Au fil d’une superbe exposition, la Fondation pour l’architecture, à Bruxelles, rend hommage à la créativité de Andrea Branzi, l’un des maîtres du design contemporain. Rencontre avec un artiste-pédagogue qui allie nature et technologie.

Même s’il n’est pas aussi médiatique que le Français Philippe Starck, cet Italien né à Florence en 1939 est sans aucun doute l’un des plus créatifs de notre époque. En effet, dès le début de sa carrière et à peine après avoir décroché un diplôme d’architecture, Andrea Branzi s’engage dans la voie des avant-gardes. Avec d’autres jeunes designers, il fonde, en 1966, le groupe  » Archizoom Associati  » qui s’opposa avec virulence au design industriel. Il conçoit, par exemple, des  » lits de rêve  » qui caricaturent la culture pop. Après la dissolution du groupe, en 1974, il travaille pour les plus grandes firmes de design : Cassina, Alchemia, Memphis ou encore Zanotta. Théoricien, il collabore à de nombreuses publications, dont  » Modo « , périodique de référence dans le domaine. Excellent pédagogue, il devient le cofondateur, en 1983, de la Domus Academy, la première école de design postuniversitaire et professe toujours à la Politecnico de Milan. En 1987, il reçoit le  » Compasso d’Ore speciale « , prix prestigieux qui couronne une somme de travail riche et en constante évolution, ce dont témoignent magnifiquement les créations réunies aujourd’hui dans une superbe exposition à la Fondation pour l’architecture, à Bruxelles.

Mais l’homme de haute stature, qui s’assied spontanément sur l’une des estrades où sont présentées ses oeuvres, en impose d’abord par un sourire dessiné tout en gentillesse, modelé par une affabilité attentive.

Weekend Le Vif/L’Express: Quelles sont les tendances actuelles du design qui vous passionnent ?

Andrea Branzi: Je constate avec intérêt combien le design est devenu aujourd’hui une forme de culture de masse. Chacun s’improvise designer par le choix qu’il effectue sur des objets, sur des vêtements. Le design n’est plus, comme auparavant, le résultat d’un club privé de créateurs sophistiqués qui se consacrent à l’élaboration d’objets-sculptures. La question des  » tendances  » ne m’intéresse pas. Je n’ai que faire des catégories comme le  » high-tech « , le  » minimalisme  » ou d’autres formules du même type. Le design m’intéresse d’une manière beaucoup plus simple et directe : je suis passionné par les objets qui nous entourent et qui conditionnent le développement de la ville. Je considère que les petits objets, ou plutôt les microsystèmes, sont les protagonistes réels du développement de notre environnement et ce, bien plus que l’architecture. Notre civilisation a besoin d’un changement permanent des espaces, des fonctions et des systèmes de production. Nos villes sont ponctuées de bâtiments industriels abandonnés, qui sont les reliquats du passé. Ainsi, des bureaux délaissés sont transformés en universités ou en logements. Le moyen de contrôler cette transformation ne peut se faire qu’au travers des objets, ce qui place le design au centre des grandes questions de la transformation du territoire.

Qui sont vos maîtres en design?

J’ai toujours beaucoup aimé Le Corbusier et certains de mes collègues comme Charles Eames. Mais je suis définitivement réceptif à toute formule nouvelle de création, qu’elle émane de mes amis ou d’une personne inconnue. Par contre, je déteste toute proposition de design qui refuse le concept de transformation et veut créer pour l’éternité ! Cet aspect-là me rebute car c’est un déni formel à la contemporanéité.

Vos créations sont de véritables objets sculpturaux. L’esthétique y prime-t-elle plus que l’aspect pratique ?

Certainement pas ! Chacun de mes objets est avant tout fonctionnel. Mais, de toute façon, ces catégories qui accordent la beauté avec la sculpture et le design avec le fonctionnel sont tout à fait obsolètes ! Les plus grandes entreprises qui produisent des objets de masse ont un souci d’esthétique ! Ainsi , un fabricant de voitures qui lance des modèles n’étant pas  » aimables « , ou esthétiquement incorrects, fera sans aucun doute faillite.

La nature est très présente dans vos objets. Ainsi, vous introduisez une branche d’arbre dans certaines de vos lampes, de vos tables…

La nature m’apparaît comme la forme de technologie la plus avancée, la plus sophistiquée aussi. Elle réalise en effet une production en série et en même temps diversifiée : ainsi, la nature fait naître des milliards de pommes, mais qui sont toutes différentes les unes des autres ! La nature n’est pas une entité sauvage qui se situerait en dehors de la technologie actuelle. Au contraire, son degré de complexité est extrêmement élevé en raison de son utilisation combinée de la génétique, de la chimie et de sa faible alimentation en énergie. Donc, en plaçant un tronc d’arbre sous un produit industriel comme une plaque de verre, j’opère un  » mixage  » normal de technologies.

Privilégiez-vous certaines matières ?

J’opte prioritairement pour les matières qui recourent à une énergie de transformation faible, comme par exemple les ordinateurs, ou les énergies naturelles telles la génétique ou l’électronique. La mécanique, par contre, implique une énergie forte. Cette  » faiblesse  » n’est absolument pas synonyme de  » pauvreté  » ou de  » manque  » puisqu’elle génère au contraire des performances avancées sans produire de stress. Le matériau n’est pas un problème en soi et je ne privilégie aucune matière ancienne ou moderne.

Peut-on améliorer le monde grâce au design ?

Je vous répondrai ce que j’ai déjà confié à François Burkhardt (2): à partir du moment où le design fait partie du monde, oui, certainement on peut l’améliorer : aussi bien le monde que le design d’ailleurs. Et à tout prendre, il est plus facile d’améliorer le monde que le design. Je veux dire par là que si je regarde le monde aujourd’hui, il me semble qu’il y a en lui plus de richesses, plus de liberté et plus de justice qu’autrefois. Mais si je regarde un vase antique, je ne saurais dire si les vases modernes sont meilleurs.

(1) Exposition  » Objets et territoires, Andrea Branzi  » , CIVA, 55, rue de l’Ermitage, à 1050 Bruxelles. Ouvert jusqu’au 19 février tous les jours, sauf le lundi, de 10 h 30 à 18 h 30. Tél.: 02-644 91 52.

Les oeuvres créées par Andrea Branzi sont disponibles à l’Argentaurum Gallery, 826, Zeedijk, à Knokke.

(2) François Burkhardt, C. Morozzi,  » Andrea Branzi « , Ed. Dis voir, page 84.

Propos recueillis par Anne Hustache

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