Pendant l’été, Le Vif Weekend zoome sur ceux qui ont choisi la Belgique. Épisode 2/7 : Thierry Rondenet et Hervé Yvrenogeau, aussi appelés Own, du nom de leur label. Une union pour le vêtement, un engagement mode à deux voix, avec léger accent français.

Il y avait de la pluie, des nuages bas, une ville qu’on aurait crue à l’abandon. C’était à Pâques ou à la Toussaint, ils ne savent plus très bien, peu importe, de toutes façons, cela ressemblait comme deux gouttes d’eau à un jour gris de novembre. Thierry Rondenet et Hervé Yvrenogeau avaient débarqué à Bruxelles sans deviner que, vingt et un ans plus tard, ils y vivraient encore. Ils avaient trouvé l’endroit  » exotique « , rien à voir avec leur Vendée natale. Et  » hyper torché « , graphiquement parlant – car convergeait ici une génération underground alors accro aux labels musicaux indigènes, Les Disques du Crépuscule et Crammed disc. Le temps a passé, les nuages sont toujours aussi bas, le surréalisme, désormais, coule dans leurs veines.

On est en 1990, prononcez nonante, Thierry et Hervé ont déjà un quart de siècle, une vie antérieure (instituteur et étudiant en droit) et viennent de s’inscrire à l’École nationale supérieure des Arts visuels, autrement dit La Cambre, section sérigraphie. Ils se disent qu’ils y resteront trois ans et puis bye bye. C’est compter sans leur rencontre avec Franc’ Pairon, fondatrice de la section stylisme et création de mode(s). Ils y font un stage et, en guise d’interlude pour le défilé de fin d’année, créent une collection basée sur la récupération, blanche uniquement, un concept. Tout ça sans penser le moins du monde à la mode, à part peut-être comme  » spectateurs « . En attendant, ils découvrent l’envers de la couture, se piquent au jeu, s’inventent un collectif, un nom – Union pour le vêtement – et un vestiaire inspiré du travail, auréolé de deux prix au Festival des Arts de la Mode, à Hyères, cru 1994. Succès immédiat. Cinq ans plus tard, changement de nom, de structure mais pas de cap : ils présentent leur première collection à quatre mains siglée Own, des silhouettes Homme,  » par affinité « , qu’ils marieront ensuite, plus tard, pour l’automne-hiver 05-06, à la Femme, en une  » histoire d’hybridation  » particulièrement réussie.

Entre-temps, ils ont ouvert une boutique qui porte leur label, ce possessif anglais qui leur va si bien, qui dit si justement leur conception du vêtement – une certaine radicalité classique et chahutée, un ancrage dans le quotidien, un sens de la narration, un univers engagé. Le militantisme n’est pas que politique.

Dans leur  » own shop « , la grande étagère sert de porte dérobée, les tringles dorées sont suspendues au plafond et des jeunes designers invités à venir exposer leur £uvres – toujours cette idée de transversalité nourrissante. Enrichie par d’autres collections, la petite maroquinerie d’Il Busseto, le vestiaire mixte d’APC et celui de Cacharel  » Le « , la version Homme, qu’ils signeront pendant trois saisons. Car leur vision de la mode, ils l’ont aussi façonnée pour d’autres – Cacharel et Veronique Branquinho qui, en 2008, se lance avec eux dans l’aventure Homme jusqu’à la fin de son histoire.

Aujourd’hui,  » on  » fait appel à leur talent ; désormais, ils font des allers-retours Bruxelles-Paris plus qu’à leur tour, toujours en duo, pour travailler au sein de la Maison Martin Margiela. Ils ont mis Own, la collection, au frigo, la faute au temps qui manque et  » au système de la mode qui a changé « . Mais ils ont gardé leur boutique et le rêve avoué de redessiner un jour, qui sait, un vestiaire masculin. Entre deux trains, ils pensent les costumes de You have changed, de Thomas Hauert, chorégraphe, et de sa compagnie Zoo –  » un travail assez abstrait, graphique, avec une idée d’androgynie « , ce ne sera jamais que la quatrième ou cinquième fois qu’ils approchent la danse par le vêtement. S’ils hésitent sur le nombre, c’est parce que le temps leur a filé entre les doigts, sans qu’ils s’en aperçoivent. D’ailleurs, cela fait dix ans déjà qu’ils sont professeurs à La Cambre mode(s) sous la houlette de Tony Delcampe, où ils  » balisent des chemins « ,  » filent des espèces de pistes  » aux futurs ex-étudiants et nourrissent leur curiosité intacte à leur contact. Une boucle, jamais bouclée.

Carnet d’adresses en page 48.

Anne-Françoise Moyson n

Le militantisme n’est pas que politique.

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