L’histoire pourrait s’appeler  » Louis, Georges, Gaston et les autres  » et raconterait une success-story à la Rastignac, version familiale, où Louis, fils d’un menuisier du Jura, débarque à Paris pour inventer la première malle et, avec elle, le luxe à la française. Un siècle et demi plus tard, la fameuse malle s’affiche plus que grandeur nature sur la façade de la boutique des Champs-Elysées à Paris, avant de dévoiler, en avant-première le 9 octobre aux privilégiés, puis au public trois jours plus tard, le nouveau temple du luxe français :  » la maison Louis Vuitton  » comme tient à l’appeler Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Après deux ans de travaux, la plus grande boutique de la marque dans le monde déploie ses fastes sur sept étages et 15 000 m2. A la notion de concept store, jugée trop cheap ou trop galvaudée, Louis Vuitton a préféré s’offrir une maison, mieux un monument, un temple où l’on voue un culte sans borne au Monogram, l’£uvre de Georges, le fils de Louis, qui inventa ladite toile en 1892, à la mort de son père.

Comment le Monogram, fil conducteur de la saga Vuitton, a-t-il traversé plus d’un siècle, connaissant ainsi un succès jamais démenti ? s’interroge Paul-Gérard Pasols, l’auteur de  » Louis Vuitton, la naissance du luxe moderne « , la nouvelle Bible de la maison, une brique de plus de 500 pages superbement illustrée et parue aux éditions de La Martinière le 14 octobre dernier. Les initiales LV épinglées à la boutonnière du costume comme d’autres arboreraient la croix sur la soutane, cet ancien directeur créatif et stratégique du budget Louis Vuitton d’Euro RSCG, intégré à la grande famille Vuitton en 1986, qui n’a gardé de sa période pub que ses lunettes rouges ludiques, explique, le regard éclairé d’une petite flamme, que le Monogram est en fait une représentation qui traverse toutes les cultures, que l’on retrouve aussi bien dans les £uvres religieuses du Moyen âge que dans le japonisme en vogue au xixe siècle. Des fleurs quadrilobées qui ornent la façade de l’église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris, mais aussi le palais des Doges à Venise. Une espèce de référence universelle, donc, qui toucherait directement notre inconscient collectif. D’où l’us et l’abus de la fleur à quatre pétales qui se distille non seulement sur la façade des Champs-Elysées comme autant de messages subliminaux mais qui tapisse aussi les murs de la maison par le biais de rideaux en maille métallique. Des créations incrustées de porcelaine, de cuir, de bois de wengé, de titane ou de verre coloré, qui, tels des vitraux, laissent filtrer la lumière.

Dans cet univers monogrammé, conçu par les architectes Eric Carlson et Peter Marino, seuls peut-être les ascenseurs à expérience sensorielle, £uvres de l’artiste danois Olafur Eliasson, nous éloigneraient un temps de cette vision obsédante. A moins que cette expérience, qui consiste à nous plonger dans le noir et le silence le plus complet pendant 20 secondes, nous aide à mieux intérioriser le symbole de la marque. Un moment de paix en tout cas que l’on vit avec Yves Carcelle en personne, le président de Louis Vuitton Malletier, qui nous amène triomphalement au septième étage, dans un espace destiné à accueillir la galerie d’art contemporain et qui s’ouvre sur les terrasses de la maison offrant une vue panoramique sur Paris. Désormais, Louis Vuitton rivalise avec les plus beaux monuments de la Ville lumière et Yves Carcelle ne s’en cache pas.  » Aucun voyage à Paris ne peut faire l’impasse d’une visite aux Champs-Elysées, déclare-t-il. A l’avenir, aucune visite de cette avenue prestigieuse ne pourra faire l’impasse d’un voyage dans le magasin Louis Vuitton.  » Autrement dit, le touriste ne disposant que de quelques jours, hésiterait aujourd’hui entre la maison Louis Vuitton et la tour Eiffel ! Autant rhabiller la grande dame métallique de Monogram tout de suite… C’est Louis qui doit se retourner dans sa malle ! Dans cette maison du luxe, le shopping n’est plus du simple shopping mais  » une promenade  » au cours de laquelle on découvre des £uvres d’artistes contemporains dont le rideau de lumières, signé Tim White Sobieski qui longe l’escalator, la sculpture lumineuse de l’Américain James Turrell ou encore l’imposant atrium composé de 1900 tiges d’inox poli. Une promenade durant laquelle on prend le soleil sur la terrasse et, accessoirement, au détour des alcôves et autres coins salon de la maison, on craque pour une paire de souliers, une robe de soirée, des lunettes, quelques éditions spéciales comme la montre au cadran de nacre orné d’une tour Eiffel ou encore des mini-sneakers griffés LV spécialement lancés pour l’occasion dans les petites tailles. Histoire de faire très tôt son baptême du luxe.

