Ce printemps, l’air du temps a des accents de muguet. Dans le sillage de Diorissimo qui fête cette année ses 60 ans, Hermès, Guerlain et Molton Brown proposent à leur tour une ode vibrante à la fleur de mai.

Jean-Claude Ellena n’est pas un homme patient. Quelques belles surprises de la vie lui ont appris, pourtant, qu’il était bon parfois d’attendre un peu, beaucoup, le temps qu’il fallait en somme, jusqu’à ce que le moment soit venu pour que certaines choses se fassent. Treizième opus – un chiffre porte-bonheur qui ne doit sûrement rien au hasard – des Hermessences, cette collection de parfums poèmes initiée par Hermès en 2004, Muguet Porcelaine pourrait bien être le dernier jus de celui qui devint le nez exclusif de la maison parisienne il y a douze ans déjà. Son  » point d’orgue « , comme il dit, éclatant hommage à l’une des non-matières les plus mythiques de la discipline.  » De mémoire, jamais je n’ai défié une odeur de cette façon, rappelle-t-il. D’abord d’une manière physique, hédoniste, car je voulais voler la fragrance de ces clochettes mais aussi celle du feuillage qui les enveloppe. Puis d’une façon plus savante, j’ai travaillé la froideur de son aura, la finesse de son opalescence, la légèreté de son existence. Je rêvais d’exprimer à travers ce parfum une radieuse nudité.  »

Si la fleur de mai fascine toujours autant les parfumeurs, c’est sans doute parce que ses brins éphémères et fragiles ne se sont jamais laissé dompter pour produire un extrait naturel. Aujourd’hui encore, ce que l’on sent sous le nom de muguet n’est qu’une illusion, un fantasme chimique qui a poussé plus d’un créateur à en faire le sujet principal de sa composition. Dès le début des années 20 déjà, grâce à l’invention par Marius Reboul, chimiste chez Givaudan, du  » muguet 16 « , l’une des premières bases capables de copier l’odeur naturelle de cette fleur rebelle, toutes les grandes maisons se prêtent à l’exercice. Au Premier Muguet de Bourjois succèdent très vite Muguet des Bois de Coty et Muguet du Bonheur de Caron. Au printemps 1954, Christian Dior fait de sa fleur fétiche qui ne le quitte jamais – la légende veut qu’un reliquaire ouvragé en abrite toujours, en secret, dans la poche de son veston – le thème principal de sa collection haute couture. Assez naturellement, il passe une commande à Edmond Roudnitska. Sur les hauteurs de Cabris, celui qui est alors le compositeur des parfums Christian Dior plante un large parterre de muguets dans sa propriété pour mieux s’en imprégner. Au terme de deux années de recherches, la griffe lance Diorissimo, quelques mois à peine avant la disparition de Christian Dior.  » C’était l’effluve de la fleur, transposé sur le plan du parfum, écrit alors le nez de la maison. Un contexte de sous-bois, de fraîcheur, de verdure, suscitant des facteurs psychologiques évoquant le printemps et la jeunesse, concourait à faire effectivement de cette composition un parfum.  » Un marqueur surtout dans l’histoire de la parfumerie auquel tous les  » muguets  » déjà créés ou à venir seraient forcément un jour comparés.  » Jeune parfumeur, je considérais qu’avec Diorissimo, Edmond Roudnitska avait trouvé l’essence même de la parfumerie, rien que ça !, se souvient Jean-Claude Ellena. L’homme aussi m’impressionnait énormément. Longtemps, je me suis dit que quiconque osait toucher au muguet prenait des risques. Bien sûr, j’ai utilisé la note dans de nombreuses compositions, mais je ne m’en étais jamais vraiment emparé jusqu’à maintenant. Là, je me suis dit, ça va, ce risque je vais le prendre et puis on verra bien.  » Son muguet lumineux, solaire, facetté de jasmin, est une pure vue de l’esprit dont le sillage paradoxal impose sa présence comme ne pourrait jamais le faire dans la réalité l’odeur si fugace des clochettes dentelées…

Signe des temps en quête de porte-bonheur, d’autres parfumeurs proposent à leur tour une déclinaison de saison. Jennifer Jambon a imaginé pour Molton Brown  » un bouquet de fleurs blanches encore couvertes de rosée matinale  » dans lequel la fraîcheur verte des brins de muguet s’épice de la douceur sucrée de l’anis étoilé. Chez Guerlain, cela fait dix ans maintenant que cette fleur se réinvente en une eau de toilette éphémère emballée dans un flacon bijou numéroté, dont le design est confié chaque année à un autre artisan. Cette fois, pour accueillir les notes vertes fines et fusantes teintées de rose perlée et de jasmin charnel imaginées par Thierry Wasser, la toute jeune maison de joaillerie parisienne Ambre & Louise a choisi d’habiller l’écrin en verre d’une plaque ciselée trempée dans un bain d’argent. Une jolie manière de donner à l’éphémère comme un parfum d’éternité.

PAR ISABELLE WILLOT

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