émule du célèbre chef espagnol Ferran Adria, son compatriote, José Andrés est l’un des chefs en vogue aux états-Unis. Avec son Minibar, à Washington, il signe un concept époustouflant : six convives pour un marathon des saveurs… Tous les sens en éveil.

Recettes en page 24.Carnet d’adresses en page 114.

Il n’a que 35 ans mais a déjà vécu au moins trois vies. Né dans les Asturies, José Andrés aboutit à l’âge de 14 ans dans une école hôtelière de Barcelone.  » Il fallait 18 ans pour être admissible, confie-t-il. Alors j’ai triché sur mon âge.  » A cette époque, le célèbre Ferran Adria est déjà installé aux fourneaux de El Bulli. Il fomente sa révolution culinaire. José travaille, lui, pour le 3-étoiles local de l’époque : Jean-Louis Neichel, un Français émigré au-delà des Pyrénées.

1990 : José débarque à New York. Sa mission ? Lancer à Manhattan une enseigne 2-étoiles catalane, le El Dorado Petit.  » C’était avant les jeux olympiques de Barcelone, rappelle- t-il. Plusieurs groupes espagnols ont rêvé de surfer sur cette actualité pour s’implanter en force aux Etats-Unis. Mais beaucoup se sont trompés de méthode, ont fait des concessions, se sont travestis. Et forcément cela n’a pas duré.  »

Le jeune chef pense rentrer au pays, lorsque des connaissances lui proposent d’ouvrir en partenariat un bar à tapas à Washington.  » Vous imaginez ? sourit-il. Faire des tapas pour un type qui vient d’un 2-étoiles ! J’ai d’abord refusé l’idée, même en pensées.  » Mais il se laisse néanmoins convaincre et ouvre le premier Jaleo en 1993. Le succès est au rendez-vous… et le troisième Jaleo du nom, déjà, a ouvert l’été dernier à Arlington, non loin du Pentagone.

Des projets, José Andrés n’en manque jamais. Ce fut ensuite le café Atlantico, un restaurant qui offre des plats plus consistants célébrant la cuisine d’Amérique latine, avec une belle liste de vins de la région.  » Des tapas, nous sommes passés aux mezzes, poursuit José. Fin 2002, nous avons ouvert Zaytinya, un lieu consacré qui prône une symbiose entre les cuisines de Grèce, de Turquie et du Liban. Il y a une véritable continuité entre ces trois pays. Vous y rencontrez des produits ou des préparations tout à fait similaires, comme l’alcool à base d’anis qu’il s’appelle ouzo, arak ou raki, ou la feta grecque qu’on retrouve aussi en Turquie. Le blé cassé est aussi commun à beaucoup de ces régions, même si on l’utilise différemment. Mais chaque cuisine a sa spécificité. Les Turcs sont, par exemple, les champions des légumes.  »

Avec ses 1 500 couverts potentiels par jour, et une addition qui plafonne entre 20 et 25 dollars (15 et 20 euros), Zaytinya n’est pas qu’une affaire qui marche. C’est aussi une excellente table où les plats sont exécutés avec une rare maîtrise. La maison s’offre même le luxe de préparer tous les jours la pâte à filo et le pain de la pita.

C’est la même démarche qui prévaut pour Oyamel, le restaurant mexicain du groupe, ouvert à la mi-octobre dans le quartier du Pentagone. Les cuisiniers sont allés inventorier le patrimoine culinaire dans plusieurs régions du sud du Mexique, et y ont collecté des recettes d’une rare authenticité. Mieux, José a engagé une vieille dame mexicaine qui initie toute l’équipe à l’art de la tortilla.

Toute cette effervescence, à la hauteur d’une grande ville internationale, a propulsé José Andrés sur les devants de la scène culinaire américaine. Les récompenses pleuvent. Elu l’an dernier meilleur chef de la côte Atlantique Nord par la très influente James Beard Foundation, il vient d’être désigné chef de l’année par le magazine  » Bon Appetit « . Les raisons de ces lauriers sont, sans aucun doute, à trouver dans son plus petit restaurant. Niché au premier étage du café Atlantico, le Minibar porte bien son nom. Face à un comptoir qui ressemble à celui d’un bar à sushi, six tabourets hauts sont alignés. Cinq fois par semaine, à raison de deux services en soirée (à 18 heures et 20 h 30), deux û et parfois trois û chefs servent six convives pour un marathon des saveurs à la mesure des sensations que procure la nouvelle cuisine espagnole.

Un nom vient immédiatement à l’esprit, celui du mythique Ferran Adria, ami de José et sans hésitation son mentor.  » A ceux qui me disent d’avouer que je suis influencé par El Bulli, je rétorque que je répondrai oui lorsqu’ils reconnaîtront à leur tour que l’immense majorité des cuisiniers occidentaux se réfère à la cuisine française d’il y a trente ans ou davantage, martèle le jeune chef. Ils font du Bocuse ou du Guérard, selon les cas.  »

Trêve de polémiques. Si on a la chance de pouvoir se jucher en haut d’un de ces tabourets, aucune tergiversation n’est permise. Première surprise, les plats sont déposés sur une sorte de large ressort. Le serveur se cantonne à deux opérations : remplir les verres et débarrasser la vaisselle. Car les plats sont servis û en parfaite synchronisation û par les chefs de faction. Deux heures ne sont pas suffisantes pour percevoir toutes les subtilités des 35 préparations du menu. L’expérience commence en trombe avec une truffe chocolatée au foie gras, première bouchée des 5 snacks du programme. De l’autre côté de la vitre du comptoir, disposés sur un lit de glaçons, des ingrédients attendent patiemment. On reconnaît de fines tranches de mangue, une brochette de fruits enfilée sur une pipette contenant un liquide (une invention de Adria), des oursins, des oranges, citrons, quelques minuscules fruits confits verts qui s’avéreront des pêches japonaises au goût exquis…

Bien dans l’esprit des tendances culinaires d’aujourd’hui, le repas est conçu comme une expérience qui fait appel à tous les sens. A plusieurs reprises de petits sprays sont employés, l’un d’eux accompagne une boisson apéritive et vous propulse en bouche un délicieux parfum de fruits de la passion. Un autre est utilisé pour aromatiser une serviette avec de l’essence de truffe noire : elle sera présentée avec un délicieux  » Viande et pommes de terres « , un sandwich de mousse de pommes de terre pris entre deux tranches fines de carpaccio de b£uf Kobé élevé aux Etats-Unis.

Plusieurs des recettes proposées dans ce long menu évoquent la tradition culinaire américaine : il y a l’épi de maïs ou les noms tels que New new England clam chowder ou Caesar salad.  » Pour le consommateur américain, notre approche est exotique, conclut José Andrés. Au-delà des techniques, comme celle du siphon, qui lui sont totalement inconnues, notre conception même du plat est intrigante, basée sur la déconstruction de recettes connues. Comme Espagnol, je pourrais proposer un gaspacho nouvelle vague. Ce serait idiot car la personne en face ne connaît pas le gaspacho original. Et puis, c’est fascinant de pouvoir travailler des recettes et des produits d’ici, de la côte Est des Etats-Unis, si riche en coquillages et crustacés.  »

Jean-Pierre Gabriel

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