Il y a vingt ans déjà, il était l’un des rares industriels français présents au Sommet de la Terre, à Rio. Depuis lors, Jacques Rocher s’est engagé à planter 50 millions d’arbres au nom de la marque de cosmétiques créée par son père, il y a plus de cinquante ans. Souvenirs en images.

UN CELTE CITOYEN DU MONDE.

 » Comme mon père avant moi, je suis aujourd’hui le maire de La Gacilly, un village à la fois historique et contemporain. Nous y sommes fiers de nos racines celtes, ce qui ne nous empêche pas d’être tournés vers le reste du monde. C’est d’ici que partent des millions de produits chaque jour ! Lorsque l’on est à la tête d’une entreprise, le risque est grand de s’enfermer dans des ghettos sociaux. En ce sens, la mairie, c’est une piqûre de rappel permanente de ce qu’est la vraie vie. Je suis convaincu que le monde rural a de l’avenir : c’est pour cela que nous finalisons en ce moment la construction du plus grand champ éolien breton qui alimentera plus de 35 000 personnes d’ici à un mois et demi. C’est pour cela aussi que j’ai créé, il y a huit ans, le Festival photo Peuples et Nature ( lire aussi en page 91) où se retrouvent exposés les meilleurs photographes du monde entier. Parce que l’accès à la culture ne doit pas être réservé aux habitants des grandes métropoles.  »

UN VOYAGE QUI CHANGE LA VIE.

 » Remettez-vous dans le contexte : lorsque mon père crée l’entreprise Yves Rocher en 1959, l’époque était au chimique. C’était une anormalité de mettre sur le marché des cosmétiques à base de plantes naturelles. En revanche, en 1991, cela m’a semblé tout à fait normal de poser les jalons d’une Fondation dédiée à la défense de l’environnement. J’ai encore en mémoire mes discussions avec le botaniste Jean-Marie Pelt qui est aussi l’un de mes amis.  » Vous avez un devoir moral d’agir pour la nature puisque le succès de votre entreprise repose sur elle « , me disait-il. J’ai eu la chance d’accompagner la première mission de la Fondation Yves Rocher, en Amazonie : nous montions des spectacles de cirque dans des villages coupés de tout et nous utilisions ces numéros – le mien a fait un vrai bide ( rire) – pour faire passer des messages sur l’hygiène, les notions de propriété et de protection du milieu naturel. Ça a été un vrai choc : dans cet océan végétal, on perd tous ses repères. J’ai pris conscience de la magie de la vie.  »

UNE USINE AU MILIEU DES CHAMPS.

 » Nous avons commencé à cultiver nous-mêmes des champs il y a plus de trente ans. Et depuis une quinzaine d’années maintenant, nous nous sommes lancés dans la culture bio. C’était tout naturel pour nous de passer à une agriculture plus responsable même si nous n’aurons jamais 100 % de nos références produits en bio. Cela nous a permis d’aborder la cosmétique autrement, dès la formulation et ça c’est intéressant. Nos usines font partie d’un écosystème que nous protégeons en recyclant au maximum mais aussi en favorisant la biodiversité alentour. Nous avons créé une zone refuge sur les 15 ha qui entourent notre usine de production de parfums en collaboration avec la ligue de protection des oiseaux. C’est un endroit magnifique dans lequel nous avons essaimé des nichoirs un peu partout. « 

LA FORMULE PAR LAQUELLE TOUT A COMMENCÉ.

 » L’expression cosmétique végétale que nous avons déposée, c’est plus qu’un slogan. Nous sommes des botanistes-récoltants-fabricants. Notre expertise des plantes est bien réelle et remonte aux tout débuts de la marque. Le premier produit développé de manière complètement empirique par mon père, c’était une crème contre les hémorroïdes à base de racines de ficaires et de graisse dérivée de la recette d’une vieille guérisseuse bretonne ! « 

UN ENGAGEMENT LOCAL.

