L’argent ne fait pas le bonheur. Expériences de terrain et études à l’appui, certains chercheurs soutiennent cette vérité. Pauvres hères que nous sommes, rassurons-nous : avec quelques millions en poche…

… NOUS NE SERIONS PAS PLUS HEUREUX

Certes, la pauvreté peut mener au malheur, nul n’en disconviendra. Mais nos croyances de surconsommateur servile nous font généralement penser que si notre salaire affichait un zéro de plus au compteur ou si nous trouvions la combinaison gagnante du Lotto, notre existence deviendrait illico plus facile, plus douce, paradisiaque même. Et de rêver de tous ces biens dispendieux que nous achèterions, des contraintes du quotidien auxquelles nous nous soustrairions et des vacances impayables que nous multiplierions… Certains spécialistes ne partagent pas ce point de vue. D’abord, parce que selon eux, le bonheur serait pour moitié génétique, mais aussi entravé par l’opulence justement ! Jordi Quoidbach est docteur en psychologie et professeur d’université à Barcelone (*). Il y a quelques années, ce diplômé de l’université de Liège a mené une expérience sur le rapport entre sentiment d’allégresse et aisance matérielle. Ce qu’il en est ressorti :  » L’argent, qu’il soit réel ou simplement évoqué par une image, tend à réduire notre capacité à savourer les petits plaisirs de la vie « , résume l’expert. Pour cela, outre des questionnaires  » classiques « , il a réalisé un test mesurant le temps que ses  » cobayes  » prenaient pour déguster une praline, celui-ci étant plus court chez les personnes aisées ou seulement mises en présence d’une photo montrant des dollars…  » A leur simple vue, les gens observés mangeaient leur friandise 33 % plus vite !  » Et de renchérir :  » Les mieux lotis semblent davantage vouloir rentabiliser leur temps, comme dans le monde de l’entreprise. Or, sentir une rose ou avaler un bonbon ne rapporte rien.  »

… NOUS NOUS ISOLERIONS SOCIALEMENT

 » Les plus nantis vont avoir tendance à s’éloigner des autres « , affirme Jordi Quoidbach qui se base notamment sur une expérience consistant à demander à des quidams de manipuler une liasse pour une pseudo-enquête sur la capacité à compter rapidement les billets.  » Les participants, et d’autres qui n’avaient pas été soumis à l’épreuve de comptage, devaient ensuite donner le programme de leur week-end. Les sondés du premier groupe, contrairement au second, envisageaient plus souvent des activités en solo, comme la lecture « , précise le psychologue.

Ce type d’analyse reste évidemment empirique mais une chose est sûre, si les Picsou, Rockefeller et autres Cresus suscitent l’envie… ils provoquent bien souvent également la défiance d’une frange de la population. Ce que confirme Ann Lammens, qui accueille les grands gagnants de la Loterie Nationale avant de les rétribuer (lire par ailleurs) :  » Les millions ne changent pas l’individu mais bien ceux qui le fréquentent !  » Ainsi, à en croire une enquête de l’Institut français d’opinion publique datant de 2012, 78 % des Français perçoivent mal les plus fortunés. Plus de huit sur dix estiment par ailleurs que le comportement de leurs compatriotes friqués n’est pas exemplaire. Certes nos voisins d’outre-Quiévrain ont la réputation d’être particulièrement virulents envers la haute société – on a en tête la Une de Libération  » Casse-toi riche con !  » adressée en 2012 à Bernard Arnault ou le fameux  » Je n’aime pas les riches  » lancé par François Hollande alors qu’il était secrétaire du PS -, il n’en reste pas moins que la situation est assez proche chez nous. C’est donc peut-être en réaction à cette pensée populaire, que les grosses fortunes chercheraient à s’isoler pour taire leur trésor ou tout simplement parce qu’elles se sentent mal aimées, mal comprises et estiment le débat joué d’avance. Et un expatrié français de conclure, dans un article du journal Le Monde titré  » Riches à pleurer  » : » Je rejette ce principe qui consiste à nier l’individu pour l’assimiler à un groupe social. J’espère être assimilable à autre chose qu’au patrimoine que j’ai pu accumuler par chance et par travail.  » De quoi relativiser les clichés sur le sujet.

