Fief du maestro, la petite cité parmesane vit dans le culte de son fils prodige mort il y a cent ans. Visite des principaux lieux qui ont inspiré le génial auteur d' »Aïda », d' »Otello » et de tant d’autres chefs-d’oeuvre.

Busseto a pour coeur la piazza Giuseppe-Verdi. Cette place est une  » îcone « . En son centre, le maestro de bronze, assis sur son fauteuil, vibre d’inspiration créatrice. Derrière la sculpture, un édifice en briques, reconstitution XIXe siècle d’un élément de l’ancienne forteresse, abrite le théâtre Verdi. C’est dire qu’un siècle après sa mort Busseto et Les Roncole, le village natal du compositeur (1813-1901), s’identifient à leur fils le plus célèbre et, surtout, l’aiment encore d’amour. L’auteur de  » La Traviata  » restera d’ailleurs, lui aussi, fidèle toute sa vie à la région où il est né.

La piazza Verdi est comme une Italie en miniature, on y trouve tout, la banque, l’église San Bartolomeo, le fromager, le restaurant, les orgueilleuses demeures du XVIIIe siècle à volets verts et le café. Avec ses miroirs dorés, ses tables de marbre et ses sièges couverts de velours rouge, l’élégant Caffè Centrale, en face du marché, joue sans peine le rôle primordial de foyer du théâtre, de centre de jeux vidéo et de papotages. Le vendredi matin, les anciens à chapeau de feutre s’y retrouvent, parlent musique ou lisent les journeaux sportifs.

C’est aussi sur cette place que s’élève la Casa Barezzi. La banque, propriétaire de l’ancien palais, autorise l’association Amici di Verdi à utiliser le premier étage. Le reste du bâtiment est déjà détruit, dispersé ou endommagé quand celle-ci en hérite : les Amis de Verdi n’ont pu conserver en l’état que le salon de musique, restauré en 1979. Deux pianos y trônent. L’un est moderne, l’autre, un Tomaschek en marqueterie, appartenait à Antonio Barezzi, épicier cossu, passionné de musique et bienfaiteur du jeune Verdi. Le futur compositeur a répété ici, puis y a donné des cours de chant à Marguerite, fille d’Antonio, qui deviendra sa première épouse. Une aura si forte émane du piano touché par le maître, affirment les verdiens, que la plupart des pèlerins n’osent même pas l’effleurer.

Busseto n’a pas trop souffert des bombardements de la Seconde Guerre mondiale et, avant les années 1950, le bourg ressemblait beaucoup à celui que fréquentait le musicien. Des constructions modernes ont envahi certains quartiers, ne laissant intact qu’un fragment du centre historique. Celui-ci témoigne du passé de marquisat de Busseto, autrefois fièrement fortifié. La commune de 5 000 habitants, qui ne possède bien sûr pas les splendeurs ducales de Parme, est plutôt charmante.

Le climat est pourtant difficile : chaud l’été, froid l’hiver, toujours humide. C’est aussi désagréable pour les êtres humains qu’excellent pour les caves de parmesan et pour la conservation du  » culatello  » – délicat jambon cru qui ne supporte pas le voyage -, si parfumé et si coûteux qu’on le consomme exclusivement dans les  » meilleures  » maisons.

Soudain, vers le soir, la brume envahit la place et efface les palais aux tuiles roses. Les ruelles se transforment en scène d’opéra : facile d’imaginer un amoureux, poignard à la main, dissimulé sous les arcades de la via Roma. Désirs inavouables, passions, déshonneurs et mort violente : le mélodrame verdien se noue devant l’ancien Mont-de-Piété. Autrefois, le jeune Verdi obtint de cette institution, alors franciscaine, une bourse de 25 maigres  » franchi  » par mois, qui lui fut essentielle pour aller étudier la musique à Milan. De nos jours, la Cassa di risparmio di Parma (Caisse d’épargne de Parme) a remplacé l’ancien Mont-de-Piété; la banque est riche, c’est-à-dire qu’elle aussi sponsorise, dans ses locaux, la spectaculaire bibliothèque communale, à la fois publique et privée.

En attendant la construction de sa demeure à Sant’Agata, un hameau proche du Pô, Verdi logea pendant deux ans avec sa future seconde épouse, la soprano Giuseppina Strepponi, dans ce qui était alors la plus belle maison de Busseto, le palazzo Orlandi. Le palais déploie ses splendeurs aujourd’hui déliquescentes sur 500 mètres carrés. On ne visite qu’une partie de l’appartement du maestro : cuisine, salon aux fresques pompéiennes de style grotesque et studio où il composait. Les locaux, non chauffés, sont heureusement restés indemnes de toute restauration depuis une cinquantaine d’années et on devine aisément comment l’artiste y vivait. Le guide de cette maison-musée pas comme les autres est un tailleur qui travaille dans les anciennes chambres à coucher, auxquelles les visiteurs n’accèdent pas. A l’époque, les fenêtres de l’étage noble furent plus d’une fois brisées à coups de pierre par des Bussetiens bien-pensants qui considéraient la cantatrice comme une  » femme légère « , une  » traviata « …

En bas de l’immeuble, le barbier étale de la crème à raser sur le visage d’un client, devant un autel décoré par un mini-buste en bronze représentant le maestro aimé. Un air d’opéra s’échappe des haut-parleurs de la boutique. Ferveur affichée : la musique est dans l’air, on ne parle que de ça. Avant et pendant les spectacles du théâtre (375 places seulement), le pays se transforme. Beaucoup de gens flânent sous les arcades, rencontrent les chanteurs, prennent le café avec eux, leur parlent. Une famille d’amitiés se crée. Tout semble merveilleux pendant la période de production de l’opéra. Mais, la dernière représentation terminée, les ouvriers démolissent les décors. Et le vide dure deux ou trois mois.

Malgré son exceptionnelle  » success story  » et l’argent gagné grâce aux commandes, le génial musicien – fils d’un aubergiste, et d’une fileuse de chanvre – affirmera jusqu’à la fin de sa vie :  » Je suis un contadino, un paysan des Roncole.  » Verdi passera les cinquante dernières années de sa vie à Sant’Agata, dans une demeure de 50 pièces entourée d’un parc de 7 hectares qu’il avait conçu. La villa Verdi appartient toujours aux descendants du musicien.  » Mon père est né ici, raconte Emmanuela Carrara-Verdi, 28 ans, yeux rieurs et bouche fine. Il m’a dit qu’à l’époque de son arrière-grand-père le hameau était loin de tout : Verdi aimait cet isolement. L’été, il se promenait là-bas, dans l’allée bordée de platanes, sa préférée. On dit qu’il possédait 1 000 hectares, que c’était le plus gros fermier de la région. « 

Par testament, Verdi a légué ses fermes à des oeuvres. La fameuse allée est aujourd’hui coupée par un canal. La maison, elle, se visite.  » Il est curieux de voir circuler des étrangers chez soi, reconnaît la jeune femme, mais un peu d’argent rentre grâce à eux. Cela ne suffit pourtant pas à entretenir les lieux. Tant de travaux sont nécessaires. Il y a la chambre du maître, celle de son épouse, le studio, la cave, la chapelle, la remise de la serre, les écuries, la glacière, la grotte artificielle, les jardins… J’espère néanmoins ne jamais devoir habiter ailleurs. »

Nicole-Lise Bernheim

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