Ils disent stop à l’hyperconsommation. Ne veulent plus posséder à tout prix. Et favorisent au contraire le partage des biens et services. Internet et les réseaux sociaux sont leur terrain de chasse. Zoom sur ces consommateurs collaboratifs d’un nouveau genre.

Un Bikini rose troqué contre un sac en cuir sombre frangé. Une paire d’escarpins façon python en attente de trouver une nouvelle propriétaire… Ouvert depuis septembre dernier seulement, le site Internet PretaChanger.fr fait déjà parler de lui : plus de 4 700 membres en France – l’ouverture en Belgique est une priorité pour 2012 -, 13 000 articles disponibles et pas moins de 1 000 échanges réalisés en un mois.  » Les Troc Parties que j’organisais ont été notre première source d’inspiration, explique Marina Calmes, 27 ans, co-fondatrice du site avec Benjamin Augros et Alexandre Trivella. Aujourd’hui, nous ne nous limitons plus à du troc bilatéral mais proposons des boucles d’échanges, qui font intervenir entre deux et six personnes. « 

Renouveler sa garde-robe et donner une seconde vie aux vêtements, le tout en quelques clics et sans rien dépenser (mis à part les frais d’expédition sur lesquels le site se prend une petite marge), tel est le leitmotiv de cette plate-forme.  » Nous nous inscrivons dans un mouvement qui prend chaque jour un peu plus d’ampleur, celui de la consommation collaborative.  » Ce qui se cache derrière ce terme, lancé en 2007 par le spécialiste en marketing Ray Algar et plus largement médiatisé depuis un an grâce à l’ouvrage What’s Mine is Yours de Rachel Botsman ? Plutôt que de posséder à tout prix, ces consommateurs d’un nouveau genre préfèrent avoir accès à un produit. L’usage, plutôt que la propriété. Un modèle économique qui s’envisage par le biais de la location, la revente, le troc, le partage ou encore l’échange d’un bien ou d’un service.

Merci Facebook

Très populaire actuellement, cette philosophie n’est cependant pas récente. En 1995 déjà, eBay mettait sur pied son site de ventes aux enchères. Quatre ans plus tard, Napster initiait le partage de musiques entre internautes. Quant aux initiatives caritatives comme Les Petits Riens, cela fait plus de septante ans que les objets récoltés sont redistribués aux nécessiteux…  » Ces interactions entre particuliers ne sont pas neuves, mais le développement des nouvelles technologies a permis leur essor de façon spectaculaire, analyse l’entrepreneur Antonin Léonard, à l’origine du blog ConsoCollaborative.com. Dorénavant, les possibilités créatives sont infinies. Les places de marché Peer-to-Peer mettent en contact une masse critique d’internautes, ce qui permet une connexion entre l’offre et la demande sur une échelle sans précédent. Les consommateurs n’ont plus besoin d’intermédiaires. Par ailleurs, Internet, les réseaux sociaux et leurs systèmes de réputation (comme les feedbacks, références et notations) créent et maintiennent la confiance, condition nécessaire pour que des inconnus collaborent ensemble. Des études ont ainsi montré qu’un utilisateur Facebook a tendance à être beaucoup plus convaincu par ce genre d’échanges collaboratifs que la moyenne. « 

Bienheureuse crise

Mais les nouvelles technologies ne justifient pas à elles seules cet engouement pour l’économie du partage.  » On assiste à une évolution des mentalités, constate Benoît Minet, coordinateur de l’ASBL Taxistop pour la Wallonie et Bruxelles, association derrière laquelle on retrouve Cambio et plusieurs autres sites de consommation collaborative. Les gens s’interrogent : avons-nous vraiment besoin d’une seconde voiture ? Ils réfléchissent à un usage rationnel des choses. Le questionnement économique et écologique fait son chemin… « 

Les motivations des utilisateurs sont multiples, mais principalement d’ordre pécuniaire. Lors de la crise de 2008, la hausse du prix du carburant a engendré une augmentation de 200 % des inscriptions sur le site de covoiturage CarpoolPlaza. Pareil pour le gardiennage de maisons, alternative aux vacances coûteuses, avec une croissance de 30 %. Tandis que fin août, 12 550 clients voyageaient avec l’une des 430 voitures Cambio.

