Directeur artistique de la marque emanuel ungaro depuis presque trois ans, l’italien giambattista valli a déjà gagné l’audacieux pari de la relève. portrait d’un créateur brillant qui fait joliment rimer légèreté, sensualité et féminité.

Carnet d’adresses en page 179.

La succession est un art difficile. Surtout dans le monde de la mode où il convient de respecter à la fois l’esprit du maître fondateur et le prestige d’une maison réputée. Parfois, la sauce prend royalement : Karl Lagerfeld chez Chanel, John Galliano chez Dior, Tom Ford chez Gucci, Nicolas Ghesquière chez Balenciaga ou encore Alber Elbaz chez Lanvin sont autant d’exemples retentissants d’une relève réussie. Mais il arrive aussi que le passage de témoin se fasse avec heurts et fracas. Ainsi, Alexander McQueen chez Givenchy, Jean-Paul Knott chez Louis Féraud ou encore Ritu Beri chez Jean-Louis Scherrer n’ont apparemment pas rencontré les désirs stylistiques de leur employeur respectif. Verdict : divorce immédiat. Il est vrai que l’art difficile de la succession exige un sens aigu du mimétisme et un goût certain de la diplomatie, ce qui n’empêche nullement l’expression d’un talent propre.

Indispensables, ces trois atouts-là sont manifestement dans le jeu de Giambattista Valli, directeur artistique de la prestigieuse maison Emanuel Ungaro. Depuis le début de l’année 2001, le créateur italien veille au style de la marque légendaire avec un succès visiblement croissant. Ses silhouettes douces et raffinées, sensuelles et terriblement féminines, ont rapidement attiré l’attention des acheteurs et des rédactrices de mode, à tel point que l’habile Giambattista est considéré aujourd’hui comme l’un des designers les plus doués de sa génération. Son empreinte, délicate et légère, a replacé la maison Ungaro sur le devant des podiums, alors que la marque était, à l’aube du XXIe siècle, quelque peu boudée par les fashionistas. En trois années de direction artis-tique rondement menée, ce Romain trentenaire a donc relevé le défi imposé, jouant audacieusement avec la mousseline qui fit les belles heures de la maison Ungaro, tout en gardant sa vision résolument personnelle de la femme idéale.

Réussir pareille entreprise n’est évidemment pas aisé. Surtout lorsque le fondateur de la marque est toujours en vie. Flash-back : en 1965 (soit un an avant la naissance de Giambattista Valli !), Emanuel Ungaro fonde sa propre maison de couture à Paris. Ce fils de tailleur italien a le vêtement dans le sang. A 6 ans, il maniait déjà l’aiguille. Et adolescent, il travaillait à temps plein pour la petite entreprise familiale installée à Aix-en-Provence. Ses rêves le mèneront ensuite à Paris où il travaillera comme assistant pour Balenciaga à la fin des années 1950, puis pour Courrèges en 1963, avant de s’installer à son propre compte deux ans plus tard.

Caractérisé par un style coloré qui mélange allègrement les imprimés et bouscule les conventions graphiques, Emanuel Ungaro s’impose d’emblée dans le monde de la mode parisienne. Sa vision personnelle d’une femme libérée séduit même les Etats-Unis qui voient fleurir, dans les années 1970, de nombreux points de vente de la marque. Les stars, elles aussi, sont rapidement conquises par cet homme qui les sublime avec couleurs et sensualité, de Anouk Aimée à Sharon Stone, en passant par Sophie Marceau, Withney Houston ou encore Liz Hurley. Petit à petit, Emanuel Ungaro consolide sa présence sur le marché avec, entre autres, la création d’une ligne Homme en 1973, le lancement du parfum Diva en 1983 et aussi le développement d’une ligne d’accessoires dans les années 1990. La marque devient incontournable et se fond désormais dans l’establishment de la mode internationale. Mais, au fil des ans, l’idée de la relève stylistique se fait de plus en plus pressante. Jusqu’à ce jour de 1997 où la route de Emanuel Ungaro croise le chemin de Giambattista Valli.