Pour cet événement d’exception qui, le 9 octobre dernier, venait clôturer une semaine parisienne de la mode riche en événements et en collections, Louis Vuitton avait bloqué les Champs-Elysées pour le cocktail d’ouverture de la boutique, située au numéro 101. A la même heure, la grande griffe française se payait le luxe de rhabiller la façade du Petit Palais aux couleurs du Monogram pour accueillir le défilé de la collection printemps-été 2006 signé Marc Jacobs, le directeur artistique de la marque depuis 1997. Par un jeu de vidéo projection, la façade du Petit Palais avait pris des allures de cathédrale où la montée des marches était digne d’un mariage de stars. Pour l’occasion, la griffe française avait convié des invités de prestige telle Sharon Stone, qui avait fait sensation quelques jours auparavant chez Dior, Uma Thurman, l’égérie de la marque, Catherine Deneuve ou encore Salma Hayek.

Quelques rangées plus loin, on apercevait l’ex-top model Inès de la Fressange, radieuse dans sa veste à paillettes enfilée sur un pantalon en velours bleu près du corps. Mais sa relative notoriété – déjà de l’histoire ancienne – ne lui a valu que le quatrième rang ! L’univers du luxe est sans pitié. La nouvelle génération, l’actrice Ludivine Sagnier en tête, squatte en revanche le premier rang à côté de la bellissime Jade Jagger. Non loin d’Uma Thurman qui fait figure d’apparition tout de blanc vêtue. La prêtresse de Louis Vuitton semble comme auréolée de lumière. Elle prend place à côté de Catherine Deneuve, qui suit religieusement les passages du défilé sur le dossier qui fait office de conducteur. Uma, quant à elle, groove sur la musique de Pharell Williams, comme si on était dans une cérémonie gospel. Sur le podium, on voit de tout : des robes à la coupe sixties qui succèdent à des tailleurs dorés, des pantalons de cyclistes portés sur des tops brillants, des trenchs, des blouses roumaines pailletées, des manteaux-robes en cuir rouge incrustés de perles, des robes en satin rose, et une réinterprétation du fameux Monogram sur des sacs à main version plus que XXL. Au final, Marc Jacobs vient saluer le public qui compte plus de people que de journalistes. Yves Carcelle et Bernard Arnault s’autocongratulent. Les festivités peuvent vraiment commencer.

Dans la cour intérieure du Petit Palais éclairé de bougies, trouver un bar à soft s’avère aussi difficile que d’oublier sa première expérience du Monogram. Après avoir congédié au moins dix serveurs qui semblent être nés le bras tendant une coupe, il aura fallu pas moins de quarante-cinq minutes pour trouver le premier verre d’eau. Car le champagne Veuve Clicquot coule à flots. Dans les galeries, un bar de nuit, ambiance disco, a été spécialement conçu pour l’occasion. Une performance live de l’artiste contemporaine Vanessa Beecroft offre un tableau de corps féminins à la peau blanche ou brune, perruqués, dénudés et ligotés. Une mise en scène dont  » les couleurs sont à l’image du logo de LV « , dixit l’artiste, qui attire les invités en manque de sensations fortes. Car les people se laissent désirer… On apprendra plus tard qu’un carré VIP leur était en fait réservé, en marge de la soirée, déjà estampillée VIP. Du VIP au carré, on pousse toujours plus loin les limites de l’exclusivité. Marc Jacobs tente une percée dans le peuple des invités entraînant une horde de journalistes japonaises à ses basques. On fait un dernier tour de piste, la difficulté étant de ne pas céder à la tentation d’un nouveau bar à champagne. Derrière nous, conscient d’avoir fait partie des heureux élus, on laisse la façade illuminée du Petit Palais assiégée par des badauds qui attendent les stars. Au moment de reprendre le métro aux Champs-Elysées, sur les carreaux qui habillent la station, on distingue des Monogram partout. Signe qu’il est vraiment temps de rentrer.

Agnès Trémoulet

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