 » Ces préoccupations financières font émerger une réflexion autour de biens matériels chers à l’achat et pourtant très peu utilisés, indique Antonin Léonard. Une voiture reste ainsi à l’arrêt 92 % de son temps. Une perceuse ? Elle ne sert que 12 minutes sur toute sa durée de vie. Le modèle du tout posséder n’a plus cours. Il s’agit d’économiser en arrêtant de gaspiller, en optimisant les ressources. « 

Deuxième raison expliquant le succès de la consommation collaborative : la volonté de recréer des liens sociaux de proximité. Faire la route ensemble, prêter ses outils de jardinage, cuisiner pour son voisin ou troquer ses vêtements : autant de gestes qui font ressurgir une communauté au sens premier du terme.  » Cela permet de rencontrer des gens qui partagent la même sensibilité « , résume le créateur de ConsoCollaborative.com.

Enfin, à ces arguments s’ajoute une préoccupation écologique. Les consommateurs collaboratifs veulent manger des produits bio cultivés près de chez eux, ils sont sensibles aux conséquences de leurs déplacements sur l’environnement…  » Mais leurs motivations sont moins militantes que par le passé « , reconnaît Antonin Léonard. L’intérêt premier est d’abord d’y trouver son compte. Et tant mieux si cette démarche individuelle aide aussi la planète.

Parti pour durer

Reste à savoir si cette tendance est passagère ou va s’inscrire dans la durée. Sur ce point, les experts estiment que ce n’est pas un effet de mode.  » La crise financière de 2008 ne fait qu’accélérer un changement lancé au début du xxie siècle « , affirme-t-on chez Collaborative Lab, l’agence de Rachel Botsman. Time Magazine considère même que l’économie de partage fait partie des dix idées amenées à changer le monde.

Autre preuve de l’importance de ce phénomène : les start-up bâties sur cette philosophie rencontrent un succès phénoménal. Le site Airbnb, qui permet de louer le logement d’un particulier, est ainsi estimé à un milliard de dollars (720 millions d’euros), tandis que le New York Times évalue à près de six milliards de dollars la valeur de Groupon, qui prépare d’ailleurs son entrée en bourse. Cette société spécialisée dans les loisirs de proximité à prix réduits compte 117 millions de membres, dont 500 000 Belges.  » Nous proposons 45 nouveaux deals quotidiens dans 20 villes belges, détaille Bram Clincke, Marketing Manager de Groupon Benelux. Notre business évolue sans cesse. Outre des actions à l’échelon local (restaurants, salons de beauté, magasins…), nous proposons de plus en plus de bons de réduction et des vacances clé sur porte.  »

Les voyages de Groupon, les canapés de CouchSurfing, la location d’une habitation via Airbnb, le partage de voitures grâce à Cambio… De quoi faire de l’ombre à l’industrie touristique et automobile ?  » L’arrivée massive de particuliers et de nouveaux protagonistes concurrence clairement les acteurs traditionnels, remarque Antonin Léonard. Les règles du jeu sont en train de changer. Soit le marché essaie de freiner cette évolution. Soit il évolue et s’adapte à cette nouvelle donne.  » En France, Ikea, Castorama et Intermarché proposent déjà à leurs clients de covoiturer. En Allemagne, BMW et Volkswagen testent des solutions d’autopartage.  » Pures stratégies de green-washing « , juge Benoît Minet, de Taxistop. Mais même si certaines entreprises ne se lancent dans ces projets uniquement pour l’image, nul doute qu’il faudra qu’elles prennent en compte la consommation collaborative dans un avenir (très) proche…

Par Catherine Pleeck / photos : julien pohl

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