’autant plus performante que sa surface est grande. On croit à tort que le modèle lisse, traditionnel est le plus efficace. Mais le modèle tout en courbe de Joris Laarman démontre le contraire. Et prouve aussi que la décoration peut avoir un usage. J’entends trop de gens dire en parlant de certains de nos prototypes : ça, c’est de l’art… Je leur réponds, non, tous nos produits peuvent être utilisés. S’ils restent au stade de prototypes, c’est parce qu’ils sont techniquement difficiles à produire. Ce ne sont pas de simples objets décoratifs. Je n’aime pas cet entre-deux. Pour moi, ou c’est de l’art ou c’est un objet fonctionnel.  »

Une utilité qui se doit toujours d’être synonyme de plaisir au sens le plus ludique du terme. Au dernier Salon du meuble de Milan, l’équipe de Droog Design avait d’ailleurs choisi de mettre l’accent sur toutes ces petites choses de la vie qui, sans qu’on y pense, distillent des gouttelettes de bonheur dans notre monde stressé. Treize ans plus tôt, c’est dans la capitale italienne du design que leur aventure, surréaliste alors, avait commencé dans une vieille maison du centre-ville. Seize objets aussi hétéroclites qu’un tas de pantalons usagés, une cafetière équipée d’ampoules de vélo ou une bibliothèque en papier y étaient exposés, sans un mot d’explication, ni le moindre prix. Droog démontrait alors que la simplicité pouvait ne pas être ennuyeuse. Cette année, dans un jardin imaginaire, il s’agissait cette fois de se laisser masser le dos par un robot au son d’oiseaux étranges ou d’enfiler des robes romantiques qu’on ne craint pas de salir en s’asseyant par terre car elles renferment même des coussins qui vous encouragent à le faire. Une drôle de mode en somme, où l’utile a su se joindre à l’agréable.

(*)  » Simply Droog – 10 + 3 years of creating innovation and discussion « , Grand-Hornu Images, 82, rue Sainte-Louise, à 7301 Hornu. Tél. : 065 65 21 21. Internet : www.grand-hornu.be

Isabelle Willot

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