A cette époque, le jeune Romain âgé de 31 ans à peine a déjà un joli curriculum vitae en poche. Il a fourbi ses armes dans plusieurs écoles de mode dont le fameux Central Saint Martins College of Art & Design de Londres et nourrit, à l’égard du vêtement, la même passion que son maître Ungaro.  » J’ai toujours aimé la mode, reconnaît Giambattista Valli. Aussi loin que je puisse me souvenir, elle a toujours dirigé ma vie. A vrai dire, je pense que cette passion est innée.  » Les études terminées, le jeune diplômé fait ses premiers pas professionnels chez Roberto Capucci en 1988, avant de rejoindre, deux ans plus tard, l’honorable maison Fendi où il devient senior designer pour la ligne jeune Fendissime. Lentement mais sûrement, le créateur peaufine son style et rejoint finalement la marque italienne Krizia en 1995 pour y dessiner le prêt-à-porter féminin. Une paire d’années plus tard, c’est le choc : Gianbattista Valli débarque chez Emanuel Ungaro et est nommé directeur du bureau de la création Couture et Prêt-à-Porter.

Entre les deux hommes, le courant passe rapidement. Le jeune élève écoute et apprend, en apportant toutefois ses propres idées novatrices qui impressionnent le propriétaire des lieux. En coulisses, on chuchote que la symbiose est parfaite ; la confiance, mutuelle et sincère. La rumeur est bel et bien fondée : en 2001, le successeur pressenti est nommé directeur artistique de la marque à la place du maître.  » Depuis 1997, j’ai appris énormément de choses, précise Giambattista Valli, et je peux dire aujourd’hui que Emanuel Ungaro fait vraiment partie de mon ADN. D’ailleurs, ma priorité en tant que directeur artistique est de traduire le style Ungaro à travers le regard de ma génération pour lui donner une dimension contemporaine. C’est précisément cette contemporanéité, mon expérience de vie et le monde autour de moi qui sont mes principales sources d’inspiration.  »

Respectant l’esprit de la maison Ungaro tout en y injectant sa propre dose de personnalité créative, Giambattista Valli a réussi, en trois ans à peine, à s’approprier virtuellement la griffe sans le moindre putsch dévastateur. Ses dernières collections l’ont d’ailleurs consacré dans la profession comme, par exemple, ses silhouettes de l’hiver 03-04 qui dégagent une fraîcheur, une douceur, une légèreté et une sensualité plutôt rares sur les podiums actuels. S’agirait-il là d’une vision intelligemment angélique de la femme moderne ? La réponse du créateur semble aller dans ce sens :  » Avec cette collection, je voulais traduire, comme un souvenir, des sentiments d’amour et de charme, avoue Giambatista Valli. Je voulais capturer l’humanité à travers l’idée de douceur.  »

Admirateur de Francis Bacon  » pour son émotion violente « , de Elsa Schiaparelli  » pour son non-conventionnalisme  » et de Emanuel Ungaro pour  » sa générosité de création et de vie, son amitié et sa confiance « , Giambattista Valli avoue aussi être obsédé par l’Inde et le Japon, des artistes tels que Andy Warhol et Louise Bourgeois, des chanteurs comme Kurt Cobain et Jane Birkin, et des cinéastes tels que Peter Greenaway et Federico Fellini. A ce propos, lorsqu’on lui demande s’il se sent concerné par la phrase fellinienne  » Tout art est autobiographique « , il répond du tac au tac :  » Certainement. Ma vie est une valise d’émotions et d’expériences que je transporte volontiers dans mes créations. Mais, dans mon quotidien, ce sont les rêves qui me portent.  »

Héritier du savoir-faire de la maison Ungaro, Giambattista Valli poursuit sereinement sa mission de rajeunissement de la marque, sous l’£il bienveillant du maître complice. La machine est parfaitement rodée. L’esprit de la maison, sauf. La clientèle, satisfaite. L’art difficile de la succession, parfaitement honoré.

Frédéric Brébant

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