Parallèlement aux galeries, un circuit artistique alternatif se développe aujourd’hui. Inventif et prospectif, il entend prouver que l’art contemporain n’est pas qu’une question de gros sous. Notre enquête.

Certains chiffres donnent le vertigeà et chaque année, l’art contemporain y va de sa  » petite  » contribution en la matière. Les ventes atteignent sans cesse de nouveaux sommets. Calqué sur la santé de la spéculation financière et des plus-values juteuses, le marché est comme dopé, toujours plus cher. Ce golden hit-parade a ses stars. C’est Lucian Freud qui en 2008 vend Benefits supervisor sleeping, un nu adipeux pour plus de 33 millions de dollars (plus de 23 millions d’euros) à New York. La toile du petit-fils du fondateur de la psychanalyse pulvérisait ainsi le record de vente d’une £uvre d’art signée par un artiste vivant. Une distinction qui revenait jusque-là à un autre spécialiste du genre, Jeff Koons, dont l’une des sculptures avait été achetée à Londres en 2008 pour près de 13 millions de livres sterling (plus de 14 millions d’euros). A ce petit jeu-là, impossible de ne pas mentionner le Britannique Damien Hirst, autre ténor du jackpot. Son fameux Veau d’or, installation présentant l’animal mort avec un disque d’or sur la tête dans un aquarium rempli de gaz désinfectant a été vendu à Londres à plus de 10 millions de livres sterling (plus de 11 millions d’euros). Oui mais voilà, tout cela, c’était avant la criseà

Aujourd’hui, même si le marché s’est assaini – plus question, par exemple, pour les collectionneurs de préacheter deux heures avant l’ouverture d’une foire -, la rupture est bel et bien consommée. La logique inflationniste a fait son £uvre : elle a creusé le fossé entre tout un chacun et l’art contemporain qui reste l’apanage d’une élite surinformée braquant un £il sur l’£uvre et l’autre sur sa rentabilité à court ou moyen terme. L’individu lambda, lui, se sent étranger et dépassé par les événements.

Rompre avec l’étiquette élitiste

Ce divorce ne laisse pas tout le monde insensible. Une nouvelle génération de passionnés s’emploie en effet à réconcilier art contemporain et grand public. Son pari ? Démocratiser l’art. Le mouvement plonge ses racines dans un courant d’idées contestataires qui entend éloigner art et création de la spéculation financière. But avoué : éviter que l’art ne devienne un produit comme un autre dont l’argent fixe la valeur ultime.

L’étincelle a eu lieu il y a dix ans à Londres. On la doit à Will Ramsay qui a lancé la première Affordable Art Fair (AAF). Le défi ? Rompre avec l’étiquette élitiste qui colle à la peau de l’art contemporain. L’idée ? Créer une plate-forme éphémère de rencontre entre grand public, artistes et jeunes galeristes.  » Entre l’art spéculatif et l’art discount, il y a un créneau d’£uvres originales de qualitéà compréhensibles « , défend-t-il. Depuis, cette initiative s’est répandue comme une traînée de poudre autour du globe. New York, Sydney, Paris, Amsterdam, Bristolà toutes ces villes proposent une AAF. Au total, les 50 éditions qui se sont déjà déroulées ont accueilli 600 000 visiteurs à travers le monde et contribué à la vente pour 130 millions d’euros d’£uvres d’art.

En 2009, le concept a fait florès pendant quatre jours à Bruxelles. Succès oblige, l’événement rempile du 5 au 8 février prochain avec pour slogan :  » Souriez, l’art contemporain est contagieux « . Où qu’elle se déroule, l’AAF affiche un parti-pris économique inébranlable : pas d’£uvre au-dessus de 5 000 euros. Elle se veut aussi  » un reflet de la création contemporaine au travers d’une grande diversité : peinture, photographie, dessins, sculptures, gravuresà  » Le tout parfaitement mis en scène. Un restaurant, un wine-bar, des ateliers ludiques pour les enfants (organisés dans la version bruxelloise avec Bozar) : la priorité est donnée à la convivialité.

L’AAF se veut également un tremplin pour les talents en herbe. Elle offre ainsi une tribune à de jeunes artistes qui n’ont jamais été exposés. Soit une opportunité pour eux de prendre place au sein d’une foire à dimension internationale et d’être repéré par l’une des galeries présentes. A noter aussi : en cas de coup de c£ur, le visiteur peut repartir avec l’£uvre sous le bras. Un stand spécialement dédié à l’emballage des pièces est d’ailleurs prévu.

