Après la mode…

Jonathan Saunders © DAVID CHOW

Le monde des vêtements flirte déjà depuis des années avec celui des objets. Plusieurs griffes ont même franchi le pas pour lancer une ligne déco, voire ouvrir des boutiques spécialisées en aménagement d’intérieur. Au point que certains créateurs finissent par renoncer à leurs patrons et aiguilles pour se mettre au design. C’est le cas de ces quatre-ci.

Jonathan Saunders

Après quinze ans comme styliste pour Diane von Furstenberg, entre autres, l’Ecossais de 42 ans en revient à ses premières amours en lançant une collection de mobilier et de textile.

Dans la mode, Jonathan Saunders est loin d’être un inconnu. En 2003, une fois son diplôme de styliste du Central Saint Martins College de Londres en poche, il travaille comme print designer pour Alexander McQueen, puis en tant que consultant pour Christian Lacroix chez Pucci, avant de créer sa propre marque, qu’il clôture en 2015. Un an plus tard, il est nommé directeur artistique chez Diane von Furstenberg, poste qu’il occupera deux ans.

Pourtant, sa première passion n’est pas la mode, mais le design. A 16 ans, Jonathan quitte l’école pour suivre une formation en menuiserie. L’année d’après, il reçoit une bourse d’étude à la Glasgow School of Art, où il commence à étudier. L’architecture des bâtiments de l’école, une création de Charles Rennie Mackintosh datant des années 1890, nourrit sa fascination pour le contraste des matériaux et des motifs.  » Je montais l’escalier vers mon interview et j’ai remarqué que Mackintosh avait opté pour une incrustation en béton très graphique. Je me souviens m’être dit que c’était incroyablement moderne « , a-t-il raconté au New York Times.

Jonathan Saunders
Jonathan Saunders© DAVID CHOW

Une passion qui, aujourd’hui, refait surface : il y a un mois, le créateur a dévoilé sa première collection de mobilier, comprenant quinze pièces et restant fidèle à son style coloré et géométrique. Des meubles en acier, bois verni et résine qui affichent un côté plus abstrait que ses gammes de vêtements. Leur caractère minimaliste fait penser aux oeuvres de l’artiste postmoderniste italien Ettore Sottsass. Jonathan Saunders cite d’ailleurs le Bauhaus comme source d’inspiration principale. Dans Wallpaper, il confie que se lancer dans le secteur du design était un défi :  » En tant que styliste, j’étais habitué à travailler très vite. Il règne toujours un besoin et un désir de changement. Le mobilier, par contre, est pensé pour durer, parfois toute une vie. Il faut tenir compte de l’ergonomie et des aspects pratiques d’un objet censé résister à l’épreuve du temps. J’ai dû réapprendre à réfléchir longtemps à une idée.  »

Violetta Pepa
Violetta Pepa© SDP

En parallèle, l’homme s’aventure également dans le domaine du textile. Pour cela, il utilise une technique consistant à mélanger les encres. Ses tissus ne sont pas uniquement destinés à agrémenter sa collection de meubles, ils sont également mis en vente pour d’autres designers. Jonathan Saunders n’exclut pas non plus l’idée de concevoir une veste ou une robe de temps en temps.  » J’essaye de me consacrer à ce que j’aime, et d’en profiter pleinement « , conclut-il.

jonathan-saunders.com

Violetta Pepa

Il y a vingt ans, Violetta Pepa et sa soeur Vera avaient leur propre marque et une boutique sur la Nationalestraat à Anvers. Après avoir dû mettre la clé sous le paillasson, Violetta est devenue architecte d’intérieur.

Avec un père albanais et une mère serbe, Violetta Pepa a grandi dans la Serbie de Tito, entre les tailleurs et les teinturiers.  » Tout était encore artisanal, explique-t-elle. Petites, nous jouions déjà avec des tissus et de la laine.  » La famille Pepa déménage à Anvers alors que les filles sont encore enfants.  » Mais nous revenions en Serbie tous les étés. Nous fabriquions des vêtements pour nous et nos amies.  » En 2001, les soeurs lancent leur propre marque, avec une boutique sur la Nationalestraat, dans la métropole flamande. Six ans plus tard, ce rêve prend fin.

