Sa maison-musée recèle mille et un trésors d’artisanat des quatre coins de la planète. Le grand designer textile américain Jack Lenor Larsen, qui a ouvré pour les grands architectes du xxe siècle, dont le célébrissime Frank Lloyd Wright, a ouvert à Weekend les portes de son domaine enchanteur de Long Island. Rencontre avec le tisseur de lumière.

Une pente douce conduit à une structure atypique : un toit pointu recouvrant plusieurs étages, de larges espaces vitrés ou ouverts aux quatre vents, des passerelles, de lourdes portes, protégeant cette forteresse aérienne inspirée du temple japonais de Ise, datant du viie siècle. Le grand designer textile Jack Lenor Larsen a rêvé, conçu et réalisé cette demeure, enfouie dans les Hamptons, à deux heures de New York, sur l’île de Long Island. Il y abrite sa collection unique d’art et d’artisanat. Tout au long de sa vie, en effet, il a choisi, assemblé et archivé des £uvres, des objets ou ustensiles, découverts lors de ses nombreux voyages. Et à presque 80 ans, il n’a rien perdu de son esprit de découvreur, d’innovateur.

Chaleureux et décontracté, Jack Lenor Larsen vous invite à prendre place dans son vaste salon, qui sert aussi de hall d’exposition et d’espace pour des cérémonies ou des concerts. Loin de la rigidité d’un musée, l’ambiance est celle d’une maison de famille. Après quelques minutes, l’hôte vous propose du café,  » tout frais « , précise-t-il. Il ouvre aussi ses Mémoires, rédigés en 1998.  » Je prépare mon onzième livre, sur la tapisserie ancienne, avec bien sûr un chapitre sur les tapisseries flamandes. « 

Jack Lenor Larsen crée des tissus depuis six décennies.  » Je suis un designer sur textile, ce qui veut dire que tout ce que je fais a une fonction « , précise celui qui est à la fois tisserand, artiste et même ethnographe. Etudiant en architecture dans les années 1940, il découvre le plaisir de tisser à la main lors d’un cours qui va orienter sa carrière. Sa passion pour les entrelacs de matières et de couleurs ne va plus l’abandonner : son talent est immédiatement mis à profit par les grands architectes de l’après-guerre. En 1951, il reçoit sa première commande importante : la réalisation d’un large voilage pour le hall d’un des premiers gratte-ciel à structure métallique de New York. La texture translucide, tissée de fil argenté, apporte une superbe lumière à l’entrée de l’édifice.

Jack Lenor Larsen est salué par la critique. Il collabore avec l’architecte légendaire Frank Lloyd Wright pour son chef-d’£uvre,  » la maison sur la cascade « , dessinant et créant les housses de ses canapés et ses tapis. Il travaille, ensuite, avec tous les architectes de renom du xxe siècle, sauf Le Corbusier.

Dès 1952, Jack Lenor Larsen fonde la compagnie qui porte son nom. Plus de cinquante-cinq ans plus tard, son entreprise est une référence mondiale dans la fabrication de textiles. Avec un siège à New York, des succursales en Suisse et en Allemagne, des ateliers partout dans le monde, la griffe Larsen est un symbole de qualité, de sophistication dans le bon goût et la simplicité.  » Nous travaillons beaucoup avec les Belges, se félicite le boss… même s’il regrette de ne plus trouver chez nous autant d’artisans capables de travailler le lin.  » Notre showroom de Bruxelles a beaucoup de succès, car les Belges ont un appétit pour le luxe. Ils apportent beaucoup d’attention à leur intérieur.  » Assoiffé de découvertes et d’inspirations, notre hôte se lance, il y a plus d’un demi-siècle, dans l’exploration de territoires lointains, aux quatre coins de la planète. Il voyage dans 90 pays, sur tous les continents, à la rencontre des artisans.  » Chaque endroit a des techniques et des matériaux différents, s’enthousiasme-t-il. Je continue à voyager constamment.  » Cette année, il se rend pour la trente-troisième fois au Japon, son pays préféré, où il est professeur invité à l’université de Tokyo.

Jack Lenor Larsen puise son style unique dans cette curiosité pour les peuples et leurs cultures, qu’il couple avec son sens inné de la beauté universelle. Les contingences économiques le poussent à faire fabriquer ses tissus dans les pays en voie de développement, où la main-d’£uvre est meilleur marché. Il fait appel le plus souvent à des artisans de populations tribales, en Afrique, en Amérique latine, ou en Asie, avec lesquels il procède à un échange de savoirs. Il s’associe ainsi à des peuplades afghanes, kényanes, de la Mandchourie ou encore Maori, en Nouvelle-Zélande, pour n’en citer que quelques-unes. Alliant tradition et modernité, le look Larsen est à la croisée des mondes, des cultures et des époques. Sa palette de textures inclut notamment le lin, le chanvre, le raphia, le coton, le mohair, le poil de chèvre. Il n’hésite pas non plus à utiliser des tissus synthétiques innovants.  » La production industrielle n’empêche pas les innovations « , souligne-t-il.

