Après Les Aquariums lumineux, premier roman délicat et décalé, Sophie Bassignac signe A la recherche d’Alice. Où l’on retrouve avec délectation l’écriture jubilatoire, l’humour et les personnages doucement loufoques de cette auteure à dévorer de toute urgence.

Qui a dit que les écrivains français ne savaient pas raconter d’histoires ? Loin des égarements dégoulinants de l’autofiction, Sophie Bassignac prouve encore une fois le contraireavec A la recherche d’Alice, son deuxième roman. Porté par une écriture d’une grande élégance, drôle et inventive, le digne successeur des Aquariums lumineux dessine le portrait d’une femme excentrique, lunaire et raffinée. Alice Conque est guide conférencière au Louvre. Mariée depuis vingt ans avec Vincent, reporter globe-trotteur, accessoirement père et époux. Un soir, travaillée par le soupçon et le cannabis, elle s’en prend à la maîtresse présumée de ce dernier : ni une, ni deux, ligotée dans sa baignoire, la garce ! Un léger coup de folie qui lui vaut un détour par la case commissariat. L’inspecteur Picasso, troublé par le charme de cette blonde fantasque et parano, va se retrouver embrigadé sur les chemins cabossés de la vie d’Alice. Est-il réellement inquiet des événements louches dont cette dernière se dit victime ? Assez intrigué en tout cas pour la suivre jusque dans la Loire où elle doit organiser les obsèques de sa mère. Entre les secrets de famille douloureux qu’il découvre et un amour frémissant qui l’obsède, Picasso sombre dans les abysses de la mélancolie tandis qu’Alice en profite pour régler ses comptes avec son couple et son enfance. Energisé par une intrigue ourlée d’un humour irrésistible, A la recherche d’Alice mêle les codes du polar et du roman psychologique en un subtil équilibre. Au final, Sophie Bassignac raconte avec intelligence et une infinie légèreté la douleur ordinaire d’être au monde. Et ça fait un bien fou. Raison suffisante pour rencontrer l’auteure et en savoir un peu plus sur cette ancienne professeure d’anglais originaire d’Angers. Interview autour d’un thé brûlant sous l’£il bienveillant des étagères bondées de livres d’occasion de la librairie Merci, à Paris.

Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

Alors, déjà, comme vous le remarquez, j’y suis venue très tardà Au départ, je suis une lectrice assidue, depuis l’enfance. Au point d’avoir presque organisé ma vie autour de cela. Pendant vingt-cinq ans, j’ai écrit de loin en loin des petites nouvelles. De façon tout à fait dilettante. Mon idée était : il faut que tu écrives quelque chose que tu aurais envie de lire. Mais ce que j’écrivais ne correspondait absolument pas à ce principe. J’avais des problèmes de style, énormes. Et le style est essentiel pour moi. Si je m’y suis mise si tard, c’est aussi parce que je n’éprouvais aucun plaisir à écrire. A tel point que j’avais des réactions somatiques dès que je prenais la plume.

Qu’est-ce qui vous a décidée à franchir le pas, finalement ?

C’est un grand mystère. Que je n’ai pas encore résoluà Il m’est arrivé tout de même un drôle de truc. J’ai écrit Les Aquariums lumineux en deux mois. Puis je l’ai entièrement relu et, en deux jours, j’ai tout changé : le rythme, la musique, la ponctuation. Il y a eu comme un déblocage. Peut-être dû à la mort de mon père. Pour qu’il n’y ait plus de jugement ? Je n’en sais rien, c’est une question que je me pose. J’ai fait confiance à mon imagination et j’ai pris plaisir à inventer. Inventer des personnages, cohabiter avec eux jour et nuit pendant des semaines. En fait, me détacher de ma vie à moi. Ecrire pour être ailleurs.

Et non pour guérir de quoi que ce soità

Nonà Guérir quelque chose, c’est ce qui me faisait écrire avant. Donc, écrire mal. Je suis contre l’autofiction, complètement. Hemingway disait que pour écrire un roman il faut de l’expérience, de l’imagination et du travail. Et tout doit être à peu près dans les mêmes proportions. Quand l’expérience et la vie personnelle prennent trop de place, l’équilibre est rompu.

Dans votre premier roman, il y a cette phrase, définitive :  » J’ai lu pour excuser le monde d’être si banal « . Quelles sont les lectures qui vous ont nourrie ?

Sans hésitation : la littérature anglo-saxonne. Au départ, j’ai fait des études d’anglais. J’ai même enseigné quelques années. Par mes études et par goût, je suis arrivée à la littérature anglo-saxonne avec Virginia Woolf. J’en aime l’humour, un certain recul, une absence de morgue, la légèreté. Il y a aussi Tom Sharpe, que je vénère, et puis Fitzgerald, Faulkner. Ils savent raconter des histoires.

