Le talent de Andoni Luiz Aduriz, 31 ans, frise l’insolence. Consacré chef de l’année dans son pays, celui qui incarne la nouvelle vague de la gastronomie espagnole affiche une cuisine sans concessions, basée sur une connaissance unique du produit, pour le respecter au mieux.

En janvier de cette année, un jeune chef subjugue les 500 cuisiniers et professionnels rassemblés pour une des manifestations gastronomiques les plus exceptionnelles organisées à ce jour : Madrid Fusion. Son intervention ( lire aussi l’encadré en page 44), doublée d’une démonstration culinaire, porte sur une cuisson du foie gras et du bouillon qui l’accompagne, réalisé à partir d’une infusion de reine des prés. L’exposé est réglé comme une horloge suisse, précis, truffé de références scientifiques à des travaux réalisés en collaboration avec la faculté de médecine de Grenade. Ceux qui connaissent déjà Andoni Luiz Aduriz ne paraissent guère étonnés de la performance de ce cuisinier au physique d’adolescent. Ils savent que son parcours est étonnant et passe par les plus grands noms de la cuisine espagnole.

Né voici trente et un ans à San Sebastian, Andoni est depuis cinq ans déjà le chef de Mugaritz, un restaurant qu’il ouvre à l’âge de 25 ans, dans les collines de Renteria (Gipuzkoa).  » Contrairement à d’autres, je n’ai pas eu la vocation pour ce métier, confesse-t-il. Les études, cela n’allait pas trop… Alors cuisinier ou garagiste…  » Entré à l’école supérieure de cuisine de San Sebastian, il se rend au congrès de cuisine de Vitoria, une des autres grandes villes de sa région.  » Les organisateurs de cet événement ont été les précurseurs d’autres congrès de haute cuisine qui se déroulent aujourd’hui, comme ceux de San Sebastian, de Vic en Catalogne ou de Madrid. Ils invitaient déjà tout ce que la planète compte comme grands chefs. Dès ma première participation, j’ai eu un flash. Je savais que je voulais travailler dans cette mouvance, être partie prenante de cette force créative qui émergeait dans ma région.  »

Déterminé, Andoni contacte les chefs espagnols qui acceptent de l’accueillir pour des stages, puis pour un engagement de plus longue durée.  » Mon premier stage, je l’ai fait dans une pizzeria, précise-t-il. Le chef était très compétent ! Cette expérience m’a poussé à aller vers Arzak (lire aussi pages 36 à 40), déjà triplement étoilé, et d’autres restaurants connus dans mon pays, tous étoilés Michelin.  » En 1993, à l’âge de 22 ans, Adoni arrive au Bulli pour y rester deux années entières aux côtés de Ferran Adria (lire aussi pages 12 à 18). Lorsqu’il quitte Rosas, Andoni rejoint alors une autre grande figure de la cuisine espagnole : Martin Berasategui. Installé à Lasarte, dans les faubourgs agraires de San Sebastian, bourreau du travail, ce chef triplement étoilé (depuis 2001) associe le terroir, la créativité et une maîtrise de la technique culinaire au service de ses plats. Il est aussi un entrepreneur avisé. Aussi, lorsque après une année de collaboration, Andoni souhaite voler de ses propres ailes, Berasategui lui offre un nid.  » Nous avons trouvé cette ancienne cidrerie au milieu de nulle part, confie Andoni. Elle porte le nom du lieu-dit. En basque, Mugaritz signifie le chêne de la frontière entre deux villages. Je n’avais pas un sou, j’étais un inconnu. Grâce à sa réputation, Berasategui a donc permis que naisse Mugaritz. Aujourd’hui encore, il est un des quatre actionnaires du restaurant, à parts égales avec moi.  »

Plantes, foie gras, morue salée (le bacalao espagnol) ou cuisson de l’£uf… Pour plus de maîtrise, Andoni procède toujours avec science et patience.  » Pendant deux ans, explique-t-il, je me suis attelé à la cuisson des £ufs, pour en arriver à servir aujourd’hui, un £uf cuit durant 1 h à 1 h 20 aux environs de 63 °C. Si l’on ferme les yeux, on a le sentiment de déguster deux sauces de textures différentes. Pour étonner le convive, vous avez la possibilité de lui offrir une chose inconnue, prenons une pomme de terre orange. Mais que reste-t-il une fois la surprise passée ? En revanche, j’ai la conviction que proposer un produit quotidien d’une manière totalement novatrice, cela marque davantage, et pour plus longtemps.  »

Pour la cuisson des £ufs, Andoni a, notamment, fait appel aux connaissances des chercheurs de l’université de Grenade. Dans la cuisine du Mugaritz, chaque plat est le fruit d’une réflexion sur l’essence même du produit. L’artichaut û cuit sous vide avec de l’eau, de la farine et de l’huile d’olive û offre ainsi sa saveur incomparable, complétée par une mousse de moelle et de truffe d’été. Le sous-vide est aussi utilisé pour les joues de b£uf, cuites au bain-marie à 70 °C durant… 35 heures. La viande a alors un goût précis, pur ; le complément de saveurs venant d’un jus d’oignons et de poivrons grillés.

L’utilisation du jus û souvent appelé caldo ( bouillon) û que l’on verse dans l’assiette, en salle, est une des signatures du Mugaritz et de la nouvelle cuisine espagnole. Dans une autre de ses spécialités du moment, le jeune chef prépare un bouillon à partir de Konbu, une algue japonaise à la texture épaisse.  » Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir exprimer des sensations dans un plat, souligne Andoni. Retrouver avec l’algue l’odeur de la mer qui vient battre les rochers, par exemple.  »

Poursuivant sur sa lancée, Andoni commente sa démarche, insolente de vérité et d’exigence.  » Je n’ai pas l’intention de faire des concessions, clame-t-il. Tout d’abord, je ne cherche pas à séduire par les quantités. Pour le faire comprendre, je parle souvent de demi-rations. Pourquoi ? Pour attirer l’attention sur le fait que les plats n’ont pas besoin de la quantité pour être appréciés. Prenez le foie de lotte, on ne peut pas en manger plus de 30 g à la fois. C’est donc ce que la ration comprend. Et je n’ajoute pas de garnitures. Je pars du principe que les gens qui rallient le Mugaritz savent à quoi ils s’attendent. Le fait d’être installés au milieu de nulle part n’est d’ailleurs pas un hasard. J’ai pris le risque de rater des clients. Au début, c’était même fréquent puisque les gens se perdaient en route…

Je me refuse à faire ce qui est de bon ton : avoir une carte composée à 80 % pour les attentes du client et à 20 % des aspirations créatives du cuisinier. La carte du Mugaritz est à 100 % une carte d’auteur. Elle est ma vision, basée sur la valeur affective que j’entends donner aux choses.  » n

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