Privilégier les jeunes artistes

L’AAF a suscité les vocations. Sous nos latitudes, on citera la Brussels Accessible Art Fair (BAAF). Inaugurée en 2007, cette foire décline des événements à la fois annuels et mensuels. Ancrée dans la scène culturelle belge, elle promeut artistes locaux et internationaux à l’attention d’un large public.

A épingler aussi : Truc Troc, dont la 7e édition a lieu ces samedi 16 et dimanche 17 janvier à Bruxelles (lire page 31) Le principe ? Simple et génial à la fois : munis de Post-it sur lesquels vous inscrivez ce contre quoi vous seriez prêts à échanger l’£uvre d’un artiste exposé, vous parcourez les salles à la recherche de votre coup de c£ur. Tout est permis, pas de limites dans la nature des offres. Si l’artiste est sensible à votre proposition, vous repartez avec son £uvre.

 » Trop de gens n’envisagent même pas de pousser la porte d’une galerie tant cet univers leur semble inaccessible  » : c’est sur ce constat que Natacha Malou et Alexandra Goemaere ont conçu Artemptation. Si elles ont sous-titré le lieu  » épicerie fine d’art contemporain « , c’est justement pour en souligner l’ouverture et l’accessibilité.  » Nous refusons de présenter une vision trop conceptuelle de l’art contemporain « , martèle Alexandra Goemaere. Outre la galerie proprement dite, celle-ci dispose également d’une vitrine sur Internet. L’achat y est enfantin, les £uvres étant classées de  » moins de 250 euros  » à  » plus de 2 500 euros  » avec un plafond fixé à 5 000 euros : il suffit de faire glisser l’£uvre de son choix dans un panier, comme sur n’importe quel site d’achat.

En une année d’existence seulement, Artemptation s’est imposé à Bruxelles. En témoigne un public sans cesse plus nombreux mais également les 70 artistes qui font confiance à la galerie, dont François Coorens, Denis Meyers, Miguel Moran, Sabine Nielsen, Larissa Ickx ou l’Allemand Ottmar Hörl.  » Nous recevons tous les jours deux à trois candidatures d’artistes, explique Natacha Malou. On se rend compte à quel point c’est difficile d’exposer. Et ce réservoir de forces vives semble inépuisable. « 

Artemptation n’est pas seule à refuser une approche élitiste. C’est le cas de la galerie Antonio Nardone dont l’éponyme directeur ne mâche pas ses mots :  » Il faut savoir que de nombreuses galeries n’en ont rien à cirer du public. Elles fonctionnent avec un réseau de 100 collectionneurs qui leur suffit tout à fait. La plupart du temps, elles sont difficiles d’accès pour la simple et bonne raison qu’elles n’ont pas envie de voir débarquer Monsieur et Madame Tout-le-Monde dans leurs murs. Ce n’est pas comme cela que j’envisage les choses. Personnellement, je ne vise pas le collectionneur mais l’amateur disposant de 1 000 à 4 000 euros pour une £uvre d’art. Et je mets un point d’honneur à promouvoir des artistes belges. « 

Nardone a aussi développé  » 250  » qui a connu, en décembre dernier, sa deuxième édition.  » L’idée, c’est de rassurer les gens, poursuit le galeriste. De leur dire qu’ils peuvent entrer sans risque car aucune des 250 £uvres présentées n’affiche un prix dépassant 250 euros. En cas de coup de c£ur, ils repartent immédiatement avec l’objet de leur désir sous le bras.  » Si le concept privilégie les jeunes artistes, il associe également des signatures éprouvées : Marie-Jo Lafontaine, Wim Delvoye ou Jean-Luc Moerman.  » Lors de la première édition, je me suis rendu compte que trois quarts des achats avaient été effectués par des personnes, toutes âgées d’environ 30 ans, qui n’avaient jamais fait d’acquisition de ce type, conclut Nardone. C’est cet engouement qui incite les grands noms à participer à l’événement. Leur travail est diffusé auprès d’un public qu’ils ne touchent habituellement pas. « 

Un autre créneau participe à la démocratisation de l’art, celui des foires dites  » off  » qui sont souvent synonymes de prix doux. Ces dernières années, celles-ci se sont multipliées comme des petits pains… surtout en France. Qu’il s’agisse de Slick, Cutlog, Art Elysées et ShowOff à Paris ou de Liste à Bâle, le scénario est le même : montage de stand à l’arrache et décors souvent bruts pour réintégrer les laissés pour compte du marché. La notion de valeur marchande est ici aussi écartée au profit de l’adhésion à une £uvre. Quand l’émotion prend le pas sur le boulier compteur…

Carnet d’adresses en page 62.

Par Michel Verlinden

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