Vos deux romans ne sont à proprement parler ni des polars, ni des romans psychologiques, ni des chroniques de notre temps. Ils sont un peu tout cela à la foisà

Je ne me sens pas encore capable d’écrire un roman qui n’ait que des ressorts psychologiques. Je ne suis pas Henry James. Mais j’adore faire des portraits, explorer l’être. L’aspect policier apporte un côté ludique et un fil rouge. Un journaliste du Figaro a évoqué Simenon à propos de mon premier livre. Ce qui m’a fait extraordinairement plaisir parce que je suis une grande fan. Et ce que j’adore chez Simenon, justement, c’est que l’intrigue policière est à la basedu roman, mais ne fait pas tout. L’équilibre est parfait : on découvre la psychologie des personnages par ce qu’ils font. C’est-à-dire par leurs actes, plus que par un portrait psychologique approfondi. C’est très subtil.

Dans Les Aquariums lumi-neux, l’observation joue un rôle essentiel. Tout le monde est un peu voyeur dans cette cour d’immeuble. Par ailleurs, on sent dans votre façon très précise de dépeindre vos personnages, que vous avez vous-même beaucoup observé les autresà

J’adore ça. C’est inépuisable, les gens. Je suis par nature très observatrice. Levinas a beaucoup écrit sur le visage et sur le fait que lorsque l’on regarde un autre visage on découvre l’altérité mais on se reconnaît soi, aussi. Cette approche de l’empathie me parle beaucoup.

Autant Claire dans votre premier roman que Alice dans le deuxième sont des personnages délicieusement décalés. Un peu lunaires, limite autistesà

Personnellement, j’ai toujours ressenti un décalage. Ce sentiment de ne pas être comme tout le monde et de ne pas vivre dans un univers normal. Par ailleurs, la nature m’a donné un odorat surdéveloppé, une vue surdéveloppée, une oreille démente, ce qui fait que, comme Claire, je ne supporte pas bien le bruit. Bref, j’ai une perception aiguë du monde, sans protection. Elles sont un peu comme ça, Claire et Alice. Elles sont des romancières qui n’écrivent pas. Elles ont un rapport au monde complètement poreux.

Grâce à ce côté poreux, cette hypersensibilité, vous vous emparez pleinement du réel. Par la force de la métaphore, de la comparaison qui claqueà

J’adore les métaphoresà Je ne les cherche pas, elles viennent comme ça, comme un flash. Une sensation proche de celle que l’on peut avoir lorsqu’on lit un haïku, qui est selon moi une forme parfaite d’écriture. Beaucoup sont des métaphores, du reste. Ce sont des images qui reflètent des sensations, des sentiments, en trois mots à peine. En fait, j’ai vraiment besoin que le lecteur voie quelque chose. Personnellement, quand je lis, je ne supporte pas d’être face à un personnage qui gesticule sur un fond blanc. On n’est pas obligé de faire du Balzac sur 50 pages. Mais j’aime qu’on restitue un minimum le décor.

On a déjà évoqué votre sens de l’observation. Vos héroïnes sont toutes deux des esthètes. Et l’art tient une place importante dans vos récitsà Dans votre vie aussi ?

Oui. Au départ, il n’y avait que la littérature pour moi. Puis, quand je suis arrivée à Paris, j’ai découvert les musées, les expos. Ça m’a absolument fascinée. Du coup, mes héroïnes mettent au-dessus du quotidien ce goût pour l’art et l’abstraction. Certaines personnes m’ont reproché d’étaler ma culture. Je n’étale pas ma culture, je vis là-dedans. C’est important pour moi, je veux le dire dans mes livres : il y a des gens encore aujourd’hui qui vivent pour la culture. Elle est en danger. Je ne vais pas la cacher, je ne vais pas en faire quelque chose d’honteux.

On est un peu trop vite taxé de pédanterieà

C’est intolérable selon moi. On s’autocensure beaucoup trop. On a parfois peur d’envoyer le lecteur chercher un mot dans un dictionnaire. Ce n’est pas la fin du monde, quand même. Et puis ça peut créer des envies, de citer des références. Il y a des tas d’auteurs que je bénis parce qu’ils m’ont donné envie d’en lire d’autres. Parfois je me pose la question : si je n’avais pas lu, tout ce temps, je l’aurais passé à faire quoi ? Ça prend un temps fou d’écouter de la musique, de lire, d’aller voir des expos. Pour ma part, la culture a remplacé le voyage. Il y a toujours beaucoup de problèmes avec les voyages dans mes livres. Surtout dans le troisième qui se passe en partie aux USA, vous verrez. J’ai toujours eu peur de voyager et, c’est un peu bateau de dire ça, mais lire m’a fait voyager. Beaucoup.

Les Aquariums lumineux , Denoël, 228 p.

A la recherche d’Alice , Denoël, 196 p.

Propos recueillis pas Baudouin Galler

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