Le photographe belge publie aux éditions Lido ses meilleurs éditos de mode. Une somme de dix ans de travail. Dix ans à refuser la doxa glacée au profit de textures rêveuses et d’univers énigmatiques.

Trois pièces en enfilade d’un appartement saint-gillois, son nid, quand il n’est pas à New York, où il passe  » beaucoup de temps mais moins qu’avant « , parce qu’il y a Lucie, 7 ans –  » je veux être un bon père « . Ce matin-là, il en revient, justement, de la Grosse Pomme. La veille il bouclait un shooting pour Teen Vogue. Serge Leblon, Belgique, 1964, est photographe. De mode, entre autres,  » ce métier fourre-tout où, lâche-t-il, voisinent le mec du catalogue La Redoute et l’enfoiré qui traite des filles comme de la chair à canon sur les plages « . Lui se range volontiers et non sans raison du côté des artistes, caractérise ses portraits,  » snapshots  » de Gainsbourg Charlotte ou Huppert Isabelle, dans des termes cinématographiques. Lit actuellement Georges Bataille, La Part maudite. Parle de ses clichés comme de peintures, parce qu’au final, comme disait l’autre, ce sont des couleurs dans un certain ordre assemblées. Rayon influences, on a du Rothko,  » ses flous, son évanescence, sa féerie noire et mortifère « , du Klimt,  » quelles textures ! « . Et puis du Guy Bourdin. Inévitablement, quand on s’escrime au quotidien à maintenir vivace le mariage entre la photo de mode et la photo d’auteur.

À le voir, dans son look de fonction (jeans droit, sneakers, montures épaisses), on croirait qu’il est né dans cet uniforme. Mais non. Son père est employé, sa mère secrétaire. La prime adolescence est  » perturbée « . Premier de classe, un peu trop gros, un peu trop prol pour ses camarades du plutôt snob athénée Robert Catteau :  » J’étais toujours le dernier qu’on choisissait dans son équipe au cours de sport.  » Sans faire du Sigmund de café du commerce, il a  » souvent cru  » qu’il prenait aujourd’hui sa revanche. Car l’avenir que papa-maman lui suggèrent ensuite – unif, médecine, famille -, ce n’est pas possible non plus. Il rate, forcément. Décide, pourquoi pas ?, de faire du cinéma. Ce qui l’amène finalement à la photo :  » J’ai réussi l’examen d’entrée à l’Insas, mon père m’a offert un Nikon.  » Il quittera l’Insas, pas son appareil. Il a 20 ans,  » n’y connaît pas grand-chose « , court les librairies, affine sa culture de l’image, découvre Robert Frank, révélation :  » C’est un de ses clichés pour Comme des Garçons qui m’a prouvé qu’on pouvait faire de l’édito de mode intelligemment. « 

La suite, c’est bohème, débrouillardise, tests, books, travail à perte. Pas la mouise, juste doucement la galère : le sort commun des jeunes photographes indépendants qui se rêvent en Avedon. Puis un jour des années 90, après les sardines, il en pêche un gros, genre brochet. Il vient de trouver sa signature, son fameux flou rêveur et mélancolique. Le directeur artistique de Jalouse voit ses photos perso, l’envoie en Ukraine shooter une production de mode dans le style de sa nouvelle patte. Banco :  » À la parution, Dazed & Confused, The Face, tout le monde m’a appelé.  » Ou comment du jour au lendemain devenir Serge Leblon.

C’est-à-dire : revendiquer sa part de liberté créative, imposer son univers visuel mystérieux et crépusculaire. On ne trouvera effectivement pas dans son book de jeunes filles portemanteaux au regard frontal :  » Utiliser la beauté de la femme pour vendre un produit n’a jamais été mon truc.  » Chez lui, les vêtements participent d’abord au graphisme du  » tableau « , les mannequins se fondent dans une atmosphère picturale, fixent rarement le spectateur :  » J’aime fictionnaliser mes photos, et dans les fictions, à part chez Woody Allen, les acteurs ne regardent pas le spectateur.  » S’il regrette, légèrement amer, le manque de place grandissant pour la créativité dans les magazines,  » même en Angleterre ! « , et dans la pub, Serge Leblon cherche et trouve  » des fenêtres  » pour cultiver sa singularité à l’intérieur d’un système qu’il estime de plus en plus cadenassé par l’esthétique imposée par les annonceurs :  » On doit tout montrer, il faut bien reconnaître le vêtement, tout doit être net aujourd’hui.  » Serge Leblon a, avoue-t-il,  » un vrai problème avec l’autorité en général « . On ne fait pas toujours à sa mode, mais  » la vraie poésie est en dehors des lois « . Leblon le sait, c’est du Bataille. C’est un peu la sienne aussi.

Retrouvez le portfolio de Serge Leblon sur www.levifweekend.be

BAUDOUIN GALLER

Faire de l’édito de mode intelligemment.

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