 » Wangari Maathai ( NDLR : Prix Nobel de la Paix en 2004) m’a dit un jour :  » Jacques, si vous arrivez à toucher les millions de femmes qui achètent vos produits, vous aurez en main un levier incroyable !  » Elle avait raison. La nature n’est pas virtuelle ni conceptuelle. C’est la vraie vie. Lorsqu’une de nos équipes locales, où qu’elle soit dans le monde d’ailleurs, participe à une action de terrain, cela change la donne. En Belgique, les responsables de l’abbaye de Villers- la-Ville souhaitaient reconstituer un jardin médicinal médiéval sur plus de 700 m2. Nos botanistes leur ont fourni une septantaine de plantes. Il sera ouvert au public le 21 juin prochain.  »

UNE PROMESSE EXPONENTIELLE.

 » Pour moi, l’écologie n’a jamais été une posture. Dans notre famille, lors des naissances comme lors des décès, on plante un arbre, c’est une tradition. Lorsque mon père nous a quittés, il y a un peu plus de deux ans, j’ai planté un hêtre de 80 ans. Un arbre, c’est tout un symbole : alors que nous ne sommes que de passage, il nous survivra. Lorsque j’ai rencontré Wangari Maathai en mars 2007, je me suis engagé auprès d’elle et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement à planter un million d’arbres avec la Fondation Yves Rocher. À l’époque, mes équipes étaient incrédules : un million, cela leur semblait insurmontable et pourtant, c’est bien un million de produits qui sortent chaque jour de notre usine bretonne ! Notre nouvel objectif : 50 millions d’arbres plantés d’ici à 2015. Cela représentera trois fois la superficie de la ville de Paris. À peine trois jours de déforestation de notre planète… Je dis toujours aux gens qui soutiennent mon combat : soyons humbles. Chacun a son rôle à jouer. J’ai bien conscience que la tâche est énorme. Je ne suis ni un optimiste baba cool, ni un pessimiste résigné. Je suis combatif ! « 

UN HÉRITAGE DOUX À PORTER.

 » C’est à la fois difficile et formidable de vivre à côté d’un génie. Car mon père, Yves Rocher, avait le génie des affaires. Il suffit de regarder d’où il est parti. Tout a commencé dans un grenier, dans un coin de Bretagne, reculé et coupé du monde sur le plan économique, social et culturel. Quand on se frotte au quotidien à une personne comme lui, on peut se lamenter, se dire qu’on ne lui arrivera jamais à la cheville. Ou mesurer la chance que l’on a d’être né dans cette famille-là et pas au Bangladesh, par exemple, où la vie est vraiment dure et compliquée. Il faut rester lucide. J’ai tracé mon chemin du mieux que j’ai pu en m’appuyant sur les valeurs fortes que mon père, ma mère aussi, m’ont transmises durant toute leur vie. « 

UN HÔTEL POUR RECEVOIR.

 » Mon père rêvait d’ouvrir ce qu’il appelait « une ferme de beauté » mais cela ne s’est jamais fait. J’ai encore les plans et les maquettes de son projet. Il a toujours tout fait pour que son village natal ne meure pas, en créant des emplois et de la richesse. De nombreuses personnes viennent à nous aujourd’hui mais jusqu’il y a peu, elles ne faisaient que passer quelques heures à La Gacilly. C’est pour qu’elles puissent rester et partager un peu de temps avec nous dans un monde où tout s’accélère que j’ai eu envie d’ouvrir cet éco-hôtel-spa pas comme les autres. Je voulais créer un lieu de plaisir épicurien qui respecte le milieu qui l’entoure – à deux pas de là il y a un dolmen vieux de 3 500 ans – et qui s’appuie sur une économie de proximité. À La Grée des Landes, on se chauffe avec le bois des forêts locales éco-gérées et nous consommons à peine 30 % de l’énergie qui serait nécessaire pour faire tourner un établissement classique. « 

PAR ISABELLE WILLOT

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