Zappant sur les zip, ils n’ont pas attendu le printemps pour fleurir dans les jardins du chic. Depuis deux saisons, les boutons enfièvrent la mode et aucune élégante ne demandera de remède contre cette épidémie-là.

Quand revient le beau temps, chacun a droit à son  » revival « : chez dame Nature, c’est l’éclosion des bourgeons, chez Cupidon, l’explosion des passions et chez demoiselle Mode, l’éruption des boutons. Acné allurée? C’est pousser le bouton, pardon, le bouchon, un peu loin. Il s’agit plutôt d’une invasion stylée où cet objet, souvent plus utile que futile, en découd enfin avec le classicisme ou la stricte fonctionnalité, histoire de s’éclater côté créativité. Peu conflictuelle et nullement déchirante, la guerre, glamour, des boutons s’est sans doute déclarée suite à une revendication émanant du clan des accessoires. Rendus quasi mythiques par les méga-labels de mode,  » le  » sac griffé Machin,  » les  » mules signées Chose,  » le  » bracelet de chez Schnurf… sont désormais devenus essentiels.  » Alors que les consommateurs se diluent dans l’uniformité, les accessoires jouent les trouble-fête indispensables pour marquer la mode de touches différenciées « , souligne le quotidien « Fashion Daily News » (1). Leur statut d’incontournables assuré, les accessoires ont en effet zoomé sur l’originalité, l’exclusif et le  » pas tout à fait comme les autres « , tirant parti, jusqu’à l’usure parfois, de la vogue du vintage et de la customisation ( NDLR: personnalisation des tenues à l’aide de techniques comme les broderies, le tye and dye, le délavage, l’effilochage, le vieillissement artificiel, etc.).

Par sa propension à se métamorphoser et, praticabilité oblige, sa remarquable longévité, le bouton est, sans jeu de mots, le plus attachant des accessoires.  » Le bouton est non seulement indispensable, mais capable d’enjoliver un vêtement, de le personnaliser et de lui apporter la touche finale « , lit-on dans l’ouvrage de Loïc Allio, fibulanomiste – ainsi appelle-t-on les fondus des boutons -, averti (2). De l’aveu de l’auteur qui passe en revue avec une patience d’ange la petite et la grande histoire des boutons,  » Nul autre objet n’est aussi varié « . Dans les années 1930, par exemple, Elsa Schiaparelli, connue pour ses créations simultanément excentriques et élégantes, s’en donnait à coeur joie côté boutons, s’inspirant tour à tour du monde végétal, animal, minéral ou de ces univers surréalistes qu’elle appréciait tant. Des générations entières d’artistes fameux (le sculpteur Giacometti, les peintres Vlaminck et Sonia Delaunay, le couturier Hubert de Givenchy, etc.) se sont ainsi penchés sur cet accessoire menu mais magnifique.

Dans sa cuvée 2002, le bouton se fait délicat à l’instar de celui d’une rose et préfère, à l’ostentation et l’exagération, une discrétion de bon ton. Sur les égéries immaculées de Viktor & Rolf, quelques larges pastilles blanches rehaussent avec grâce les manteaux et les vestes, évoquant les tenues de Virginie Ledoyen dans le superbe  » 8 femmes  » de François Ozon. Selon l’évangile d’élégance de Martine Sitbon, la multiplication dudit accessoire, généralement menu et rond, a bien eu lieu sur les jacquettes un brin XVIIIe un brin Empire de la belle styliste. Du côté de chez Chanel, et même chez Lagerfeld Gallery, la ligne perso de Monsieur Karl, cela  » boutonne  » allègrement, avec une préférence envers les attaches cuivrées et brillantes… dans les deux sens du terme. Soit dit en passant, pour le label au double  » C « , le bouton est un exercice de style parfaitement maîtrisé: dès ses premiers pas dans la mode, la Grande Mademoiselle utilisait une profusion de boutons-bijoux faussement toc et vraiment classe afin de fixer les panneaux de ses légendaires petits tailleurs.

Prônant, ce printemps, le bouton unique destiné à ses deux-pièces d’exception, Giorgio Armani appuie sur la touche  » séduction  » puisque ses vestes courtes et cintrées semblent tenir par magie sur la peau nue. Très discrets et volontiers ton sur ton, les boutons vont généralement par deux quand ils sont signés, entre autres, Cacharel, Céline, Exté, Vivienne Westwood, Strenesse et Ann Demeulemeester. Tandis que les collections Louis Vuitton par Marc Jacobs et Yves Saint Laurent par Tom Ford privilégient le naturel, l’artisanal ( NDLR: outre le genre candide où le bouton se mue en petit noeud ou en simulacre de bonbon, le style rustico-chic genre  » fait-main  » connaît actuellement un joli succès), voire même le bouton à l’état sauvage.

