Clochers perdus dans la montagne, églises oubliées au-dessus de gorges tourmentées, mystérieux sanctuaires mégalithiques… Partir pour l’Arménie, c’est découvrir un musée à ciel ouvert extraordinairement préservé.

Chaque matin, Erevan se réveille sous un concert de claxons. Au fil des heures, les rues de la capitale arménienne s’encombrent d’un bruyant ballet de petites Lada Zhiguli et de spacieuses Volga, qui rivalisent d’ingéniosité pour doubler des trolleybus. La statue de la mère Arménie, perchée sur une colline au bout de l’avenue Mesrop Machtots, assiste impuissante, le glaive levé, à ces impitoyables chassés-croisés. Vers l’ouest, l’immense silhouette du mont Ararat, emmitouflée dans une écharpe de brume, se découpe sur l’horizon, haute de ses 5 165 mètres.

Difficile ici d’échapper à l’emprise du volcan où, le dix-septième jour du septième mois, comme nous le raconte la Bible, échouèrent Noé et son arche surpeuplée. A seulement 40 kilomètres de la ville, l’Ararat reste sans doute la figure majeure de l’imaginaire collectif arménien, à la fois objet de fierté (les Arméniens affirment descendre en droite ligne de Noé) et de frustration. Car le mont est situé aujourd’hui en territoire turc, autant dire inaccessible. Quant au pays, il n’est plus que le vestige de la Grande Arménie, l’empire de Tigrane le Grand, qui, au 1er siècle avant Jésus-Christ, s’étendait de la Caspienne à la Méditerranée, et qui a depuis été envahi et morcelé par les Romains, les Parthes, les Turcs Seldjoukides, les Russes et autres voisins aux dents longues.

Face aux envahisseurs, l’Arménie a pourtant toujours tenu bon. Une foi chrétienne originale, véritable ciment du peuple arménien, souffle sur ces hauts plateaux depuis deux mille ans. A 20 kilomètres à l’ouest de la capitale, Erevan, Ejmiatsin est le Saint-Siège de cette Eglise apostolique arménienne, rameau indépendant des chrétiens d’Orient. C’est ici que Grégoire l’Illuminateur a baptisé, il y a plus de mille sept cents ans, le roi Tiridate III. Dès lors, le christianisme devient religion d’Etat et fait de l’Arménie la première nation chrétienne, comme en témoignent aujourd’hui encore quatre mille monastères ou églises, tantôt cachés au bout d’une ruelle d’un village perdu, tantôt perchés sur une colline couverte d’herbes folles.

Notre périple à la recherche de ces diamants bruts de la foi, enchâssés dans les recoins d’un pays sauvage, débute en quittant Erevan. A quatre heures de voiture, au nord-est, la rivière Debed se glisse entre les monts Gougarats en direction de la frontière géorgienne. Le clocher du monastère de Sanahin surplombe depuis le xiiie siècle les gorges creusées par le tumulte des eaux. Les murs de la tour, constitués d’un élégant damier de tuf rouge et de basalte couleur de cendre, ont vaillamment résisté aux caprices telluriques qui ébranlent périodiquement la région. Le site est parfaitement désert.

La route de l’est serpente ensuite entre les montagnes jusqu’au grand lac Sevan, où forêts de chênes et de noyers déploient leurs ramures à perte de vue. A Goshavank, village niché dans la vallée rocheuse de Tandzout, un mur de blocs cyclopéens vieux de deux mille ans jouxte le monastère au sommet d’une prairie vert tendre. Sur la façade ouest, les khatchkars, stèles ornées de croix sculptées, symboles de victoire de la vie sur la mort et de renaissance, attendent le retour du Christ depuis bientôt mille ans. L’un d’eux, le long de l’église Saint-Grégoire, véritable dentelle de pierre, témoigne de la parfaite maîtrise des sculpteurs arméniens. Gregorian Zarik est, depuis trente-huit ans, l’indéfectible gardienne des lieux. Elle invite parfois à sa table le visiteur qui passe chercher les clés. Les tetous de chou, concombre ou tomate verte au vinaigre, l’adgiga, sauce à base de poivron, le pasterma, cousin caucasien de la viande des Grisons ou le matzoun, rafraîchissant yoghourt, donnent un air de fête au moindre repas pris sur le pouce. Bien sûr, tous les légumes sont du jardin, le jus de raisin est fait maison, quant au miel, il vient des ruches qui trônent dans la cour. Même la vodka est distillée à partir des abricots du verger.

Mystérieux mégalithes

Des geais ventrus planent le long de la route qui file vers le sud. Le Siounik, la région la plus méridionale d’Arménie, se flatte d’avoir été jadis un royaume indépendant (980-1170). L’Iran n’est plus bien loin. Des paysans, moustaches au vent et pantalons rentrés dans les bottes, conduisent leurs troupeaux à légers coups de badine. Sous les casquettes, regards d’aigle et sourires en lame de couteau. Dans les montagnes d’Ughtasar, à 3 300 mètres d’altitude, les blocs d’une coulée de basalte couverts de pétroglyphes gravés entre les ve et iiie millénaires invitent à poursuivre plus avant notre voyage dans le temps.

Passionné d’archéologie, le peintre Ashot Avakian reproduit dans ses toiles ces curieux cavaliers à tête ronde. Il a installé son atelier dans la région de Sisian, l’un des plus anciens habitats du Caucase. A 3 kilomètres de la ville, le curieux site mégalithique de Zorats Karer n’a pas encore livré tous ses mystères. Les menhirs de Zorats Karer et les pétroglyphes d’Ughtasar sont l’£uvre d’un même peuple. Mais les scientifiques divergent sur la fonction de ces alignements : cimetière de soldats, division symbolique entre le monde des vivants et le royaume des morts, observatoire… En tout cas, une chose est sûre, comme dit le dicton préféré des Arméniens :  » Hayastan, Karastan : Arménie, pays de pierres ! « 

Reportage : Christophe Migeon

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