Les boutiques de mode sont-elles vouées à disparaître avec le boom du shopping en ligne ? Faux, si elles parviennent à tirer profit du digital. Exemples à suivre avec Kenzo, Burberry ou Karl Lagerfeld.

Cela pourrait se passer comme ça. En rentrant du boulot, Hélène flashe sur un sac en vitrine. Le prend en photo avec son smartphone. Et utilise une appli qui reconnaît l’accessoire, grâce à sa forme et sa couleur. Sur Internet, elle recherche davantage d’infos : son prix, ses caractéristiques, les stars qui l’ont déjà adopté… Elle demande l’avis de ses contacts, via les réseaux sociaux. Personnalise la couleur. Et finit par le commander online, avec livraison près de chez elle. Deux jours plus tard, quand elle franchit la porte de l’enseigne sélectionnée, Hélène est facilement reconnue par la vendeuse, grâce au principe de géolocalisation. Sur sa tablette, celle-ci a consulté la liste des derniers achats de la visiteuse, et peut donc lui proposer des articles complétant sa garde-robe. Qui seront ensuite pris en photo par la shoppeuse, et largement commentés sur Facebook, Instagram et compagnie.

Fiction ou réalité ? A en croire les experts du retail, ce scénario n’a rien d’utopique. D’après une étude publiée en juin dernier par Comeos, faire ses courses sur la Toile est progressivement en train de devenir une habitude, même dans notre pays jusqu’ici plutôt à la traîne dans ce secteur.  » 60 % des Belges ont acheté en ligne au cours des douze derniers mois, ce qui représente une hausse de 3 %, soit 330 000 clients, calcule Dominique Michel, administrateur-délégué de la Fédération belge du commerce et des services. A l’heure actuelle, les achats sur Internet représentent environ 5 % du chiffre d’affaires total du commerce, soit 4,89 milliards d’euros. Un pourcentage qui devrait pratiquement doubler, d’ici à 2018.  »

Ce shopping online ne s’effectue plus seulement derrière un ordinateur, mais de plus en plus aussi via un smartphone. Plus d’un milliard de ces appareils ont été vendus dans le monde en 2013, c’est dire leur impact. Le m-commerce (m, pour mobile) permet dès lors d’assouvir son envie d’emplettes, partout, tout le temps, juste en faisant glisser son index sur l’écran de son téléphone.

Conséquence de cet avènement du digital à portée de main, la concurrence est devenue aussi étendue que l’est la webosphère. Elle s’incruste même à l’intérieur des magasins, via le phénomène du showrooming, qui consiste à se renseigner sur un achat potentiel dans un commerce physique, avant de se le procurer en ligne, à moindre prix. Aux Etats-Unis, 60 % des possesseurs de smartphone font ainsi des recherches Internet sur un produit pendant qu’ils se trouvent sur son lieu de vente, d’après L’Echangeur, le Centre d’innovation technologique et marketing du groupe LaSer. Leur motivation première ? Le prix, pour près de trois personnes sur quatre. Une différence de 2,5 % à peine suffit déjà à transférer l’acheteur chez le concurrent…

Volatile par excellence, le consommateur connecté jongle entre tous les moyens mis à sa disposition. Il flashe sur une paire de baskets publiée sur Instagram, analyse sur le Net les spécificités de son futur appareil photo, consulte les forums sur sa prochaine destination de vacances, sollicite ses amis, se rend en boutique pour essayer en vrai un manteau et avoir l’avis du vendeur…  » Le client est plus exigeant, plus pressé et moins fidèle à une marque, détaille Laetitia Faure, fondatrice du bureau de tendances parisien Urban Sublime. Il n’hésite pas à comparer, à faire jouer la concurrence. Il souhaite également un service personnalisé et une relation privilégiée avec sa marque.  »

JONGLER ENTRE RÉEL ET VIRTUEL

Indéniablement, cette nouvelle façon de consommer oblige les marques à se réinventer.  » Le seul remède face à cette nouvelle problématique est d’intégrer l’online à sa stratégie de vente « , considère Pierre-Alexandre Billiet, professeur en retail management à la Solvay Business School. En clair, il convient de se la jouer  » omnichannel  » : servir les gens de manière cohérente, et ce quel que soit le canal d’achat et de relation, qu’il s’agisse d’une boutique  » en dur  » ou d’une présence en ligne. Le shopper du XXIe siècle peut tout aussi bien initialiser ses achats sur Internet et les finaliser en magasin, ou inversement. Pour lui, l’intérêt est d’abord de s’offrir un article particulier.  » Son comportement d’achat est influencé par de nombreux facteurs, poursuit le professeur. Il dépend du type de produit, du moment de la journée où est effectuée l’acquisition, par qui, comment…  »

Plus besoin, dès lors, de renvoyer dos-à-dos ces deux mondes que sont l’online et l’offline.  » L’enjeu est plutôt de réfléchir à une dynamique, de penser l’interaction entre les différents canaux, pour que l’un puisse facilement faire appel à l’autre, et vice versa « , explique Pierre-Alexandre Billiet. En résumé, évoluer vers un modèle économique hybride, qui combinerait les atouts d’Internet et du magasin  » physique « . Question avantages, le Web permet de répondre aux nouvelles attentes de ce client désormais méga-informé : choix élargi, visibilité des stocks, comparaison, rapidité d’achat, mobilité… A noter que le digital est également une mine d’or pour les marques, dans la mesure où elles peuvent savoir en temps réel qui est allé sur leur site, si cette personne a cliqué sur tel ou tel accessoire, combien de temps elle est restée sur la page… Une collecte de datas très précieuse, qui permet une meilleure connaissance des besoins de son public.

Les magasins traditionnels ne sont pas pour autant en reste, s’ils réfléchissent à leur valeur ajoutée. Ils doivent donc se recentrer sur leurs fondamentaux, que sont l’expérience, le service, la qualité des experts, la convivialité, l’interaction, la possibilité de voir et d’essayer un article, sans oublier le plaisir de repartir avec son paquet. Fortes de ces constats, de plus en plus de marques explorent actuellement de nouvelles façons de vendre, basées sur des concepts innovants et des dispositifs crosscanal. Elles tentent d’apporter un peu d’émotion dans leur présence sur Internet, que ce soit via des vidéos, un guide d’achat ou un service interactif et personnalisé. Parallèlement, les nouvelles technologies sont davantage intégrées dans les commerces classiques (lire ci-contre).

Mais si l’utilisation massive du digital dans les points de vente a d’abord été un simple effet de mode, histoire de prouver que les marques intégraient bien l’air du temps, il s’agit désormais de donner vraiment du sens à ces initiatives.  » La vraie question à se poser est la suivante : est-ce que le pari de l’expérience utilisateur est réussi, optimisé grâce à l’apport du digital ? « , s’interroge Laetitia Faure. Sans cela, les chances seront minces de voir le client sortir davantage sa carte de banque…

PAR CATHERINE PLEECK

 » 60 % des Belges ont acheté en ligne au cours des douze derniers mois.  »

 » Le client est plus exigeant, plus pressé et moins fidèle à une marque.  »

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