Revenons à nos boutons

Accrochez-vous à vos paletots, mesdames, car cette petite chose déclinée en métal, nacre, corne, bois, bakélite, jais, nylon, Plexyglass et j’en passe n’a pas fini de tirer à elle la couverture des tendances! On peut d’ailleurs déjà vous annoncer qu’il y aura profusion de boutons durant l’automne-hiver 02-03, causée notamment par la multiplication des cabans et des duffel-coats dotés d’amusants boutons-siffleurs allongés.  » Boutonneux jusqu’à l’extrême « , certains créateurs en font même une consommation sur-abondante. Ainsi, le couturier hispano-américain Oscar de La Renta a littéralement couvert de boutons plusieurs de ses modèles alors que Chanel, plus sage, met les boutons au pas en les faisant défiler en rang. Une façon comme une autre d’épingler sa vision personnelle de l’allure, et que l’on retrouvait déjà, l’hiver passé, chez l’indéboulonnable Paco Rabanne (bouton blanc géant planté au beau milieu d’une robe noire) ou chez Louis Vuitton (boutons-pompons en vison blanc répandus indifféremment sur de courtes vestes, des robes, des escarpins).

Boycotté voici trente-cinq ans environ au profit de la fermeture Eclair puis du Velcro, quasi oublié au début des années 1990 lorsque la guerre du Golfe engendra une mode minimaliste hostile à tout détail superflu, le bouton renoue à présent avec une tradition de fantaisie décorative qui le caractérisait déjà dans les premiers instants de son existence. La nuit des temps serait au fond une expression plus adaptée, car les plus anciens spécimens de boutons – le terme vient du verbe  » bouter  » qui signifie  » pousser  » en vieux français -, remontent aux IIIe millénaire (Chine, Himalaya) et IIe millénaire (Ecosse) avant notre ère (3). En revanche, il faudra attendre 1383 pour que naisse le terme  » boutonnière « . Successeur des cordons et lacets préhistoriques, des fibules et autres agrafes gréco-romaines, des lacets mérovingiens et des cordons ou aiguillettes du haut Moyen Age, il est utilisé, dès le XIIe siècle, comme indispensable auxiliaire des vêtements très ajustés. Point de pourpoint bien fermé sans boutons idoines, donc. Ceux-ci vont d’ailleurs rimer très vite avec  » corporations « : aux orfèvres la fabrication des boutons en matières précieuses, aux boutonniers l’élaboration de boutons en laiton, en cuivre ou autres matériaux moins nobles. Aux pâtenotriers – les ancêtres des passementiers -, la confection de boutons en os, corne ou ivoire et aux tablettiers la création de boutons en nacre!

Avec le XVIIe siècle et la vague rococo, le bouton-ornement arrive en avalanche, essentiellement sur les costumes masculins qu’il parsème de la pointe du gilet au bout des manches. Jusqu’aux années 1890, le bouton de nacre se taille la part du lion. Ensuite, il ploiera du chef (on le déclare trop cher et trop fragile) devant le plastique tandis que le toujours très utile bouton-pression se pointe, lui, en 1886. De rappel (cousu à l’intérieur d’un vêtement souvent croisé, ce bouton sert de support au bouton d’apparat), de culotte et de bottine (autrefois), de chemise (encore et toujours), le bouton fait aujourd’hui la joie des accros du vintage. Pour les Français Olivier et Michèle Chatenet par exemple, les boutons font partie de ces petits détails qui engendrent de grands effets. Mordus de pièces anciennes qu’ils revisitent au gré de leur inspiration sous le label E2, ce tandem de créateurs écume volontiers les marchés aux Puces et les merceries de nos grand-mères. Une démarche attachante, et dont, heureusement, nous ne sommes pas prêts de perdre le fil.

(1) Edition du 7 décembre 2001.

(2)  » Boutons  » de Loïc Allio, préface d’Hubert de Givenchy. Editions du Seuil.

(3) in  » Dictionnaire de la Mode au XXe siècle « , éditions du Regard.

Marianne Hublet

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