Sa collection personnelle est exposée dans sa maison de Long Island, accessible au public deux fois par semaine, de mai à septembre. Le domaine, baptisé LongHouse Reserve, est aujourd’hui une fondation, qui a pour but de montrer au public comment vivre entouré d’art sous toutes ses formes.  » J’ai imaginé cette maison comme une étude de cas, à partager avec les visiteurs, affirme notre hôte. L’habitat aujourd’hui est devenu tellement standardisé. Nous vivons dans des boîtes. Je voulais montrer une autre façon de faire les choses. Je pense que la décoration devrait être aussi originale que possible, laissant la place à tous les styles et à tous les goûts. Les textiles sont les matériaux les plus pratiques pour personnaliser un espace. Nous vivons dans un monde impersonnel, donc je pense que nos intérieurs devraient être aussi personnels que possible. « 

Tout se visite, ou presque, à LongHouse. Le salon de réception comprend du mobilier ancien, des £uvres d’art et des objets, issus de cultures lointaines ou éteintes, ou encore créés récemment par des artistes, explorant les techniques contemporaines d’artisanat. La cuisine, qui sert en même temps de galerie d’exposition, est divisée par des panneaux coulissants, d’inspiration japonaise, le style favori de Jack Lenor Larsen. Ces murs amovibles permettent soit d’isoler le cuisinier lors d’une réception par exemple, soit de lui ouvrir la vue sur le reste de la pièce et des invités pour un dîner entre amis. Même principe avec la collection de petits objets, placée dans des vitrines, qui sont soit ouvertes au regard, soit dissimulées derrière de fines parois rétractables. L’artiste voyageur a une passion particulière pour les paniers en osier, qu’il a suspendus aux plafonds de sa cuisine.  » Les paniers sont des vaisseaux tactiles « , formule-t-il.

En quelques pas, on accède à la chambre à coucher de l’artiste, qui lui sert aussi de bureau. La tapisserie est bien sûr une de ses créations, de même que les voiles qui entourent le lit. Ce dernier fait face à une large ouverture donnant sur la verdure du jardin.  » En tant que designers, nous devons nous intéresser à d’autres choses qu’aux textiles : nous devons regarder les arbres, les nuages, l’eau, etc. », écrit Jack Lenor Larsen dans ses Mémoires.

Dans tout le domaine de LongHouse, l’intérieur et l’extérieur, l’art et la nature, l’ombre et la lumière sont tissés ensemble par le jeu d’ouvertures, de percées, d’escaliers suspendus, de terrasses… Dans ses tissus comme dans son mode de vie, Jack Lenor Larsen privilégie les multiples qualités de la lumière, à travers des effets de transparence, de translucidité, ou de reflet.  » Sans lumière, nous ne sommes rien « , martèle-t-il.

La visite se poursuit par le rez-de-chausée qui abrite une collection de vases anciens. Une nouvelle porte coulissante ouvre sur une terrasse couverte et sur l’étang, recouvert de nénuphars. On embarque dans le Kart de golf pour faire le tour du jardin. Jack Lenor Larsen est aussi paysagiste :  » Le jardinage est un bon remède contre l’oisiveté. Je ne suis pas très fort pour le repos, je suis un travailleur acharné. « 

Mais d’où lui vient cette passion pour le jardin ?  » Quand vous tissez, vous sentez avec vos mains, vous devenez très sensibles à la texture « , explique celui qui est un grand admirateur du paysagiste belge Jacques Wirtz, et dont les créations sont aussi agréables à regarder qu’à toucher. A l’âge de 3 ans, il s’était fait offrir un paquet de graines de radis. Il se souvient encore parfaitement de son émerveillement à voir sortir les pousses vertes et à suivre le processus naturel de la maturation. Plusieurs décennies plus tard, il dessine un jardin à la hauteur de ses rêves d’enfant. A droite du sentier, une énorme structure ronde futuriste semble être tombée de l’espace. Une paire d’anneaux se joue de l’apesanteur. Plus loin, un théâtre de verdure, une longue treille de rosiers, qui débouche sur une clairière où un cercle de rondins attend la réunion des esprits des tribus indiens qui ont vécu dans la région. Çà et là, des £uvres d’éminents artistes du xxe siècle : une maison en trompe-l’£il de Roy Lichstenstein, des sculptures de Willem de Kooning, un jeu d’échecs complètement blanc de Yoko Ono. Une des dernières acquisitions de la fondation est une sculpture de l’artiste Sol Lewit, baptisée  » Magical City « … La ville magique, parfaite pour ce jardin tout aussi magique.

Carnet d’adresses en page 122.

Elodie Perrodil

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