… NOUS DEVIENDRIONS MOINS EMPATHIQUES

Ici encore, des mises en scènes ludiques visent à mettre en avant que les plus nantis apportent moins naturellement leur aide à autrui, si on exclut évidemment les dons généreux à des associations, etc.  » On a confronté une partie de notre échantillon à de l’argent, l’autre pas, évoque Jordi Quoidbach. Ensuite, un complice est passé près du groupe et a fait tomber son dossier. Ceux qui avaient palpé les billets ont été moins nombreux à se pencher pour ramasser les feuilles éparpillées au sol.  » Des observations de terrain que le spécialiste essaye d’expliquer théoriquement :  » Je pense que quand on est fortuné, on tend à considérer davantage le monde comme un marché et les relations sociales comme des liens commerciaux. Si elles n’engendrent pas de gain, on n’y voit que peu d’intérêt.  »

Le psychologue Michael W. Kraus va plus loin dans un travail pour l’université de San Francisco. Pour lui, les plus défavorisés parviennent à mieux lire les émotions sur le visage de leurs interlocuteurs.  » Ils sont régulièrement confrontés à des situations les rendant vulnérables. Ils doivent donc compter sur les autres et saisir les opportunités, ce qui les pousse à être plus attentifs au monde qui les entoure « , précise le chercheur dans un article sur Time.com. Dans la même veine, son confrère Dacher Keltner a tenté de montrer que les personnes des classes moins aisées présentaient un comportement plus pro-social. Il a ainsi filmé divers groupes en conversation et observé que les gens au portefeuille bien rempli y apparaissaient plus distraits, tapotant sur leur GSM, gribouillant sur leur cahier ou évitant le regard des autres. Ceux à faibles revenus gardaient au contraire, selon cet expert américain, le contact visuel avec la personne en face d’eux, opinant de la tête en signe d’intérêt.

… NOUS RISQUERIONS D’AVOIR MOINS D’ÉTHIQUE

Une nouvelle épidémie sévit aux Etats-Unis. Son nom :  » affluenza « . C’est ce que dévoilait en janvier dernier un article du site d’information Huffingtonpost. Les symptômes :  » Une douloureuse maladie contagieuse, transmise par la société et dont les signes sont un sentiment de remplissage, de dette, d’anxiété et de dégoût résultant de l’idéologie du  » toujours plus « .  » Ce néologisme, fusion de  » affluence  » et  » influenza « , aurait été utilisé par un avocat, au Texas, pour disculper un jeune garçon ayant causé un accident mortel en état d’ébriété. Le fric de la famille fut alors évoqué pour déresponsabiliser l’ado, l’affluenza l’ayant rendu non maître de ses actes. Une étude américaine révèle dans un même ordre d’idées que les voitures de luxe, contrairement aux modèles plus modestes, grilleraient plus de feux rouges…

Il semblerait d’autre part qu’un compte en banque bien fourni pourrait générer addictions et délinquance. C’est ce que démontre un article scientifique signé par Suniya S. Luthar, professeur de psychologie en Arizona, qui s’appuie sur l’observation d’élèves de diverses écoles publiques et privées. On peut y lire que  » les enfants des classes dites supérieures rencontrent des problèmes en matière de consommation de substances, d’anxiété, voire de dépression « . Ceci s’expliquant probablement par la pression qu’ils subissent quant à leur réussite sociale mais aussi par le désintérêt des parents, souvent très occupés par leur job. Une enquête menée en 2011 par le Center for Disease Control and Prevention sur 450 000 adultes concernant leur consommation d’alcool mettait en avant que le binge-drinking, qui consiste à boire beaucoup en peu de temps, est plus répandu chez les Américains dont le revenu par foyer est égal ou supérieur à 66 000 euros.

Certes, ces diverses analyses donnent une vision assez manichéenne de la richesse… Il n’empêche qu’elles peuvent mener tout un chacun, en fonction de ses moyens et du nombre de dizaines qu’affiche son compte en banque, à s’interroger sur son besoin devenu vital d’en vouloir toujours plus. Jordi Quoidbach propose une expérience intéressante pour éviter de sombrer dans une spirale négative.  » Si dans un premier temps, j’ai travaillé sur le lien entre argent et capacité à profiter de la vie, j’observe aujourd’hui le fait que traverser des périodes difficiles permet de finalement mieux savourer les petites choses de l’existence, une fois le problème dépassé.  » Face à ce constat, le chercheur belge, qui a en outre créé une appli pour mesurer au quotidien son degré de bonheur (58 sec. pour augmenter votre bonheur), nous encourage à faire des pauses et abandonner une chose que nous apprécions, durant quelques semaines par exemple.  » L’adversité peut dans une certaine mesure être positive, affirme-t-il. Nous avons demandé à des volontaires de se priver de chocolat pendant une période donnée et nous avons laissé à d’autres carte blanche pour en manger autant qu’ils voulaient. Le premier groupe est revenu de meilleure humeur que le deuxième ! De manière moins anecdotique, les gens qui traversent une épreuve peuvent, une fois le sale moment passé, profiter davantage de ce qu’ils ont, et donc, au bout du compte, être plus heureux.  » Une riche idée !

(*) Jordi Quoidbach recherche régulièrement des volontaires pour participer à ses études. Infos sur www.quoidbach.org

PAR FANNY BOUVRY

 » Traverser des périodes difficiles permet de finalement mieux savourer les petites choses de l’existence, une fois le problème dépassé.  »

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