Pourquoi avez-vous fermé boutique ?

Financièrement, c’était devenu compliqué. Nous étions une petite marque, nous débutions, et nous ne pouvions donc pas faire pression sur la production. Nous passions toujours en dernier. Nous n’arrivions donc pas à respecter nos délais ou à acheter des tissus à des prix intéressants. Surtout pour la qualité que nous visions. J’étais aussi en plein divorce et m’occuper de la marque et de mes deux enfants n’était plus envisageable.

Etait-ce une décision difficile ?

Absolument. Même si j’aime beaucoup ce que je fais aujourd’hui, je ne ressens pas la même fougue pour la décoration d’intérieur que pour la mode. Mais ce n’est pas obligatoire. En vieillissant, nous n’avons plus le même regard sur les choses. Je trouve mon bonheur autre part aujourd’hui.

Pourquoi avoir choisi la décoration d’intérieur ?

La transition a été assez rapide. Mon ex-mari est architecte spécialisé dans l’horeca, il travaillait avec mon neveu. J’ai donc pu voir de près comment de tels projets se mettent en place. Et en fin de compte, le travail ne change pas beaucoup : que vous imaginiez une collection de vêtements ou que vous rénoviez un bâtiment, il faut faire preuve de créativité, la transposer dans la réalité puis vendre le produit fini. Avoir de bons goûts en matière de couleurs, de formes et de matériaux était déjà un prérequis quand j’étais styliste. Pour ce qui est des détails techniques, je me suis formée en cours du soir.

Quelles sont les grandes différences entre la mode et la décoration ?

Le monde de la mode est beaucoup plus stressant. Un projet n’est même pas encore froid qu’il faut déjà en imaginer un autre, et la collection que vous venez de terminer est déjà démodée. C’était un aspect difficile pour moi, car nous créions des pièces qui pouvaient être portées plus d’une saison. Ce problème ne se pose pas avec la déco.

En 2016, vous avez fondé Tate Urban Living avec Mieke Morel et Anja Schellekens. De quoi s’agit-il ?

Nous achetons des maisons délabrées à Anvers et dans les communes voisines, nous les rénovons et nous les revendons. Nous aimons les habitations de caractère. Nous essayons le plus possible de conserver les éléments d’origine tout en modernisant les lieux en fonction des normes actuelles. Notre style est moderne, sobre, mais pas trop non plus. Un intérieur doit être chaleureux. Et fonctionnel.

tateurbanliving.com

Kenzo Takada

Pas de retraite en vue pour l’ancien créateur de mode. A 81 ans, il vient de lancer K?, une marque de mobilier et d’accessoires pour la maison inspirée par l’art de vivre japonais.

Il fait partie de ces créateurs de mode qui regardent d’autres que lui signer – depuis vingt ans déjà – des collections pour la marque qui porte son nom. Après avoir vendu Kenzo au groupe LVMH, il aurait pu profiter d’une retraite bien méritée, faire le tour du monde, à la base, c’était ça le projet. Mais très vite, Kenzo Takada s’est remis au travail, multipliant les collaborations, certaines déjà dans l’univers de la déco.  » Je me suis rendu compte que c’était indispensable pour moi, détaille-t-il. Cela me permet d’être constamment dans la réflexion, dans l’anticipation. Il y a trois ans, mon studio a créé une collection pour Roche Bobois. Cet exercice m’a beaucoup plu et a mené au lancement de la marque K? (NDLR: se prononce « K-3″) début 2020.  » A ce jour, pas moins de 300 références comprenant aussi bien des pièces de mobilier que des tapis, du linge de maison et des accessoires de décoration sont déjà au catalogue.  » Pour moi, la mode et le design ont toujours été liés mais aujourd’hui plus encore, souligne Kenzo Takada. Les stylistes participent à des événements design et s’en inspirent dans leurs collections. A l’inverse, les designers aussi assistent aux défilés. Ce sont deux univers résolument complémentaires.  » Dans les trois lignes existantes à ce jour, l’influence du Japon où le créateur se rend sept à huit fois par an est indéniable.  » Ces séjours me permettent de découvrir de nouveaux artisans, des savoir-faire ancestraux incroyables « , pointe-t-il encore. Ainsi, l’une des pièces les plus fortes dévoilée en janvier – une table basse dotée d’un trou en son centre et d’un pied pouvant être rempli d’eau – rend un hommage moderne à l’art de l’ikebana. Partout, on retrouve aussi le goût de Kenzo Takada pour les couleurs vives et les motifs exubérants qui ont fait sa réputation.  » Avec K?, je souhaitais apporter un peu plus de peps et de joie de vivre dans les intérieurs des gens, à l’image de ce que j’ai pu faire dans la mode, ajoute-t-il encore. Créer des pièces intemporelles, fonctionnelles avec lesquelles je pourrais vivre.  »

