Secret longtemps bien gardé des Britanniques, l’Afrique orientale nous est désormais accessible dans toute sa majesté. D’avril à juillet, c’est entre les plaines du Serengeti, en Tanzanie, et les rivages du Mozambique que l’on découvre ce must du spectacle nature. Récit.

C’est une rumeur grondante venue du fond de la savane, un cri rauque qui fascine bien plus qu’il n’effraie. À quelques centaines de mètres de la tente, un lion rugit à s’en décrocher la mâchoire. Tous les coqs, tous les orchestres du monde auront beau s’unir : qui pourrait égaler l’incroyable symphonie qui vous cueille à l’aube en plein c£ur de l’Afrique ? Emmitouflé sous la couette, le visiteur de passage n’a aucun mal ici à sortir de ses songes. À travers la moustiquaire, on distingue presque tout : l’ocre des herbes hautes, l’ombre des acacias et les montagnes au loin d’où surgit le soleil incandescent.  » Admis dans l’innocence et la fraîcheur des premiers temps du monde « , Kessel n’en revint jamais totalement. Un siècle plus tard, les voyageurs anglo-saxons sont toujours les plus nombreux à venir arpenter ces grands espaces sauvages.

Le Serengeti, le plus vaste parc national de Tanzanie, appartient à ceux qui se lèvent tôt. Il n’est pas 7 heures et Solomon nous attend déjà, adossé au capot de son Land Cruiser. Quand on croit avoir entendu le tonnerre cette nuit, il se moque gentiment :  » Les gnous sont passés juste à côté de ta tente, il y en avait une bonne centaine !  » Bientôt, le 4 x 4 dévale la colline. La piste serpente entre les arbres à saucisses et les sycomores. Dès le premier virage, une famille d’éléphants ratiboise un bosquet d’acacias. Antilopes en déroute, girafes graciles, phacochères en famille, la savane joue sa grande parade. À perte de vue, des milliers de gnous, de gazelles et de zèbres. Ils descendent vers le sud du parc. Chaque année, 5 millions d’animaux font le voyage, infatigables marcheurs à la recherche de la pluie. En janvier-février, ils donnent naissance à leurs petits dans les verts pâturages du Serengeti. En avril, ils prendront la direction du lac Victoria, à l’ouest. En juillet, ils remonteront vers le nord, traverseront la frontière avec le Kenya, là où l’herbe est plus grasse, avant de retrouver le Serengeti en octobre. Depuis la nuit des temps, rien n’a jamais enrayé le cycle de la grande migration.

Face à nous, sur l’autre rive du fleuve Mara, une immense colonne de gnous semble attendre un signal.  » L’un d’eux va se jeter à l’eau, et tous vont suivre. Beaucoup vont mourir dans la traversée « , prédit Solomon : noyés, écrasés, blessés, à la merci d’un prédateur. En haut d’une butte, le mince feuillage d’un acacia nous abrite du soleil : le site est idéal pour dresser la table et prendre le plus insolite des english breakfasts. Une heure plus tard, aucun téméraire n’a fait le premier pas : les gnous rebroussent chemin, ils ne traverseront pas ici. Pour les crocodiles et les hippopotames tapis dans l’eau, le festin n’est pas pour aujourd’hui.

Dans la brousse, bien sûr, il n’y a qu’un roi : le lion. Vous le trouverez sans doute dans les collines de Wagakuria, prenant le soleil au sommet d’un rocher. S’approcher assez pour voir les cicatrices sur sa toison, ne pas bouger… À quelques mètres, deux femelles contemplent les zèbres qui paissent en contrebas comme on consulterait un menu 2-étoiles. L’une d’elles se faufile entre les pierres. Pas question de modifier le scénario : la pièce ne se joue pas pour nous, encore moins avec nous. La lionne avance, sa proie semble toute choisie. Mais une bande de babouins vient troubler le silence, la tragédie tourne à la farce. Le troupeau sursaute et s’éloigne.

De méandres marécageux en plaines infinies, le temps ne veut plus rien dire. Quand nous rentrons au camp, le ciel s’assombrit déjà : une pluie légère tambourine sur la tente. Dix minutes plus tard, deux arcs-en-ciel enjambent les hauts plateaux, violaçant les rochers à l’approche du crépuscule. Demain, le campement prendra la route, pour suivre l’odyssée des animaux. Le cinquième jour, quand l’avion-taxi se détache de la petite piste en latérite qui fait office d’aérodrome, c’est comme un déchirement. Mais vu d’en haut, le spectacle est presque aussi beau : avant de rejoindre la turbulente Dar es-Salaam, la capitale de la Tanzanie située dans le sud du pays, il faut survoler le lac Manyara, le Ngorongoro et son immense cratère, des falaises vertigineuses et luxuriantes. Collé au hublot, on distingue au loin le Kilimandjaro. Puis le vert devient bleu, et c’est l’océan Indien. Une excursion en badiadé – triporteur – jusqu’à la baie de Msasani, un apéro sur les pontons du Slipway suffiront à vous convaincre : Dar es-Salaam mérite plus qu’une simple escale. Mais, au sud, l’appel du Mozambique se fait entendre. De l’autre côté de la frontière, il est un littoral immaculé, une multitude d’atolls fantomatiques, un chapelet d’îles presque vierges dont il ne faudrait même pas ébruiter le nom : les Quirimbas.

L’île de Vamizi est juste assez large pour qu’un petit avion puisse s’y poser. Ici, il n’y a qu’un village… et un hôtel : 12 villas au toit de chaume posées sur la plage – 8 kilomètres de sable blanc bordant une dense forêt tropicale d’où s’élève le chant de mille oiseaux multicolores. Ici aucun prédateur ne semble menacer. Seuls quelques crabes géants partent à l’assaut des cocotiers pour en faire tomber les fruits ! Le Serengeti est désormais bien loin. Pourtant, un autre safari est possible : oubliés le 4 x 4 et les soubresauts de la piste ! Sous la mer turquoise, à quelques dizaines de mètres de la côte, poissons-clowns, tortues luth et raies manta se disputent la barrière de corail. Un masque et un tuba suffisent, l’eau est à 30 degrés : le monde du silence à portée de tous. Les plus aguerris et téméraires se laisseront guider jusqu’au Bras de Neptune, l’un des dix plus beaux spots de plongée au monde, célèbre pour ses requins baleines. Mais personne, excepté quelque singe de passage, ne nous reprochera de paresser dans le hamac. Le soir, quand les voiles blanches des boutres s’enflamment au large, la forêt se tait et l’on n’entend plus que les vagues de l’océan Indien. Ultime révélation : si Serengeti nous a offert le plus incroyable des réveils, Vamizi nous chante la plus belle des berceuses.

PAR GUILLAUME VILLADIER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content