Des bijoux panse-cour, fragiles et troublants, comme la vie, une septième collection et un travail couronné par le prix Modo Bruxellæ de la Création 2009. Portrait d’Isabelle Lenfant, textuellement.

 » Je suis pour l’augmentation du goût de la vie. «  Cette phrase de Dutronc court sur le dos de quelques livres dressés, £uvre d’art à décomposition philosophique assumée par Isabelle Lenfant et exposée avec ses bijoux à la CollectorsGallery, à Bruxelles. C’est que son monde à elle résonne de mille phrases piochées chez les poètes (Juarroz, Baudelaire, Aragon), les écrivains (Antoine de Saint-Exupéry, Marguerite Yourcenar), les chanteurs (Brigitte Fontaine, Charles Aznavour), les acteurs (Jeanne Moreau, Philippe Noiret), les philosophes (Simone de Beauvoir, Sénèque), l’inventaire n’est pas fini. Isabelle Lenfant sait que  » le meilleur peut venir du recoin le plus sombre « , elle l’a lu chez Goliarda Sapienza. D’ailleurs, elle ne cesse de lire, de méditer ces phrases qui lui sautent à la gorge, les noter dans ses carnets, toujours grands, toujours noirs, toujours vierges de tout à l’intérieur, ni lignage ni quadrillage, couverture de cuir avec exergue du philosophe Jean Grenier,  » écrire c’est mettre en ordre ses obsessions « , la tranche a été repeinte par elle de rouge, sang.

Son regard parfois se voile, ses longs cheveux noirs floutent alors son visage. Elle a replié ses jambes sous elle, à même la chaise, santiags aux pieds, collants troués. Le noir est sa couleur, le mini sa longueur. Si ses racines terrestres sont ici et ailleurs, à Ath, à La Cambre mode(s), aux côtés du créateur Xavier Delcour dont elle fut l’assistante, elles sont surtout de ce pays intime où elle chevauche, si libre et farouche à la fois.

Elle que tout écorche crée des bijoux armures, des bagues sparadrap, des colliers Scotch qui pansent les brûlures, des bagues n£uds qui retissent les brisures sans jamais ligoter, des médaillons prises mâle et femelle qui se lâchent, s’emboîtent parfois, des clés ébréchées qui ouvrent des portes, vers la lumière, vers le comment du pourquoi. Car Isabelle Lenfant est une enfant – elle est de ce territoire si vrai où l’on pose des questions, où l’on attend des réponses qui ne se résument jamais à un parce que. Quelle évidence, chacune de ses créations a la puissance d’un symbole, en argent massif (925/1 000) poli à la main ou oxydé anthracite, en or 18 carats, surtout rose. Dans chaque écrin, Isabelle Lenfant prend soin de glisser une citation  » panse-c£ur  » qui la transperça, une réponse à ses doutes existentiels, que l’on fera sienne. Sur l’étui, on lit  » FragIL « , sans e mais avec ses initiales, en suspens, sa griffe, et le i brisé, en son centre, fêlure annoncée, imperfection affichée.

 » Panse avec le c£ur, l’essentiel est invisible pour les yeux. «  Une paraphrase pour sa bague sparadrap, la toute première, d’abord dessinée pour elle et portée comme un talisman. A force d’entendre  » waouw, c’est beau, c’est quoi ? « , Isabelle Lenfant ose enfin  » ne plus prendre ses rêves pour des banalités « . Alors les bijoux, oui –  » Je me suis rendu compte que j’arrivais à exprimer enfin tout ce que j’avais envie de dire.  » Et dans un souffle, elle ajoute,  » peut-être même aider les gens « , rapport à ses lectures à elle qui parfois lui servent d’étoile polaire. Donc, des  » heART jewels  » pour panser/penser les blessures, et une première collection présentée au printemps 2006 à Paris. Plus tard, sa bague sparadrap, elle la sertira de rubis rose  » pour le sang  » ou noir  » pour la nuit « .

 » Peut-être nous faudrait-il apprendre que l’imparfait est une autre forme de la perfection, la forme que la perfection assume pour pouvoir être aimée. «  Un bout de poème de Roberto Juarroz, pour mettre en mots ses chaînes coupées à vif,  » comme si un enfant vous avait sauté au cou et qu’elles s’étaient cassées « . Une imperfection calculée aux finitions impeccables.  » Montrer le vécu « , avec effet d’ombre et de lumière, polissage miroir et triples anneaux soudés à la main. On peut porter ses chaînes différemment, longues ou courtes, les moduler, y ajouter les médailles que l’on désire, laisser la matière vivante s’oxyder, ou non, mais toujours  » comme une seconde peau « .

 » Mais toute perte est le prétexte d’une rencontre. Les messages perdus inventent toujours qui doit les trouver. «  Encore Roberto Juarroz, qui vient blackbouler son processus créatif. D’habitude, Isabelle Lenfant pense, dessine, crée puis trouve une phrase comme une pépite. Pas cette fois-ci, pour son dernier médaillon, une plume de stylo et une enveloppe déjà déchirée, dans laquelle on peut glisser un papier plié en quatre sur son secret, son mot doux ou rugueux, pourquoi pas ? Elle a lu Juarroz, elle a  » adoré « , elle l’a calligraphié dans son cahier et elle a souri.

Carnet d’adresses en page 100.

Par Anne-Françoise Moyson / Photos : Julien Claessens

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