Violetta Pepa
Violetta Pepa© SDP

k-3.com

Erika Schillebeeckx et Justine de Moriamé pour KRJST studio

Elles ont présenté leur première collection de mode en duo sous le nom de KRJST à la Fashion Week de Paris en 2013. Aujourd’hui, elles ont délaissé le vêtement pour la tapisserie, le mobilier, l’aménagement d’intérieur. Elles signent toujours en tandem mais sous KRJST studio.

Comment s’est fait le passage de l’un à l’autre ?

Avant d’étudier à La Cambre mode(s) en 2006, nous avions chacune, de notre côté, fait des humanités artistiques. Nous avons donc toujours envisagé la mode sous un angle artistique très large. Mais ce que nous y aimions s’est retourné contre nous. Cela nous rassurait d’être dans un rapport de création ultraconcret, de savoir que ce serait porté par des personnes. Et on avait aussi un peu peur de la solitude et de la lenteur du monde de l’art. Or, c’est justement la rapidité, la nécessité de création et de production effrénée qui nous ont donné envie de retourner vers quelque chose d’artistique. En 2015, on est passée de KRJST à KRJST studio, quand Eastpak, Huawei et McAlson nous ont contactées plus ou moins en même temps pour travailler leur image – il n’y avait pas de vêtements dans l’équation. Et cela nous a vraiment plu. Puis Farid Issa, d’Atelier Relief, nous a proposé d’exposer nos photos, nos dessins, tout ce qui était nécessaire en amont à la création, nos chutes de tissage et notre première tapisserie murale, c’était en avril 2016. Cela a été le point de bascule. On n’était soudain plus bloquées dans le vêtement ni même dans le mural, il n’y avait plus de contraintes.

Kenzo Takada
Kenzo Takada© MASARU MIZUSHIMA

Vous sous-titrez votre travail  » Art-Weavings-Dreamscapes « , pourquoi ?

Nous sommes ouvertes à tout. Nous disons que nous faisons de la tapisserie murale, mais c’est extraflexible – on répond souvent oui aux propositions sans savoir où cela va nous mener… A la Collectible Art Fair, à Bruxelles, nous avons présenté notre premier objet en 3D, plus usuel, une Parachute chair. Nous y avons aussi montré notre lampe-tapis volant, en collaboration avec Lionel Jadot et Zaventem Ateliers. Dès qu’on s’est installées là, en août 2019, il nous a proposé l’idée de créer cet objet à partir de nos chutes de tissage. Par ailleurs, nous sommes également en train d’aménager le Silversquare de l’avenue Louise, dans notre capitale, un projet sur 4 étages, 7000 m2. On a développé des papiers peints, des tapisseries, des tapis, du mobilier et le plan de l’ensemble. Cela nous est vraiment nécessaire de ne pas être dans une catégorie fixe. On aurait l’impression d’étouffer et de ne pas pouvoir être challengées.

Cette table basse de Kenzo Tadaka, dotée d'un trou en son centre et d'un pied pouvant être rempli d'eau, est un hommage à l'art de l'ikebana.
Cette table basse de Kenzo Tadaka, dotée d’un trou en son centre et d’un pied pouvant être rempli d’eau, est un hommage à l’art de l’ikebana.© SDP

krjststudio.com

Erika Schillebeeckx et Justine de Moriamé
Erika Schillebeeckx et Justine de Moriamé© SDP
Erika Schillebeeckx et Justine de Moriamé
Erika Schillebeeckx et Justine de Moriamé© SDP

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